Eugène Delacroix (1798 – 1863) peint par un inconnu ? par lui-même ? par Théodore Géricault, pour qui il pose comme cadavre pour le Radeau de la Méduse ? En ce début de XIXe siècle, le jeune prodige atteint presque la vingtaine, mais apparaît ici comme un maître jaillissant de la pénombre. Qui a bien pu le représenter de façon aussi dramatique ? Grâce à la réflectographie infrarouge, permettant d’identifier les détails peints ou dessinés sous la couche picturale, un autre tableau a surgi à la surface : moins contrasté, il est recouvert de vifs coups de pinceau sculptant davantage la chevelure du modèle et marquant le col, au lieu de les suggérer dans les ténèbres. Une touche qui rappelle celle du jeune Delacroix. Mais la radiographie révèle quelques repeints… Le génie romantique aurait-il repris ultérieurement son autoportrait ? Ou une autre main s’en serait-elle mêlée ? Le mystère demeure…
Des touches de gris, de bleus, de pourpre, d’oranger. Le tout sous un effet poudré caractéristique de Claude Monet (1840 – 1926)… Cette vue du portail occidental de la cathédrale Notre-Dame de Rouen fait partie d’une série de quarante tableaux déclinant le même sujet à différents moments de la journée. Ici, le temps est nuageux. Pourtant, l’utilisation du rayonnement ultraviolet sur le tableau a trahi les lueurs d’un ensoleillement fugitif, repérant des traces de jaune sur les bords, et d’orange sur la porte centrale. C’est un véritable témoignage de la technique « sur le motif » qu’employait le maître impressionniste, modifiant ses coloris en fonction de la lumière ambiante ! Autre information : des trous aux quatre angles de la toile, révélés par macrophotographie, qui correspondent aux marques laissées par des cylindres de bois que Monet utilisait pour transporter facilement ses toiles fraîchement peintes.
Bruges, vers 1509. Le peintre néerlandais Gérard David (vers 1450 – 1523) travaille sur son tableau intitulé Vierge entre les Vierges. Visages d’une extrême douceur, drapés rendus avec la plus grande dextérité, motifs et velours époustouflants, carrelage hyperréaliste… Son huile sur bois est devenue l’un des chefs-d’œuvre du musée des Beaux-Arts de Rouen, qui l’a restaurée en 2010. De la réflectographie infrarouge employée alors sont ressortis de surprenants tracés de l’artiste. Quelle impressionnante ébauche ! Gérard David, à la touche si soignée et si méticuleuse, apparaît désormais en dessinateur brouillon. Ses coups de crayon mettent efficacement en place les figures, mais sont saccadés, démultipliés dans toutes les directions !
Des années durant, ce tableau peint par l’artiste hollandais Hendrik van Minderhout (1632 – 1696) n’était qu’un simple paysage avec vue sur un rivage. Quelques vaches paissaient, gardées par un joueur de flûte à côté d’une barque prête à s’éloigner vers l’horizon peuplé de navires. En bas à gauche, deux femmes semblaient laver leur linge près de l’eau. Mais en 1991, une radiographie signale la présence de plusieurs autres personnages… Intrigués, les spécialistes décident de lever le voile en enlevant la couche picturale de cette traditionnelle marine. Résultat : les laveuses font partie d’un groupe de suivantes effarées, et la barque cachait l’héroïne de la scène ! Comme noyée non loin du rivage par son retoucheur effronté, la princesse phénicienne Europe apparaît de toute beauté, enlevée par Jupiter métamorphosé en taureau blanc. Altérée au XVIIIe siècle, la scène mythologique peinte un siècle plus tôt est enfin dévoilée, dans des teintes éclatantes et une lueur mystique embrumée…
Sur ce tableau du célèbre artiste baroque espagnol Diego Vélasquez (1599 – 1660), les spécialistes sont unanimes : la main du philosophe grec Démocrite, qui pointe un globe terrestre, tenait à l’origine… une flûte de vin bien remplie ! Mais si la radiographie et l’image infrarouge révèlent un joyeux personnage, les techniques scientifiques ne sont pas encore capables de retracer les déboires des tableaux à travers le temps. Ce sont donc des chercheurs en histoire de l’art qui ont permis de résoudre l’énigme, en démasquant une peinture du maître datée de 1630, représentant un ivrogne enjoué, dont les traits sont directement inspirés de Pablo de Valladolid, bouffon de la cour d’Espagne. Dix ans plus tard, Vélasquez transformera son débauché en un philosophe narquois, sans doute afin de copier un de ses contemporains qui s’était emparé du sujet : Pierre Paul Rubens…
Le Temps des collections VIII : Trésors et mystères
Du 29 novembre 2019 au 24 février 2020
Musée des Beaux-Arts de Rouen • Esplanade Marcel Duchamp • 76000 Rouen
mbarouen.fr
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