Art et science

À Rouen, les techniques scientifiques dévoilent les secrets enfouis des chefs-d’œuvre

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Publié le , mis à jour le
Identifier le véritable auteur d’une toile, déceler un dessin sous-jacent, analyser une technique picturale… Grâce aux technologies de pointe, les experts peuvent remonter le temps pour dévoiler les secrets enfouis des chefs-d’œuvre. Le musée des Beaux-Arts de Rouen met en lumière quelques uns de ses trésors qui cachaient bien leur jeu jusqu’à l’utilisation de la fluorescence ultraviolette, du rayonnement infrarouge ou encore de la réflectographie ! De révélations en énigmes, voici cinq tableaux de maître percés à jour par la science.

1. Autoportrait à quatre mains

Eugène Delacroix (1798 – 1863) peint par un inconnu ? par lui-même ? par Théodore Géricault, pour qui il pose comme cadavre pour le Radeau de la Méduse ? En ce début de XIXe siècle, le jeune prodige atteint presque la vingtaine, mais apparaît ici comme un maître jaillissant de la pénombre. Qui a bien pu le représenter de façon aussi dramatique ? Grâce à la réflectographie infrarouge, permettant d’identifier les détails peints ou dessinés sous la couche picturale, un autre tableau a surgi à la surface : moins contrasté, il est recouvert de vifs coups de pinceau sculptant davantage la chevelure du modèle et marquant le col, au lieu de les suggérer dans les ténèbres. Une touche qui rappelle celle du jeune Delacroix. Mais la radiographie révèle quelques repeints… Le génie romantique aurait-il repris ultérieurement son autoportrait ? Ou une autre main s’en serait-elle mêlée ? Le mystère demeure…

</em>À gauche : Eugène Delacroix, <em>Autoportrait</em> (vers 1816) / À droite : Réflectographie infrarouge
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À gauche : Eugène Delacroix, Autoportrait (vers 1816) / À droite : Réflectographie infrarouge

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Coll. musée des Beaux-Arts de Rouen • © C2RMF

2. Alerte météo : la cathédrale de Rouen sous un nouveau jour

Des touches de gris, de bleus, de pourpre, d’oranger. Le tout sous un effet poudré caractéristique de Claude Monet (1840 – 1926)… Cette vue du portail occidental de la cathédrale Notre-Dame de Rouen fait partie d’une série de quarante tableaux déclinant le même sujet à différents moments de la journée. Ici, le temps est nuageux. Pourtant, l’utilisation du rayonnement ultraviolet sur le tableau a trahi les lueurs d’un ensoleillement fugitif, repérant des traces de jaune sur les bords, et d’orange sur la porte centrale. C’est un véritable témoignage de la technique « sur le motif » qu’employait le maître impressionniste, modifiant ses coloris en fonction de la lumière ambiante ! Autre information : des trous aux quatre angles de la toile, révélés par macrophotographie, qui correspondent aux marques laissées par des cylindres de bois que Monet utilisait pour transporter facilement ses toiles fraîchement peintes.

Claude Monet, La Cathédrale de Rouen
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Claude Monet, La Cathédrale de Rouen, 1892–1893

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Huile sur toile • Coll. musée des Beaux Arts de Rouen

3. De sacrés coups de crayon !

Bruges, vers 1509. Le peintre néerlandais Gérard David (vers 1450 – 1523) travaille sur son tableau intitulé Vierge entre les Vierges. Visages d’une extrême douceur, drapés rendus avec la plus grande dextérité, motifs et velours époustouflants, carrelage hyperréaliste… Son huile sur bois est devenue l’un des chefs-d’œuvre du musée des Beaux-Arts de Rouen, qui l’a restaurée en 2010. De la réflectographie infrarouge employée alors sont ressortis de surprenants tracés de l’artiste. Quelle impressionnante ébauche ! Gérard David, à la touche si soignée et si méticuleuse, apparaît désormais en dessinateur brouillon. Ses coups de crayon mettent efficacement en place les figures, mais sont saccadés, démultipliés dans toutes les directions !

</em>À gauche : Gérard David, <em>La Vierge entre les Vierges</em> (vers 1509) / À droite : Réflectographie infrarouge
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À gauche : Gérard David, La Vierge entre les Vierges (vers 1509) / À droite : Réflectographie infrarouge

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Coll. musée des Beaux-Arts de Rouen • © C2RMF / Elsa Lambert

4. Noyade près du rivage

Des années durant, ce tableau peint par l’artiste hollandais Hendrik van Minderhout (1632 – 1696) n’était qu’un simple paysage avec vue sur un rivage. Quelques vaches paissaient, gardées par un joueur de flûte à côté d’une barque prête à s’éloigner vers l’horizon peuplé de navires. En bas à gauche, deux femmes semblaient laver leur linge près de l’eau. Mais en 1991, une radiographie signale la présence de plusieurs autres personnages… Intrigués, les spécialistes décident de lever le voile en enlevant la couche picturale de cette traditionnelle marine. Résultat : les laveuses font partie d’un groupe de suivantes effarées, et la barque cachait l’héroïne de la scène ! Comme noyée non loin du rivage par son retoucheur effronté, la princesse phénicienne Europe apparaît de toute beauté, enlevée par Jupiter métamorphosé en taureau blanc. Altérée au XVIIIe siècle, la scène mythologique peinte un siècle plus tôt est enfin dévoilée, dans des teintes éclatantes et une lueur mystique embrumée…

</em>À gauche : Hendrik van Minderhout, <em>L’Enlèvement d’Europe</em>, avant restauration / À droite : Hendrik van Minderhout, <em>Paysage avec l’enlèvement d’Europe</em> (vers 1690)
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À gauche : Hendrik van Minderhout, L’Enlèvement d’Europe, avant restauration / À droite : Hendrik van Minderhout, Paysage avec l’enlèvement d’Europe (vers 1690)

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Coll. musée des Beaux-Arts de Rouen • © C2RMF

5. De l’ivrogne au philosophe

Sur ce tableau du célèbre artiste baroque espagnol Diego Vélasquez (1599 – 1660), les spécialistes sont unanimes : la main du philosophe grec Démocrite, qui pointe un globe terrestre, tenait à l’origine… une flûte de vin bien remplie ! Mais si la radiographie et l’image infrarouge révèlent un joyeux personnage, les techniques scientifiques ne sont pas encore capables de retracer les déboires des tableaux à travers le temps. Ce sont donc des chercheurs en histoire de l’art qui ont permis de résoudre l’énigme, en démasquant une peinture du maître datée de 1630, représentant un ivrogne enjoué, dont les traits sont directement inspirés de Pablo de Valladolid, bouffon de la cour d’Espagne. Dix ans plus tard, Vélasquez transformera son débauché en un philosophe narquois, sans doute afin de copier un de ses contemporains qui s’était emparé du sujet : Pierre Paul Rubens…

</em>À gauche : D’après Diego Vélasquez, <em>  Homme tenant un verre à la main <em> / À droite : Diego Velasquez, <em>Démocrite le géographe</em> (vers 1628)
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À gauche : D’après Diego Vélasquez, Homme tenant un verre à la main / À droite : Diego Velasquez, Démocrite le géographe (vers 1628)

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Coll. musée Anders Zorn, Mora / Coll. musée des Beaux-Arts de Rouen

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Le Temps des collections VIII : Trésors et mystères

Du 29 novembre 2019 au 24 février 2020

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