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Le triomphe arc-en-ciel

Après une campagne particulièrement émotionnelle, le référendum contre la criminalisation de l’homophobie échoue largement. Les associations LGBT saluent une journée historique et mettent le cap sur leur prochain objectif: le mariage pour tous. L’analyse du vote montre un clivage moral dans le pays

Au siège des partisans d’une nouvelle norme contre la discrimination selon l’orientation sexuelle, ce dimanche 9 février 2020 à Berne. — © keystone-sda.ch
Au siège des partisans d’une nouvelle norme contre la discrimination selon l’orientation sexuelle, ce dimanche 9 février 2020 à Berne. — © keystone-sda.ch

La discrimination selon l’orientation sexuelle sera interdite. A 63,1% des suffrages, la population et la majorité des cantons – à l’exception notable d’Uri, de Schwytz et d'Appenzell Rhodes-Intérieures – ont soutenu l’interdiction de l’homophobie. Elle rejoint l’appartenance raciale, ethnique et religieuse au sein de la norme pénale contre le racisme. Les mises en garde des référendaires de l’Union démocratique fédérale (UDF) contre une limitation excessive de la liberté d’expression n’ont pas pesé lourd au terme d’un scrutin qui consacre un changement sociétal profond en Suisse.

L'interview de Mathias Reynard:  «La norme contre l’homophobie est l’aboutissement de sept ans de travail»

Les paillettes de la victoire

L’annonce des premiers résultats avait toutefois commencé par un léger flottement au quartier général des partisans de la nouvelle norme à Berne. Quelques minutes après midi, le canton de Schwytz dit non. La victoire annoncée serait-elle compromise? Les fronts se barrent de doute, l’ambiance festive hésite. Puis la télévision alémanique détend les visages contrits: plus de 60% de la population soutient la nouvelle norme, dont le canton de Vaud à plus de 80%. «Whooooo!» exulte la foule colorée. Une bombe à paillettes couvre l’assemblée de ses dorures. La fête peut commencer, elle comportera plusieurs numéros de drag-queens.

«C’est une grande victoire, se réjouit Muriel Waeger, directrice romande de l’association Pink Cross et de l’Organisation des lesbiennes (LOS). Ces questions nous touchent très personnellement. C’est un succès phénoménal.» A l’heure de sabrer le champagne – dont les bouchons sautent un peu partout dans la salle –, la militante regarde déjà vers l’avenir. «Cette réussite est un signal en faveur du changement, dit-elle. La prochaine étape concernera le mariage civil, qui sera discuté au parlement ce printemps. Nous demandons qu’il inclue la procréation médicalement assistée. Le dossier concernant le changement de genre facilité des personnes trans est également dans notre viseur. Cette victoire nette simplifiera la discussion autour de ces objets.»

Pendant la campagne, notre débat sur cette norme

L’UDF défendra le mariage «divin»

La décision est en effet sans équivoque. En 1994, l’institution de la norme pénale contre le racisme s’imposait également, toutefois seuls 54,6% des votants lui accordaient leur suffrage et 13 cantons refusaient l’objet. Un quart de siècle plus tard, la société suisse s’est manifestement transformée. En exemple le Valais: en 1994, le canton alpin refusait à plus de 55% la norme contre le racisme. En 2020, il accepte celle contre l’homophobie à plus de 60%.

Déçus mais pas résignés, les référendaires ont pris acte du résultat: «Nous sommes heureux d’avoir pu imposer le débat au niveau national et le pourcentage atteint est très bon, commente Marc Früh, représentant romand du petit parti. L’objectif est atteint!» A l’instar des gagnants du jour, le Bernois affûte déjà ses armes pour le prochain combat: l’opposition au mariage pour tous. «Que chacun vive sa vie sexuelle comme il veut, souligne l’évangéliste. Mais l’union d’un homme et d’une femme, c’est quelque chose de divin. Nous sommes prêts à le défendre.»

L’analyse de Microgis: la résurgence d’un clivage original?

© Microgis
© Microgis

La norme pénale contre l’homophobie a été attaquée par un parti protestant conservateur, l’UDF, et la votation permet d’illustrer un clivage qui ne se manifeste qu’assez rarement en politique fédérale: le clivage opposant une modernité sociétale, et souvent métropolitaine, à un conservatisme religieux, qu’il soit protestant ou catholique, généralement périphérique.

En Suisse alémanique, la carte correspond à ce clivage: le oui est emmené par les grandes villes, suivies par leurs banlieues, et plus curieusement par l’essentiel des Grisons, alors que les périphéries conservatrices du pays, souvent en montagne, de Gstaad à Appenzell, mais aussi sur les crêtes jurassiennes évangéliques, voire dans certaines régions conservatrices de plaine (les protestants du district argovien de Kulm) s’opposent clairement au texte.

Toutefois, l’explication ne s’étend pas aux régions latines du pays, qui soutiennent très largement la nouvelle norme pénale – l’expression, plus classique, d’un autre rapport à l’Etat qu’en Suisse alémanique: l’idée de l’interdiction étatique est bien mieux tolérée chez les Latins que chez les Alémaniques, plus sensibles à l’intrusion de l’Etat dans les libertés individuelles. On pourrait presque dire que la carte se corrèle avec la pratique religieuse, de quelque obédience que ce soit: des métropoles de plus en plus sécularisées, contre des redoutes encore fortement marquées par la religion. (Pierre Dessemontet, Microgis)