"La radicalisation, ce n'est pas un aller sans retour" : comment le programme Pairs change des ex-djihadistes

Quartier de prévention de la radicalisation à la prison de la Santé (photo d'illustration) ©AFP - Dominique Faget
Quartier de prévention de la radicalisation à la prison de la Santé (photo d'illustration) ©AFP - Dominique Faget
Quartier de prévention de la radicalisation à la prison de la Santé (photo d'illustration) ©AFP - Dominique Faget
Publicité

Ce programme de "ré-affiliation sociale" a été créé pour tenter de déradicaliser des ex-djihadistes. Une mission complexe mais qui produit de premiers résultats encourageants. Nous avons rencontré des acteurs et des bénéficiaires de ce programme.

Ils sont un peu plus de 70. Répartis entre Paris, Lyon, Lille et Marseille. Ils sont âgés de 18 à 40 ans. Tous ont été sélectionnés par l’administration pénitentiaire, pour suivre, de manière obligatoire, ce programme baptisé PAIRS (Programme d'accueil individualisé de ré-affiliation sociale). Nous y croisons une jeune femme qui a vécu deux ans sous le califat de Daech, avec ses deux jeunes enfants. Dans l’attente de son procès pour terrorisme, en plus de ses pointages réguliers au commissariat, elle se rend chaque semaine dans cette association, où elle a trouvé des sauveurs, dit-elle, en gardant son anonymat :

"C'est un suivi sur mesure, c'est ça qui est important. On n'est pas des numéros, on n'est pas que des chiffres, on n'est pas qu'un nom et un dossier. On sait que c'est une obligation mais ce n'est pas vraiment une contrainte : on y va avec plaisir, on est contents de rencontrer les gens. Il y a énormément de bienveillance. On sait qu'on rend des comptes, mais on est considérés comme des personnes intelligentes, capables. Ça change énormément, on se sent en confiance, en sécurité. Ça permet de ne pas se braquer, sinon je n'aurais pas pu autant évoluer."

Publicité

Celui qui a le plus contribué à la faire évoluer, c'est l'aumônier musulman de la prison où elle est restée détenue plus d'un an. Cet aumônier est aussi médiateur interculturel du fait religieux, dans ce programme Pairs. C'est avec le Coran qu'il fait réfléchir d'ex-djihadistes. En relisant avec eux certains versets, il tente de leur démontrer que Daech a pu leur mentir sur la religion, et il réussit parfois à instaurer les premiers doutes.

"Une fois le premier domino tombé, il est plus facile de faire suivre les autres, parce que cette idéologie se vend comme infaillible."

"La radicalisation, c'est pas un aller sans retour", explique l'aumônier. "Il est possible d'accompagner une personne à se sevrer du discours radical. Mais sa volonté reste l'élément le plus important. Si la personne ne veut pas, même le Zidane de la déradicalisation ne peut rien faire."

"Traiter les vulnérabilités" exploitées par le discours radical

Jules Boyadjian est le directeur de l'association Artemis, au sein du groupe SOS, missionnée depuis l'année dernière, pour ce programme d'accompagnement. Il prône la prise en charge globale dans son association, avec médiateur religieux, éducateurs, psychologues, et même proposition d'hébergements pour des radicalisés. "Le discours radical va avoir d'autant plus de prise qu'il va y avoir des vulnérabilités", assure-t-il. "Travailler simplement sur le discours radical, sans traiter les vulnérabilités de la personne, c'est prendre le risque qu'elle soit toujours exposée au discours radical. C'est pour ça que l'accompagnement doit être global."

Une des questions cruciales, est celle de la dissimulation. Le fait de travailler en pluridisciplinarité aide à la repérer, estime Lucile Gauthier, directrice du programme Pairs à Marseille : "Ce qui est important, c'est le croisement des regards des professionnels. C'est à travers l'ensemble des éléments et des incohérences qui peuvent apparaître qu'on va identifier où il y a quelque chose à creuser."

Lors d'une visite récente pour s'assurer de la valeur de ce programme ambitieux, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a semblé convaincue : "Toutes les personnes ne sont pas forcément éligibles à ce type de dispositif. En tout cas, pour ceux pour lesquels on repère une adhésion possible à ce dispositif-là, il faut le mettre en place."

"Je pense que c'est plus sécurisant qu'on ait ce type de structures plutôt que rien, et simplement du suivi par renseignement"

L'association se sent encouragée, mais elle reconnaît aussi humblement que, dans la lutte contre la radicalisation, il est impossible d'avoir des certitudes.

L'équipe

pixel