Pourquoi les paysans vont sauver le monde

VIDÉO. À la veille du Salon de l'agriculture, la géographe Sylvie Brunel publie un livre choc appelant les Français à retrouver la raison.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 4 min

Est-ce parce qu'elle a longtemps œuvré à l'ONG Action contre la faim ? Est-ce parce qu'elle mesure, en tant que géographe, les défis colossaux que l'humanité va devoir relever pour nourrir, demain, 10 milliards d'êtres humains, dont deux tiers d'urbains, dans des territoires bouleversés par le réchauffement climatique ? Est-ce parce qu'elle connaît les promesses et impasses des différents modèles agricoles pour les avoir étudiés dans le monde entier ? Face aux débats enflammés que suscitent, en France, les pratiques des agriculteurs, face à l'agribashing de plus en plus violent qu'ils affrontent, Sylvie Brunel se désespère. « On pense qu'on pourra, égoïstement, faire notre petite agriculture personnelle, bio et locale ? C'est de la folie, et contre toutes les valeurs humanistes… »

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"Pourquoi les Paysans vont sauver le monde", ed. Buchet Chastel, 19€

Dans son dernier ouvrage, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, qui paraît jeudi 13 février aux éditions Buchet-Chastel, la géographe lance un appel vibrant, et très documenté, aux consommateurs et décideurs français à « retrouver la raison », en rappelant quelques fondamentaux constamment occultés dans le débat public. La faim, contrairement à la perception qu'en ont nos sociétés choyées, n'a pas disparu : « Près d'un milliard de personnes en souffrent toujours dans le monde. Et, en France, 9 millions de pauvres n'ont pas les moyens de faire trois repas corrects par jour. » Les injonctions à se passer entièrement de pesticides et à se convertir au bio révèlent une cécité politique qui répond à des « attentes contradictoires » de l'opinion : chacun veut une nourriture belle, saine, variée, produite dans le respect de l'environnement sans exploiter une main-d'œuvre corvéable, accessible afin de n'être pas réservée aux élites… Et rémunératrice pour les femmes et les hommes qui la produisent. Comment résoudre cette équation, alors que l'agriculture biologique entraîne des rendements inférieurs de 25 % en moyenne (jusqu'à 50 % pour les céréales) et que le changement climatique affecte des pans entiers de territoires et entraîne une recrudescence de nuisibles ?

« La France a la mission de sécuriser son environnement géographique »

« Les terres cultivées n'occupent que 12 % des terres émergées libres de glaces et seulement 2 % de ces terres sont cultivées intensivement », rappelle l'autrice. Le reste ? « Des savanes, des marais, des steppes, des forêts… » Pour produire les 3,5 milliards de tonnes de céréales nécessaires à l'humanité en 2050, « il faudra augmenter leur productivité de 14 % par décennie ». Qui le fera, et comment ? « En ce moment même, s'alarme la géographe, les habitants du nord-est de l'Afrique, du Proche et Moyen-Orient sont tétanisés par le péril monstrueux des criquets qui traversent la mer Rouge et menacent un territoire de 29 millions de kilomètres carrés. La flambée des prix du pain entraîne des révolutions. De nouvelles pathologies des plantes ou des animaux apparaissent : le mildiou fait un retour en force, un nouveau champignon détruit les tomates… Va-t-on à nouveau souffrir de la faim en Chine ? » Ces questions, martèle Sylvie Brunel, concernent le monde entier, et la France au premier chef qui, en tant que première nation agricole d'Europe, « a la mission de sécuriser son environnement géographique ». « Nous nourrissons l'Algérie ! »

Dans ce contexte, sauf à s'accommoder de la mort de dizaines de millions d'êtres humains, le « productivisme » tant décrié a encore de l'avenir…

« Nous sommes en train de tuer l'efficacité de notre agriculture »

D'où ce constat désolé : « Nous allons bientôt interdire le glyphosate sans fondement scientifique. Dans quelques mois, on supprimera un conservateur de la pomme de terre, alors que nous en sommes le premier exportateur au monde. C'est de la folie ! Nous ne cessons de stigmatiser l'agriculture la plus performante pour promouvoir des modèles qui coûtent une fortune, exigent une main-d'œuvre que nous n'avons pas et ne sont pas meilleurs pour la santé… Le bio a toute sa place dans nos campagnes, notamment pour valoriser de petites surfaces. Mais il faut à tout prix cesser d'opposer les modèles ! Nous sommes en train de tuer l'efficacité de notre agriculture. Nous exportons de moins en moins, importons de plus en plus. Lorsque nous aurons perdu notre indépendance alimentaire, détruit nos paysages, il sera trop tard. »

Lire aussi Le rapport qui éreinte les aides publiques à la filière bio

L'ouvrage recense les attentes qu'exprime la société, et offre des clés d'analyse. Jusqu'à quel point peut-on fonctionner en circuits courts ? Quels sont les avantages et les limites du bio ? Comment prévenir le retour de contaminations ou de pénuries ? Comment mieux protéger les sols, la biodiversité, l'eau ? « Au lieu de stigmatiser nos paysans, qui font des efforts considérables dans un contexte extrêmement difficile, nous devrions les soutenir. Nous aurons besoin de tous les modèles et ils ont entre leurs mains toutes les solutions. » Un plaidoyer pour une agriculture diverse, responsable, faible en intrants chimiques et respectueuse de l'environnement, mais une agriculture productive, fière de son excellence et consciente de son rôle stratégique, que nos dirigeants politiques, avant d'arpenter les allées du salon, seraient inspirés de lire.

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Commentaires (52)

  • Papyboss

    Cet extrait de Quillette montre bien que l'élevage n'est en rien néfaste aux écosystèmes bien au contraire. :
    "Il est de plus en plus reconnu que les herbivores constituent en réalité un élément essentiel de la biodiversité des paysages. Prenons l'exemple des prairies du Trundle – une ancienne colline fortifiée datant de l'âge du fer proche de Goodwood, dans le West Sussex. Pour entretenir les primevères, les orchidées, les pimprenelles, le thym et toutes les autres plantes poussant dans l'herbe fine, les moutons sont essentiels. Une tonte mécanique réussit rarement à conserver la biodiversité aussi efficacement que les herbivores, dont les excréments, l'urine, les sabots et les instincts ne peuvent être reproduits par des machines.
    Des institutions comme le National Trust ont même observé que les herbivores réussissaient bien mieux que les humains à maintenir des environnements naturels complexes. Sur les falaises blanches de Douvres, ce sont des poneys d'Exmoor qui entretiennent l'environnement quasiment sans aucune aide humaine. Depuis plus de vingt ans, leur action sur la biodiversité de la région aura été "extrêmement positive".
    Les bois de la New Forest, de Sherwood ou d'Epping, entre autres grandes forêts britanniques, doivent leur diversité et leur exceptionnelle beauté au sylvopastoralisme – des pâtures en forêt. Des systèmes qui ont beaucoup de points communs avec le paysage pré-humain originel, que l'on pense aujourd'hui avoir été fortement façonné par les herbivores sauvages. Le gouvernement britannique reconnaît le rôle important que jouent ces animaux et affirme que le meilleur moyen de «renaturer» le Royaume-Uni consiste à utiliser des herbivores modernes comme substituts à la mégafaune disparue – aurochs et élans. Dans ce système paysan naturaliste, les humains prennent la place des carnivores.
    L'idée que l'élevage fasse davantage partie de la solution plutôt que du problème est de plus en plus probable, logique et enthousiasmante. "

  • un Savoyard en Nelle-Zélande

    Ce bouquin sent le conformisme, voire le soutien à la pensée des dominants de l'agro- industrie. Oui, 1Md d'humains ne mangent pas à leur faim. Mais un bœuf ou un cochon mange 6 fois son poids en céréales. Les vegans ont raison de dire que l'élevage industriel est criminel. Non seulement, il ôte le pain de la bouche des pauvres mais il cause indirectement la destruction des forêts et savanes. On nourrit nos bêtes avec du tourteau de palme ou de soja. L'INRA a démontré que l'agroécologie est la solution. Ne mangeons que la viande la meilleure produite là où on ne peut rien faire d'autre : en montagne ou dans les marais. Ne donnons les céréales qu'aux humains. Et les problèmes de la faim, de la conservation des sols et des écosystèmes seront résolus. Quoiqu'en disent BAYER, la FNSEA, Sylvie BRUNEL et LE POINT.
    Désolé, il faut se convertir. Ça urge. Sortons des sentiers battus. On a un cerveau et un cœur !

  • agusta

    Sylvie Brunel a tout à fait raison, cessons de croire que la demande alimentaire est satisfaite alors que des millions de personnes continuent de souffrir de la faim. Et ce n'est pas en transformant l'agriculture productiviste en système bio qui entraîne une chute des rendements de l’ordre de 25% qui permettra de combler les besoins. Alors soyons lucides et faisons confiance à nos paysans et cessons la suspicion généralisée des productions agricoles françaises.