Il y a 70 ans, la création du SMIG

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Il y a 70 ans, la création du SMIG

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Le gouvernement de René Pleven (le plus grand, au milieu, au premier rang) a mis en place le SMIG en France. Ici, sur le perron de l'Élysée le 12 juillet 1950.
Le gouvernement de René Pleven (le plus grand, au milieu, au premier rang) a mis en place le SMIG en France. Ici, sur le perron de l'Élysée le 12 juillet 1950.
© Getty - Keystone-France

Entretien. Le 11 févier 1950, la loi instaurant le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) était adoptée en France. Instrument de régulation de l'économie à ses débuts, le salaire minimum est peu à peu devenu un outil de justice et de cohésion sociale. Analyse avec l'économiste Jérôme Gautié.

Le salaire minimum a 70 ans en France. Instauré par la loi du 11 février 1950, le SMIG est alors basé sur une durée de travail de 45 heures par semaine, et fixé à 78 francs de l’heure à Paris. Il deviendra le SMIC en 1970 (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) et constitue toujours le salaire minimum auquel une entreprise peut aujourd'hui rémunérer son salarié. Entretien avec Jérôme Gautié, professeur d'économie à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur de l'Institut des Sciences Sociales du Travail (ISST) de Paris I.

Le SMIG est créé en France en 1950 : pourquoi à ce moment-là ?

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La loi qui crée le SMIG vise un objectif plus général puisqu’elle restaure la liberté de négociation des salaires, notamment la liberté de négociation collective. Car les salaires étaient bloqués et contrôlés par l'Etat depuis 1939. Les syndicats comme le patronat étaient en faveur du rétablissement de la négociation salariale et de la fixation des salaires. La loi du 11 février 1950 porte ainsi sur les conventions collectives et sur la restauration de la négociation collective. Et à l'intérieur de cette loi, l’article 31 est consacré à la création d'un salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). On restaure la liberté de négociation des salaires mais dans les secteurs où les syndicats sont faibles, la crainte était que cela se traduise par des salaires vraiment très bas. Le salaire minimum devait venir “suppléer” aux "trous" laissés dans le système de négociation collective et était vraiment considéré comme un plancher, le but était d’éviter les situations d'exploitation les plus extrêmes.

En même temps, cette mesure n’était pas dénuée d’arrière pensées, portée par des gouvernements démocrate-chrétiens avec Georges Bidault au poste de président du Conseil lors de l'adoption de la loi. Au moment de la mise en œuvre du texte, René Pleven lui avait succédé et il l'a dit explicitement par la suite, il voulait aussi couper l'herbe sous le pied du communisme.

Le détail du texte de la loi de 1950
Le détail du texte de la loi de 1950
- Archives nationales. Creative Commons

Le salaire minimum est donc créé cinq ans après la Sécurité sociale : pourquoi a-t-on attendu pour proposer cette mesure, elle aussi sociale ?

Parce que ce n'était pas du tout conçu comme un pilier de la Sécurité sociale. Les enjeux étaient plutôt macroéconomiques pour le gouvernement de l’époque. D’ailleurs, on instaurait un salaire minimum mais on ne voulait surtout pas qu’il puisse alimenter une spirale inflationniste. Les gouvernants ne voulaient pas qu’il soit pris comme référence du premier niveau des conventions collectives. Une éventuelle augmentation du salaire minimum ne devait pas se répercuter sur toute la grille des autres salaires. En revanche, c'est exactement ce que voulait la CGT, qui était très puissante à l'époque : que chaque augmentation du SMIG se transforme en une augmentation générale de tous les salaires, suivant la même proportion.

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Le SMIG a-t-il rempli son rôle ?

Selon certaines estimations, 30% des salariés touchaient moins que le salaire minimum au moment où il a été introduit. C'est quand même assez considérable, sachant que certains touchaient un petit peu moins, d'autres sans doute nettement moins. Il y a eu des augmentations dans les toutes premières années, entre 1950 et 1954. Mais à partir de 1955 et jusqu'en 1968, le SMIG ne va pas progresser plus vite que l'inflation : le pouvoir d'achat est maintenu mais il n’augmente pas. 

Sachant que le montant du SMIG était différent selon l’endroit où l’on vivait_._ Vous aviez des zones de salaires et ces zones étaient calculées en fonction du coût de la vie. Chaque municipalité était classée dans une zone de salaire selon le coût de la vie estimé. Le SMIG de Paris était la référence et ensuite, il y avait un abattement progressif - d'autant plus élevé que le coût de la vie était estimé plus faible par rapport à Paris. Ce système a peu à peu été abandonné avec de moins en moins de zones et en 1968, il n’y avait plus qu’une seule zone.

Et l’efficacité du salaire minimum a-t-elle été évaluée ?

Jusqu’en 1981, qu’il s’agisse du SMIG ou du SMIC, je n’ai trouvé aucune évaluation, sauf une, publié par un certain Eastman, un Canadien, qui publie un article dans la American economic review en 1954 sur les toutes premières années du SMIG. Et contrairement aux souhaits du gouvernement, il dit que les premières augmentations du SMIG se sont répercutées de façon pratiquement intégrale sur l'ensemble de la hiérarchie des salaires. D'après les statistiques descriptives qu'il a pu rassembler, cela n'a pas eu d'impact notable sur l'emploi. Mais c'est tout ce qu'il dit. Encore une fois, on est dans une période de plein emploi, où la question du chômage est assez secondaire. Elle va quand même apparaître un peu plus tard, dans la deuxième moitié des années 50 et durant les années 60.

Un des arguments forts pour ne pas trop augmenter le SMIG était de protéger ce que l'on appelait à l'époque les entreprises marginales : les petites entreprises qui vivotaient avec les faibles salaires, dans le monde monde rural notamment, alors que l'on était dans une période de forte modernisation de l'économie, de forte concentration, de développement, etc. Le gouvernement ne voulait donc pas en rajouter en imposant un salaire minimum qui pourrait fragiliser toutes ces entreprises à la marge. Le poujadisme était fort à ce moment là et défendait les petits artisans, les petits entrepreneurs, tous ceux qui souffraient à la fois de la modernisation de l'économie et des impôts

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Pourquoi le SMIC remplace-t-il le SMIG en 1970 ?

C'est une conséquence directe de la grande rupture créée par mai 68. Lors de la réunion de Grenelle (qu’on appelle abusivement les accords de Grenelle, car il n’y a pas eu d’accord mais plutôt un protocole qui a plus ou moins été appliqué par la suite), la première revendication des syndicats était une très forte augmentation du salaire minimum : 35%. Et tout de suite, le chef du patronat accepte. Il accepte parce qu'il est persuadé que la révolution, la quasi révolution sociale, est due notamment au fait que le salaire des moins qualifiés a décroché. 

Quand on regarde les chiffres de l'époque, le pouvoir d'achat du SMIC a augmenté de 25% entre 1951 et 1967. Mais en fait, ce gain a eu lieu avant 1955 et, de 1955 à 1967, le pouvoir d'achat du SMIG n'a pratiquement pas changé. Sur la même période (1951-1967), le pouvoir d'achat du salaire moyen (pour une personne travaillant à temps plein) avait plus que doublé (+102%). Donc, à la veille des événements de 1968, on a un niveau d'inégalité salariale en France qui est supérieur à celui des Etats-Unis ou du Royaume-Uni. On l’a oublié aujourd’hui.

Mais dans la délégation patronale, tout le monde n’est pas d’accord ? 

Non mais cette décision l'emporte. Pompidou, qui a assisté à la séance, était atterré que le patronat lâche les 35%... Il s'est tourné vers son conseiller en disant “ils sont fous !” Parce que trois mois avant, le patronat avait refusé une augmentation de 3% du SMIG… Mais voilà en 1968, tout le monde a eu très peur. Certains pensaient même qu'il y avait une menace de coup d'État communiste, etc. Le patronat moderniste, à la tête des plus grandes entreprises a estimé qu’on avait frôlé la révolution sociale et qu’il fallaitmieux répartir les fruits de la croissance.

On est alors sous un gouvernement de droite gaulliste avec Georges Pompidou Président et Jacques Chaban-Delmas comme Premier ministre. Le rapporteur de la loi qui crée le SMIC, Pierre Herman, déclare que le SMIG a échoué dans son rôle de “salaire de civilisation”. Il utilise ce terme et c'est un mot fort car selon lui, le SMIG a échoué comme outil de cohésion sociale en laissant de côté tout un pan de personnes qui n'ont pas profité des fruits de la croissance. Donc, il faut faire en sorte qu'on ait un salaire minimum qui fasse bénéficier aussi ceux qui sont en bas.

Le SMIC reste un salaire plancher mais il devient aussi un salaire facilitant la cohésion sociale et une meilleure répartition des fruits de la croissance. Et pendant les années 70, le SMIC va progresser deux fois plus vite que le salaire moyen. Le salaire moyen passe de l’indice 202 à 310. Le SMIC lui, va passer de 125 à 289, sur la même période, de 1970 à 1983, jusqu’au tournant de la rigueur.

Comment est calculé le SMIC ? 

Il y a trois mécanismes de fixation. Il reste indexé sur les prix comme le SMIG l'était depuis 1952, mais de façon plus étroite qu'avant. Dès que l'indice des prix augmente de 2%, le SMIC augmente immédiatement, dans le mois qui suit. Il est aussi indexé (de façon partielle) sur le salaire moyen des ouvriers, ce qui est une façon de l'indexer à l'ensemble des autres salaires et donc au taux de croissance de l'économie. D'où l'appellation de salaire minimum interprofessionnel de croissance. Ce sont les dispositifs légaux. Et et au delà, l'Etat peut, de façon discrétionnaire à tout moment, augmenter le salaire minimum plus que ne l'exige ces mécanismes d'indexation des coûts. C'est ce qu'on appelle les coups de pouce. De 1970 au début des années 80, le gouvernement va utiliser ces coups de pouce pour justement réduire les écarts de salaire. Et c'est là qu'on voit en même temps en France, les inégalités salariales fortement baisser et le salaire minimum est le principal outil de cette baisse.

Ce qui était un outil de stabilisation de l’économie s’est donc transformé en instrument de justice sociale, mais aussi de cohésion et de partage des fruits de la croissance.

POUR ALLER PLUS LOIN :

- SMIC, quatre lettres, un combat, Affaires sensibles (France Inter), 25 janvier 2018

- Détail du texte instituant le salaire minimum interprofessionnel garanti (S.M.I.G)Archives du gouvernement

- D’un siècle à l’autre : salaire minimum, science économique et débat public aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni (1890-2015), Jérôme Gautié, dans Revue économique 2018/1 (Vol. 69), pages 67 à 109

- Aux origines du salaire minimum, par Michel Husson, économiste à l'Ires, membre du Conseil scientifique d’Attac.