ULB et Charlie Hebdo : lettre ouverte aux nouveaux censeurs de gauche
Une opinion de Manuel Abramowicz, journaliste indépendant pour RésistanceS, cofondateur du MRAX-Jeunes, ex-étudiant de l'ULB.
- Publié le 19-02-2020 à 14h46
- Mis à jour le 20-02-2020 à 11h15
Une opinion de Manuel Abramowicz, Djemila Benhabib, Claude Demelenne, Silvio Marra, Anne Morelli, Theo Poelaert et Maxime Ramirez (1).
Après les pressions vaines pour empêcher l'ULB d'accueillir, le 13 février, deux membres de "Charlie Hebdo", nous tirons le signal d'alarme face à la dérive de certains militants antiracistes qui se comportent en nouveaux censeurs.
Vous vomissez Charlie Hebdo. Trop impertinent. Trop iconoclaste. Trop libre. Après lui avoir fait un procès à charge. Les preuves de votre verdict à sens unique se basent sur quelques dessins et prises de position de ce journal satirique. Ce 13 février, avec une poignée de syndicalistes étudiants et de féministes de l'ULB, vous avez lancé votre cri dogmatique : "Pas de réactionnaires sur nos campus !". Les "réactionnaires" pour vous ce sont, sans rire – vous n'avez pas d'humour – les rescapés de la tuerie du 7 janvier 2015 contre Charlie, les journalistes et les dessinateurs qui ont échappé aux balles de deux "fous de Dieu". Les affreux réactionnaires, pour vous, sont ceux qui vivent toujours sous protection policière permanente parce qu'ils sont menacés de mort. Traqués, comme des bêtes. Pour avoir commis le crime de dessiner des caricatures !
Un communiqué de presse surréaliste
Dans un communiqué de presse surréaliste, vous dénoncez les autorités académiques, "honteusement complices des réactionnaires de Charlie". Leur délit ? Elles ont invité pour une conférence sur la liberté d'expression, deux membres de ce journal qui vous obsède. Ce journal qui résiste à la bien-pensance, de droite comme de gauche, et que vous voudriez tant voir réduire au silence.
Dans votre texte, vous écrivez : "Charlie Hebdo se place en opposition à ceux qui remettent en question les privilèges blancs, hommes, hétéros, bourgeois". Vous affirmez ne plus vouloir "subir les dominations bourgeoises, blanches et cis hétéro patriarcales". Votre charabia mêle tout, obscurcit tout. Propose contre le discours dominant un contre-discours dogmatique.
Notre position est claire, comme l'écrit Michel Boucher, dans La gauche et la race (L'Harmattan, 2018), nous sommes de ceux qui pensent que "la gauche doit revenir à ses fondamentaux égalitaristes, universalistes, anticléricaux, conflictualistes et émancipateurs pour œuvrer au progrès par la lutte et à la transformation des rapports sociaux vers plus de justice sociale et d'humanité".
Non au sectarisme de gauche
Il paraît que vous êtes de gauche, syndicalistes, féministes. Défenseurs de la liberté d'expression. En tout cas, la vôtre. Mais vous vous comportez en nouveaux censeurs. Peu nombreux mais hyperactifs, vous noyautez certaines assemblées, associations et syndicats étudiants.
Nous, nous sommes des partisans de la liberté d'expression. Nous n'aimons pas la gauche sectaire. La gauche qui caporalise le débat public en imposant des œillères et en diffusant au final un nouveau conservatisme réactionnaire ! C'est une gauche qui refuse le débat. Pire, elle censure, ou tente de censurer les opinions différentes qui lui déplaisent. Dans un passé récent, le journal antifasciste RésistanceS a également été confronté à ce nouveau sectarisme. Des adeptes de celui-ci ont fait pression – en contradiction avec les valeurs du libre examen – sur des participants et des partenaires de ses forums contre l'extrême droite, sous prétexte que l'un des orateurs devait être persona non grata. Cette gauche-là, sectaire, cultivant l'entre-soi, nous inquiète.
Nous sommes inquiets
Nous sommes inquiets, face à la dérive de certains "camarades" qui se comportent en nouveaux censeurs de gauche.
Nous sommes inquiets face à la confusion idéologique de ceux qui veulent remplacer la lutte des classes par la lutte des races.
Nous sommes inquiets face aux errements de ceux qui ménagent les obscurantismes religieux et clouent au pilori ceux qui les dénoncent.
Nous sommes inquiets face aux manipulations de ceux qui, sous couvert de "combat décolonial" – un juste combat – analysent la société à travers le prisme unique d'un clivage manichéen entre "Blancs" et "non-Blancs".
Pour des débats durs
Nous n'attendons pas de vous un soutien absolu à la "ligne Charlie". Plusieurs des signataires de cette "lettre" ont d'ailleurs certaines divergences de fond avec Charlie. Là n'est évidemment pas la question. La vraie question est celle de la liberté d'expression qui ne peut se passer de débats durs, contradictoires, sans concession.
Les nouveaux censeurs de gauche ne sont pas plus sympathiques à nos yeux que les vieux censeurs de droite.
--> (1) : Manuel Abramowicz, journaliste indépendant pour RésistanceS, cofondateur du MRAX-Jeunes, ex-étudiant de l'ULB, Djemila Benhabib, politologue et écrivaine, Claude Demelenne, Silvio Marra, ancien membre de la délégation FGTB des Forges de Clabecq, cofondateur de Quartier sans racisme, Anne Morelli, historienne, professeure à l'ULB, ex-vice-présidente du MRAX, Theo Poelaert, artiste, libraire, et Maxime Ramirez, étudiant à l'ULB, militant progressiste.