Koba LaD aurait voulu saboter sa carrière qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Depuis les années 2010, les artistes de culture urbaine, rap comme dancehall, savent que les propos haineux et homophobes qu’ils peuvent tenir dans leurs chansons ou en public risquent de mettre fin, à raison, à leur carrière. A 19 ans, Koba LaD, dont les deux premiers disques sont certifiés disque de platine et dont la tournée des festivals d’été s’annonçait triomphale, est en train d’en faire l’expérience.
Le 16 février, en soirée, le rappeur relaie sur sa « story » Snapchat la capture d’écran d’un de ses contacts, soit l’article d’un site, Franbuzz, habitué des infos sensationnelles et des fake news, titré : « Ce père tue son propre fils de 14 ans parce qu’il était gay ». Au-dessus du titre, des émojis (poignées de main) et, dessous, un commentaire : « Bien joué ! »
L’article raconte le meurtre qui a eu lieu en novembre 2017 dans une petite ville américaine en périphérie de Las Vegas (Nevada) d’un adolescent de 14 ans, homosexuel, tué par son père qui préférait « le voir mort plutôt que gay ». Koba LaD l’a inclus dans sa « story » comme s’il s’agissait d’un banal fait divers.
« Une dinguerie »
Dès le lendemain, à 13 heures, le relais a disparu de son Snapchat et le rappeur, dans une vidéo, tente de s’expliquer… en s’enfonçant encore un peu plus. Grand sourire, les dreadlocks dans les yeux, il commente : « On essaie de polémiquer, de me coller une étiquette d’homophobe. Moi, je ne suis pas homophobe. Chacun pour soi, Dieu pour tous. Moi, j’ai mis un screen [capture d’écran] hier et c’est vrai je n’aurais pas dû le mettre, mais je cautionne pas du tout le meurtre, ni l’enfant gay. Rien à voir, hors sujet, c’est une incompréhension (…). Il faut souligner que le screen (…), les mains qui se serrent, le « bien fait », c’est pas moi qui l’ai marqué. »
Quelques heures plus tard, à 23 h 25, dans un Tweet rempli de fautes d’orthographe, le rappeur réitère ses excuses : « Que ce soit clair la famille : je ne cautionne pas le meurtre et je suis contre l’homophobie. On m’avait envoyé l’image d’un homme qui avait tué son fils parce qu’il était gay. J’étais choqué parce que c’était une dinguerie, c’est pour ça que j’ai reposté. J’ai fait ça en quelques secondes sur mon tel, j’ai pas capté le « bien joué ». C’est de ma faute, j’aurais dû mieux voir… »
Des excuses « inappropriées et insuffisantes »
Ces excuses pour le moins maladroites n’y feront rien. Le 18 février, les organisateurs du Main Square Festival, à Arras (Pas-de-Calais), le déprogramment : « Si nous voulons croire en la maladresse d’un jeune homme dont les actes ont pu dépasser la pensée dans un contexte d’hyperconnectivité, il n’en demeure pas moins que les idées qui ont été véhiculées n’ont pas leur place dans la Citadelle [d’Arras]. » Ceux du VYV festival, à Dijon (Côte-d’Or), sont plus cinglants et appellent l’intéressé à prendre ses responsabilités : « Maladresse ou conviction, il en va de la responsabilité d’un artiste populaire, quels que soient son âge et ses positions, de ne pas susciter par son comportement la haine à l’égard de l’autre. »
Cinq autres annulations, et non des moindres, vont suivre : Garorock (Marmande, Lot-et-Garonne), le festival de Dour, en Belgique, puis We Love Green (Paris) et Marsatac (Marseille), qui sont pourtant habitués aux provocations des artistes de rap. Le collectif SOS-Homophobie s’est associé à la vague d’indignation en jugeant les « excuses » de Koba LaD « inappropriées et insuffisantes » pour « masquer l’homophobie décomplexée dont il a fait preuve ».
Ce n’est pas la première fois que des rappeurs doivent assumer les conséquences de propos homophobes. En novembre 2010, 17 concerts (sur une tournée de 25 dates) de Sexion d’assaut avaient été annulés. Dans un entretien au magazine spécialisé International hip-hop publié six mois plus tôt, un des rappeurs du groupe, Lefa, s’était revendiqué « 100 % homophobe ». Face à la levée de boucliers, Sexion d’assaut avait alors entrepris de rencontrer des associations LGBT dans les villes où il avait été déprogrammé, et Lefa avait reconnu que la polémique l’avait fait « mûrir à vitesse grand V ».
Cinq ans plus tôt, en Grande-Bretagne, la campagne Stop Murder Music, qui travestissait sur des affiches les huit chanteurs de dancehall ayant appelé au meurtre d’homosexuels dans leurs chansons, avait amené les labels et les promoteurs de concerts à signer un accord : ces artistes ne pouvaient monter sur scène qu’à la condition de retirer de leur répertoire les textes incriminés. Aux Etats-Unis, deux personnalités du rap récompensées en janvier lors des Grammy Awards, Tyler The Creator et Lil Nas X, ont fait leur coming out, bisexuel et homosexuel, sans que cela ne provoque de réactions hostiles dans leur milieu.
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