Critique

«A mains nues», Amandine Dhée en quête des sens

L’essai féministe, dans une sorte de journal intime à la vérité crue, explore le désir et le plaisir féminins, érigés en actes politiques.
par Antonin Iommi-Amunategui
publié le 19 février 2020 à 19h11

On tient d'abord A mains nues pour un simple mais festif manifeste du désir, du plaisir, féminin mais pas que ; le tout se double bientôt d'une offrande sincère, celle d'un individu doué de con et de conscience, à peu près hétérosexuel, qui se retourne soudain comme un gant, s'efforçant de renverser toutes ses digues intimes pour donner, peut-être, quelque chose d'un peu neuf à lire. Mais, même à mains nues, pas évident de toucher, à l'écrit, par sa seule sincérité : on risque toujours de se laisser bercer par sa propre petite musique, et de dévier vers l'autofiction complaisante, vite écœurante. Ici, ce n'est pas le cas. Amandine Dhée avance à tâtons mais surtout à poil, vulve au vent, à peine voilée - dédoublée par l'écriture ; elle livre ainsi une forme de vérité hachée car crue (voire cruelle parfois) sur elle-même, et sur ce que c'est que d'être humain aussi. C'est-à-dire accro au désir.

Tout y passe, empoigné sans ménagement, dans des allers-retours agréablement décousus, façon étreinte. Le sexe, bien sûr, et son incontournable «continent clitoris» : «Ce n'est pas le moment de refuser de lécher les femmes, mais plutôt d'y voir, en plus du plaisir, un acte politique d'une grande noblesse» ; «Jouir est une si belle façon de désobéir.» Le désir, qui se marre bien en lisière clair-obscur de nous-mêmes : «Dans nos fantasmes, n'est-ce pas toujours nous, les cheffes ?» ; «Nos désirs sont bien plus retors, intelligents et magiques que nous.» La place bétonnée attribuée aux femmes, ciment à prise rapide sous le règne maçonné - ici ou là ébranlé, #MeToo est dans la place, mais tenace - du patriarcat réifiant : «S'excuser, la maladie des femmes» ; «Que les femmes parviennent encore à désirer, leur désir pas complètement éteint, pas cramé à force de faire d'elles des objets, cela tient du miracle.»

Et encore la question-diagonale du genre («nous sommes tous fabriqués»), la maternité («cet amour si fort qu'il pue la mort, la terreur de perdre») et puis, bien sûr, le sentiment amoureux, satellite de tout, à l'origine de la plupart des va-et-vient en nous et hors nous.

Essai féministe impeccable jusque dans ses doutes, ses errances, ses renoncements, A mains nues, c'est le Bad Feminist français, en plus humide ; un exercice de journal intime souvent explosif, où il est en fait sans cesse question de cette liberté essentiellement inconquise d'être et de rester vivant·e.

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