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Entretien

Pergélisol: «Des virus infectieux pour les humains pourraient être réactivés»

Au fil des années, de plus en plus de virus, parfois totalement inconnus de la science, sont découverts dans les sols gelés. Avec la fonte des glaces et les activités de forage dans le pergélisol (permafrost, en anglais), des virus inconnus datant parfois de plusieurs dizaines de milliers d’années, dont la dangerosité pour l’Homme n’est toutefois pas avérée, pourraient revoir le jour.

Une photo fournie, le 7 septembre 2015, par le IGS-CNRS et la faculté de médecine de l'université Aix-Marseille montre les cellules du Mollivirus sibericum, un virus géant découvert par le duo Abergel-Claverie.
Une photo fournie, le 7 septembre 2015, par le IGS-CNRS et la faculté de médecine de l'université Aix-Marseille montre les cellules du Mollivirus sibericum, un virus géant découvert par le duo Abergel-Claverie. AFP PHOTO / IGS-CNRS
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L’un est directeur, l’autre est directrice adjointe et à eux deux, Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel, dirigent le laboratoire Information génomique et structurale (IGS) à Marseille. Ce couple de virologues s’est spécialisé depuis plusieurs années dans la recherche des virus dans le pergélisol. Ils ont notamment découvert, en 2015, un virus géant, datant d'environ 30 000 ans, dans les terres gelées sibériennes. Aujourd’hui, ils estiment que des virus enfermés dans le pergélisol depuis des dizaines de milliers d’années pourraient être libérés et causer un problème sanitaire. Entretien avec les chasseurs de virus.

RFI : Vous menez des recherches sur les virus dans le pergélisol, est-on sûrs aujourd’hui que des virus datant de plusieurs dizaines de milliers d’années emprisonnés dans ce sol gelé peuvent se réactiver ?

Chantal Abergel : On a choisi d’utiliser un système modèle qui nous permet de valider le fait qu’il puisse y’avoir des virus qui sont encore réactivables dans le permafrost. Évidemment, aucun de ceux qu’on a réactivés n'est infectieux pour l'être humain. Par contre s’il y a dans le même environnement des virus infectieux pour l’Homme, au même titre, ils pourront être réactivés à partir de ces mêmes sols.

Jean-Michel Claverie : La preuve de concept a été faite qu’effectivement oui, des virus qui datent de 40 000 ans peuvent être encore infectieux à l’heure d’aujourd’hui. J’étais en Sibérie en août dernier pour reproduire des expériences afin de bien convaincre que les découvertes que l’on a faites n’étaient pas le fruit éventuel d’une contamination extérieure. On a donc refait les expériences et très clairement, on est capable de réactiver d’autres types de virus. Il est clair que jusqu’à 40 000 ans, on ne sait pas pour au-delà, un virus est capable de survivre. Cela permet de penser que des virus infectieux pour les humains pourraient être réactivés.

Le réchauffement climatique est-il un risque pouvant aggraver la libération de ces virus ?

CA : Les risques en termes de quantité sont beaucoup plus faibles dans la glace que dans le pergélisol, mais il y a évidemment un changement majeur qui est généré par ces fontes massives. De toute façon, ça impacte les écosystèmes et le fait de réactiver des choses restées congelées pendant des dizaines de milliers d’années a forcément une incidence sur la planète. Il n’y a pas de doute là-dessus.

JMC : Le vrai problème c’est le pergélisol, car la glace est relativement stérile. C’est de l’eau gelée et il n’y a pas vraiment de microbes dedans. C’est un milieu qui ne se prête pas particulièrement bien à la conservation sur de longues périodes de temps d’organismes vivants. Alors que le permafrost est plus riche en microbes de toutes sortes puisque c’est de la terre qui s’est accumulée (sédiments, humus, plantes…). Elle date de très longtemps et a pu être conservée sous une forme gelée pendant une période allant jusqu’à un million d’années.

►À écouter: Le changement climatique, une menace pour le pergélisol

La couche superficielle qui fond, c‘est ce qu’on appelle la couche active. C’est cette partie qui, chaque année, relâche des virus et des microbes qui ont été congelés quelques années auparavant. Durant l’été 2016, il y a eu une épidémie d’anthrax (la maladie du charbon) qui était due au fait que, 70 ans plus tôt, il y avait dû avoir une épidémie dans les troupeaux de rennes. Mais l’été n’avait jamais été suffisamment chaud pour qu’on redescende aussi bas dans la couche de permafrost. Mais en 2016, il a fait très chaud donc la glace a davantage fondu et des rennes ont été contaminées à cause de carcasses et de sols qui contenaient les reliquats de l’épidémie. Ce n’était pas très grave avant, car personne n’habitait là, mais en 2016, il y a quand même plusieurs éleveurs qui ont été contaminés et un enfant de 12 ans qui est décédé.

Avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, certaines zones, en particulier le pergélisol sibérien, deviennent de plus en plus exploitables pour leurs ressources et attirent donc davantage de personnes, est-ce un risque supplémentaire ?

L'un des deux cratères de Sibérie, apparu il y a peu, formé dans le pergélisol d'une région riche en énergie, à près de 2000 kilomètres de Moscou.
L'un des deux cratères de Sibérie, apparu il y a peu, formé dans le pergélisol d'une région riche en énergie, à près de 2000 kilomètres de Moscou. AFP PHOTO/HO/PRESS SERVICE OF THE GOVERNOR OF THE YAMALO-NENETS

CA : C’est le point le plus critique. Dans les faits, la couche superficielle qui va fondre va aller jusqu’à un mètre, voire maximum deux mètres. Mais le pergélisol, c’est vraiment des profondeurs très massives et donc évidemment qu’en allant chercher les ressources qui se retrouvent enfouies profondément, on va déplacer des tonnes et des tonnes de terre gelée ce qui aura évidemment un impact sur le système moderne.

JMC : Le vrai danger actuellement c’est le réchauffement climatique qui permet d’acheminer dans ces régions des équipements industriels très lourds pour aller faire des forages et créer des mines à ciel ouvert. Car le préambule à toutes activités industrielles minières consiste à retirer toute la couche de permafrost qui empêche d’accéder au pétrole ou au minerai. Les entreprises vont donc forer dans le sol et le danger va être de mettre en contact des microbes qui n’ont vu personne depuis un million d’années avec des êtres humains. On risque de se mettre en contact avec des choses encore infectieuses. Tous les scénarios catastrophes sont absolument possibles. On n'a aucun moyen pour l’instant d’évaluer leur probabilité.

Un virus libéré du pergélisol pourrait provoquer un phénomène épidémique ?

CA : Si on met en lumière les deux points : les zones de plus en plus accessibles avec la fonte des glaces et le fait qu’il va y avoir de plus en plus d’ouvriers qui vont venir travailler pour extraire à partir de ces sols, ce qui veut dire qu’on va augmenter la concentration humaine. Là, le fait de réactiver un virus qui pourrait être pathogène pour l’Homme aura un impact majeur sur la population qui sera sur ce lieu. On sera, certes, sur des nombres de personnes nettement inférieurs à ce qu’on peut avoir en Chine à l’heure actuelle avec le coronavirus, mais on va avoir un risque de générer une petite épidémie. Là où il va falloir être alerte, c’est qu’il ne faut surtout pas laisser ces gens rentrer sans prendre de précautions sanitaires pour éviter justement qu’il y ait une propagation d’un virus qui pourrait infecter vraiment l'être humain.

JMC : Sur les plateformes de forage, les gens ne sont pas dans des hôtels de luxe, ils sont relativement entassés les uns sur les autres et ont des contacts très proches. C’est évidemment très propice à une propagation rapide d’un virus. Dans une plateforme de forage par exemple, si quelqu’un a la grippe, en une semaine, tout le monde est contaminé.

Le danger de ces endroits, c’est qu’on va y mettre de plus en plus de gens qui vont vivre en groupe et il y a la possibilité que, sans services médicaux proches, on les rapatrie s'ils sont malades ou alors qu’ils rentrent chez eux. Avec le coronavirus, le temps d'incubation est de 14 jours, mais s'il est plus long, les gens ont le temps de voyager énormément, de partir en vacances, de revenir et vous avez à ce moment-là des capacités épidémiques qui ont décuplé par rapport à un virus qui est aussi visible que celui du coronavirus.

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