Moselle Nord | Témoignage ''J’étais persuadée qu’il allait me tuer'' : une Mosellane raconte l'enfer de 7 ans de violences conjugales

Sophie a vécu l’enfer silencieusement, au côté d’un conjoint violent. Elle raconte la torture, l’engrenage dans lequel elle est restée prisonnière plus de sept ans. La jeune femme, installée dans la région thionvilloise, ose témoigner car son bourreau est, pour l’heure, en prison.
Frédérique THISSE - 21 févr. 2020 à 05:05 | mis à jour le 21 févr. 2020 à 14:55 - Temps de lecture :
« Si mon visage était trop abîmé, il ne me laissait pas sortir », se souvient Sophie. Elle n’a pas parlé, par peur et par amour aussi. Elle ne reconnaissait pas l’homme qui l’a frappée. « J’avais l’espoir qu’il change. »  Photo RL /Pierre HECKLER
« Si mon visage était trop abîmé, il ne me laissait pas sortir », se souvient Sophie. Elle n’a pas parlé, par peur et par amour aussi. Elle ne reconnaissait pas l’homme qui l’a frappée. « J’avais l’espoir qu’il change. » Photo RL /Pierre HECKLER

Sophie* ne se souvient pas de tout. Sa mémoire a parfois flanché sous les coups. Elle ne sait plus comment elle a croisé les policiers au volant de sa voiture, phares éteints, à contresens, en novembre dernier à Thionville. La patrouille a d’abord cru que la jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années, était alcoolisée. En réalité, elle venait d’avaler trop de comprimés, des anxiolytiques pour essayer de calmer son stress. Son visage était abîmé. « Je me suis réveillée à l’hôpital deux jours plus tard », raconte-t-elle. Son compagnon a été interpellé, placé en garde à vue, puis en détention provisoire. Il doit être jugé dans quelques semaines.

Cet éloignement permet à Sophie de commencer à se libérer après sept ans et demi de violences, d’humiliations, de dénigrements. Son ex n’a pas caché son jeu très longtemps. « Il m’a dit qu’il avait déjà été violent et qu’il ne supportait pas la trahison, la manipulation, l’abandon, le mensonge. » Il a répété ces mots tout au long de leur relation. La jalousie de cet homme laisse d’abord croire à Sophie que leur histoire d’amour est intense. Elle pense être celle qui lui redonnera confiance. Mais très vite, la situation lui échappe.

« Il gérait mon téléphone, il m’a coupée de mes amis. » Au bout de quelques mois, la violence s’intensifie. « Il m’a frappée toute une nuit. » Sophie fait établir le premier certificat médical d’une longue liste. « Je les ai faits pour garder des preuves au cas où je ne serais plus là. » Sophie n’a jamais voulu porter plainte. « Je ne voulais pas parler, il y avait trop de risques. J’étais persuadée qu’il allait me tuer. » Car ces années de calvaire ont aussi été ponctuées par des menaces de mort.

Scènes de torture

Sophie ne parvient pas à réagir. « J’ai perdu ma personnalité. Plus je m’opposais, pire c’était. » L’emprise est trop forte. Tout comme son amour. Tout comme sa peur. « J’avais l’espoir qu’il change. » La jeune femme, employée au Luxembourg, a bien essayé de fuir à plusieurs reprises. Elle a été recueillie en foyer, à l’hôtel, en appartement social. À chaque fois, il la rattrapait. L’ex sans ressources lui promettait que ça s’arrangerait. « Je ne me voyais pas l’abandonner. »

Alors elle subit. « Quand il buvait il était encore plus fou. Je devais attendre que sa crise passe. Il arrivait à me faire penser que je l’avais mérité. » La moindre contrariété motive un déferlement de violence. « Il me faisait payer », répète Sophie. Elle décrit des scènes de torture dans l’appartement, volets baissés, musique à fond. Il y a eu le couteau sous la gorge, la séquestration dans la cave, les crachats dans la bouche, les étouffements, les brûlures de cigarettes sur le visage, les coups donnés avec une bouteille de vodka, les frappes dans le ventre, la nuit passée dans le panier des chiens.

Ni témoin, ni autorité ne se sont interposés. Sophie a encaissé avec une résignation glaçante. Elle a tenté de maquiller sa peau autant que la réalité. « J’étais en mode survie », résume-t-elle.

Briser le silence

En novembre dernier, un ultime épisode fait tout basculer. Au lendemain d’une nuit de violence, elle ne peut pas aller travailler. Une fois de plus, son visage est bleui, tuméfié, presque méconnaissable. Elle se rend aux urgences. Elle souffre d’une commotion cérébrale, sans compter les nombreux traumatismes corporels. En rentrant chez elle, une dispute éclate. Son ex l’attend en bas de l’immeuble et se sert encore de leurs chiens comme moyen de pression. « Je ne voyais pas d’issue », croit-elle. Elle avale des anxiolytiques, écrit une lettre d’adieu où elle défend encore son bourreau. C’est là qu’elle croise la route des policiers.

Son compagnon, âgé de 30 ans, est pour le moment emprisonné mais Sophie craint que le danger ne soit pas écarté. Il a prononcé ces mots qu’elle n’oublie pas : « Tu es entrée dans ma vie, tu n’en sortiras plus. »

La jolie jeune femme se reconstruit et accepte de témoigner même si sa démarche est risquée. Sophie veut aujourd’hui s’adresser aux victimes silencieuses. « Je sais qu’il y en a d’autres. »

*Le prénom a été modifié.