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L’Égypte construit un nouveau mur le long de la frontière avec Gaza

Ce deuxième mur serait construit avec le consentement du Hamas dans le but d’endiguer la contrebande via les tunnels transfrontaliers, mais certains en interrogent le timing
Des engins de construction égyptiens travaillent à la construction d’un mur à la frontière avec Gaza (MEE/Adam Khalil)
Par Adam Khalil à RAFAH, bande de Gaza sous blocus

Les forces de sécurité et l’armée égyptiennes travaillent sans relâche à la construction d’un nouveau mur de béton du côté égyptien de la frontière avec la bande de Gaza, qu’elles visent à achever d’ici l’été, ont déclaré des sources palestiniennes à Middle East Eye.

L’Égypte a entamé la première étape de la construction le 27 janvier dernier dans la zone qui s’étend du passage commercial de Karm Abu Salem au passage transfrontalier de Rafah. Dans un premier temps, le mur devrait s’étendre sur deux kilomètres et se dresser à six mètres de hauteur et cinq mètres de profondeur.

D’après Muhammad Abu Harbeed, expert en matière de sécurité au ministère de l’Intérieur de Gaza, dirigé par le Hamas, les responsables de l’enclave comprennent les besoins de sécurité égyptiens et la construction du nouveau mur renforce les « intérêts sécuritaires » des deux parties.

Cette décision n’a toutefois pas été accueillie favorablement par l’ensemble de la population de la bande côtière assiégée, certains trouvant le calendrier de la construction suspect à la lumière du plan américain pour Israël et la Palestine récemment dévoilé, qui a été catégoriquement rejeté par les dirigeants palestiniens dans la bande de Gaza et ailleurs.

Suivi des progrès

La frontière entre l’Égypte et Gaza est longue d’environ 14 kilomètres au total.

MEE a pu observer sur le terrain que le nouveau mur se trouvait à une dizaine de mètres d’un mur déjà existant, construit par l’armée égyptienne après des manifestations de Palestiniens protestant contre la fermeture de la frontière début 2008.

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Selon les informations disponibles, la deuxième étape de la construction du mur se concentrera sur le renforcement du contrôle de sections distinctes de la frontière depuis le passage frontalier de Rafah jusqu’à la mer Méditerranée – des secteurs qui, selon l’armée égyptienne, représentent des points faibles qui sont exploités pour l’infiltration et la contrebande vers et hors de Gaza.

Un officier palestinien travaillant pour les forces de sécurité du Hamas à Gaza a révélé à MEE que des ingénieurs et experts de l’armée et de la sécurité égyptiens surveillaient périodiquement l’avancement des travaux de construction du côté palestinien de la frontière.

Une délégation égyptienne d’ingénieurs et de techniciens s’est rendue dans la bande de Gaza le 13 février et a effectué une visite de terrain le long de la frontière. Celle-ci faisait suite à une visite similaire effectuée le 10 février par une délégation de responsables de la sécurité égyptiens emmenée par le général de division palestinien Ahmed Abdel Khaliq, membre des renseignements généraux gazaouis.

L’officier de sécurité palestinien, qui a requis l’anonymat, a déclaré que la construction du mur et les visites égyptiennes avaient été coordonnées avec le Hamas, le parti de facto au pouvoir dans le territoire palestinien sous blocus, dans le cadre de nouveaux accords de sécurité avec l’Égypte ayant pour objectif d’empêcher l’infiltration de membres de groupes armés dans la péninsule du Sinaï.

Lutte contre les tunnels

La décision de construire un mur pénétrant profondément dans le sol n’est pas le fruit du hasard : l’Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi cherche en effet à fermer les tunnels reliant Gaza à la province égyptienne du Sinaï.

Quelques heures seulement après la mort, le 3 février, de cinq soldats égyptiens dans l’explosion d’une bombe près de la ville de Sheikh Zuweid, dans le nord du Sinaï, l’armée égyptienne a annoncé qu’elle avait découvert un tunnel de trois kilomètres de long entre les parties palestinienne et égyptienne de Rafah – une ville qui a été divisé en deux après le retrait d’Israël de la péninsule du Sinaï en 1982.

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Selon des sources de sécurité égyptiennes, le tunnel était destiné « à l’infiltration de terroristes de la bande de Gaza pour placer des engins explosifs improvisés du côté égyptien et transporter des armes et des explosifs ».

Depuis que l’ancien président égyptien Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, a été destitué lors d’un coup d’État en juillet 2013, les autorités égyptiennes ont intensifié leurs opérations sécuritaires et militaires dans le Sinaï, notamment pour lutter contre les tunnels de contrebande vers Gaza.

L’armée égyptienne a en grande partie réussi à détruire des centaines de tunnels creusés par des Palestiniens pour contourner le siège étouffant qu’Israël impose à la bande de Gaza depuis 2007.

En plus de détruire des tunnels ou de les inonder d’eaux usées, l’Égypte a établi une zone tampon de 1,5 kilomètre le long de la frontière.

Les relations du Hamas avec l’Égypte, qui avaient été solides sous le règne de Morsi, ont souffert après l’arrivée au pouvoir du général Sissi.

Mais le Hamas a depuis été en mesure de resserrer quelque peu ses liens avec Le Caire en prenant une série de mesures, notamment l’établissement d’une zone tampon de 100 mètres le long de la frontière et la lutte contre les tunnels – en échange d’une réduction des fermetures par l’Égypte des postes frontières.

Sécurité de l’Égypte

Alors que l’Égypte cherche à renforcer sa sécurité dans le Sinaï au moyen de ce nouveau mur et de nouvelles mesures sécuritaires, le Hamas considère que cela est bénéfique à sa propre lutte contre le trafic de drogue, la criminalité et les extrémistes des deux côtés de la frontière, rapporte Abu Harbeed, l’expert palestinien.

« Les opérations de l’armée égyptienne du côté égyptien de la frontière ne s’arrêtent pas, et la construction de ce mur s’inscrit dans le cadre d’un plan complet de sécurité égyptien visant à imposer la sécurité dans le Sinaï en renforçant certaines sections de la frontière qui se révèlent faibles d’un point de vue sécuritaire et en mettant fin au phénomène des tunnels, lesquels ne sont plus nécessaires au vu de l’engagement égyptien à ouvrir le passage de Rafah aux individus et pour les besoins essentiels de la population », a-t-il déclaré.

« Je ne pense pas que ce mur ait une réelle dimension sécuritaire. Sa construction entre dans le cadre de la politique de l’Occupation [Israël] de construction de murs »

- Ibrahim Habib, professeur à l’académie de police al-Rebat de Gaza

Les services de sécurité du Hamas ont contrecarré plusieurs tentatives de contrebande depuis la bande de Gaza vers le Sinaï de la part de membres de groupes soupçonnés d’être affiliés à l’État islamique (EI) ou de s’en inspirer.

Une source sécuritaire palestinienne a néanmoins révélé à MEE qu’un certain nombre de membres de ces groupes avaient récemment réussi à entrer dans le Sinaï, ce qui a conduit le Hamas à s’engager à prendre des mesures plus strictes des deux côtés de la frontière dans le cadre de son accord avec l’Égypte.

Pour Abu Harbeed, le Hamas et l’Égypte ont dépassé le stade de l’échange d’accusations concernant la responsabilité de ces infiltrations et ont atteint un stade de compréhension et d’accord sur la nécessité d’un contrôle conjoint.

Selon lui, l’Égypte a fourni aux forces de sécurité gazaouies du matériel et d’autres ressources pour aider les dirigeants de la bande côtière à resserrer le contrôle du côté palestinien de la frontière conformément aux besoins sécuritaires égyptiens.

Ibrahim Habib, professeur à l’académie de police al-Rebat de Gaza, ne voit cependant pas l’intérêt sécuritaire de la construction d’un nouveau mur.

Il décrit même le timing de la construction comme « suspect » dans le contexte de l’annonce par l’administration américaine de son plan controversé pour Israël et la Palestine. Selon lui, la proposition, surnommée « accord du siècle », « force la Résistance à Gaza à accepter le statu quo ».

La construction du mur et les nouvelles mesures de sécurité des deux côtés de la frontière coïncident en effet avec la proposition du président américain Donald Trump d’élargir la bande de Gaza en y ajoutant de nouvelles terres dans le désert du Néguev adjacent au Sinaï égyptien – en plus d’officialiser l’annexion de Jérusalem-Est, des colonies israéliennes et de vastes étendues de terres en Cisjordanie occupée, et de créer un État palestinien démilitarisé et fragmenté avec aucune ou peu de souveraineté.

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Habib s’interroge notamment sur la raison pour laquelle l’Égypte se concentre sur sa courte frontière avec Gaza, alors qu’il existe de nombreux autres points d’accès pour les groupes armés, que ce soit en mer ou le long des frontières terrestres de l’Égypte avec d’autres pays.

« Le Hamas fournit de grands efforts depuis des années pour protéger la sécurité nationale de l’Égypte, à travers des renforts de sécurité, contre le déploiement de forces supplémentaires et de nouveaux bâtiments du côté palestinien de la frontière », rappelle-t-il.

« Je ne pense pas que ce mur ait une réelle dimension sécuritaire. Sa construction entre dans le cadre de la politique de l’Occupation [Israël] de construction de murs. »

Muhammad Abu Harbeed, pour sa part, refuse de lier la construction du mur au plan Trump : « Cela n’a rien à voir avec l’accord ; cela concerne uniquement la sécurité de l’Égypte. »

Traduit de l’anglais (original).

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