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Pourquoi l'Europe doit mieux se préparer à la guerre navale

Les conflits en Libye, en Ukraine ou avec l'Iran, et ceux de demain, ont tous une dimension navale qui exige d'être à la hauteur.

François Clemenceau , Mis à jour le
La frégate furtive française "Surcouf", en mer depuis 1993.
La frégate furtive française "Surcouf", en mer depuis 1993. © AFP

Dans son bureau très sécurisé du quartier général de Naval Group à Paris, Hervé Guillou est à la fois fier et inquiet à un mois de rendre son tablier de patron de l'ex-­Direction des constructions navales (DCNS), les anciens arsenaux créés par ­Richelieu il y a près de quatre cents ans. Fier de voir que son pari de doter la marine australienne de 12 sous-marins de nouvelle génération vient d'être consolidé après la visite la semaine dernière à Paris de la ministre de la Défense, Linda Reynolds. Il ne s'agit pas seulement d'un contrat à 50 milliards de dollars, mais aussi de la redéfinition d'une alliance entre Canberra et Paris sur l'axe indopacifique où se concentrent, face à la Chine, nombre de ­menaces.

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Lire aussi - Le pôle Nord aimante les guerres de demain

Hervé Guillou est frustré en revanche de voir que sur les autres horizons maritimes du monde l'Europe n'est pas à la hauteur des enjeux. À Bruxelles, la semaine dernière, en marge d'un sommet de l'Otan, la ministre française des Armées, Florence Parly, a haussé le ton en signalant à son homologue turc que l'alliance maritime récente conclue par Ankara avec la Libye et son aventurisme pour aller forer dans les eaux chypriotes s'opposaient frontalement à l'Union européenne. En Syrie, les Russes ont définitivement renforcé leur contrôle de l'espace aérien et maritime depuis leur base navale de Tartous. En mer Noire, les navires de l'Alliance atlantique surveillent et défient ceux de la Russie pour rassurer la Roumanie, la Bulgarie et l'Ukraine face à toute nouvelle tentative d'agression.

La France "se sent un peu seule"

"Entre les Allemands, qui coupent dans leur budget de projection de force, et les Néerlandais, les Suédois ou les Norvégiens, qui ne font que de la défense côtière, la France se sent un peu seule", nous confie Hervé Guillou. Cela vaut sur le plan militaire comme au niveau industriel. Les Européens bataillent entre eux pour obtenir des marchés hors ­Europe mais ne sont pas capables de s'allier pour bâtir des géants face à la concurrence américaine, russe ou chinoise. "La France doit avoir son deuxième porte-avions pour que sa projection de puissance soit crédible, et pas seulement parce qu'elle siège au Conseil de sécurité", souligne-t‑il.

Un constat partagé à l'Élysée face aux menaces : "Le président de la République a décidé d'envoyer une frégate à Ormuz et une autre en Méditerranée orientale car nous considérons que ce sont des zones de frictions où nos intérêts peuvent être engagés", dit-on à l'état-­major particulier du Palais.

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La Chine met à l'eau un nouveau sous-marin tous les trois mois et une frégate par mois

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Selon les militaires, peu ­d'Européens en dehors de la France ont déployé des moyens près de la flotte turque alors que l'environnement est ­volatil, notamment en raison d'une importante présence russe qui protège ses arrières en Syrie, en Libye et sur les routes d'accès à la mer Noire via le détroit du ­Bosphore. "De l'arsenal qu'ils ont hérité des Soviétiques, les Russes ont veillé à garder en priorité les sous-­marins. Ils en ont moins aujourd'hui mais ils sont plus longtemps que les autres à la mer, confie un ancien pacha français de sous-marin. En ­Méditerranée, j'ai l'impression d'assister au retour des bases russes des années 1970."

D'où la question récurrente de la puissance militaire et diplomatique des porte-avions escortés de leur groupe aéronaval. Les États-Unis en ont onze, les Chinois deux, les Russes et les Indiens un, le Royaume-Uni deux. Et l'Union européenne? Un seul, le Charles-de-Gaulle français, actuellement déployé en ­Méditerranée pour aller frapper les résurgences de Daech et pour surveiller la Libye.

Les moyens pour prévenir ou gagner la guerre navale du XXIe siècle

Anecdotique, ce constat de relative impuissance? Aucunement. Il illustre une Europe en rangs dispersés face aux "puissances de retour". "Le XXIe siècle sera maritime", ­disait en décembre ­Emmanuel Macron devant les Assises de l'économie maritime à Montpellier. Avec la baisse des ressources en alimentation animale, le capital halieutique sera de plus en plus prisé. Avec la baisse des ressources énergétiques terrestres, la tentation de forer off­shore de plus en plus profond sera une évidence. "Nous avons la deuxième zone économique exclusive du monde ; si nous ne la surveillons pas, elle sera contestée ou pillée, prévient-on à l'Élysée. Il faut donc montrer le pavillon."

Selon le rapport annuel Military Balance que l'Institut international d'études stratégiques (IISS) vient de publier, la Chine de Xi Jinping n'a jamais autant investi dans sa puissance navale. "Elle met à l'eau un nouveau sous-marin tous les trois mois et une frégate par mois, note Hervé Guillou. Et il faudrait être naïf pour croire qu'ils ne vont pas monter en gamme."

Raison pour laquelle les ­Occidentaux, dont la France, ne cessent d'accélérer pour s'adapter. En essayant de maintenir une longueur d'avance pour les sous-marins. "Avec des missiles qui ont aujourd'hui triplé de vitesse, la prise de décision en temps réel pour un commandant est extrêmement réduite, précise Hervé Guillou. Entre la détection, la classification, les contre-mesures, ce temps est en moyenne de quarante-cinq ­secondes."

Frictions et intimidations en mer, mais véritable guerre technologique entre les grandes puissances navales du monde. "Alors qu'on débat politiquement de la 5G, nous travaillons déjà sur les implications technologiques de la 12G pour nos équipements", ­assure celui qui a doublé le budget de recherche et développement de Naval Group en cinq ans. Systèmes d'armes, calculateurs quantiques, nouveaux drones sous-marins chasseurs de mines, sonars dotés de l'intelligence artificielle : autant de moyens pour prévenir ou gagner la guerre navale du XXIe siècle.

Assurer la liberté de navigation, protéger les pêcheurs et les porte-conteneurs des pirates, surveiller ses adversaires, et jusqu'à veiller que personne ne s'intéresse de trop près aux centaines de milliers de kilomètres de câbles qui traversent le fond des océans pour y véhiculer des milliards de données par Internet. "Conserver une industrie de défense navale est donc un enjeu de souveraineté vital", plaide Hervé Guillou avant de confier le gouvernail à son successeur. Il n'a aucun doute, cette souveraineté dont il parle, c'est aussi celle de l'Europe.

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