Lausanne

Quand l’impressionnisme migrait sous la neige canadienne

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À la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, une exposition retrace l’histoire d’une trentaine de peintres canadiens qui, venus se former en France dans les années 1880–90, ont exporté l’impressionnisme outre-Atlantique pour l’adapter aux paysages enneigés de leur contrée natale. De Paris à Toronto, récit d’une aventure méconnue !
Clarence Gagnon, Le Train en hiver
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Clarence Gagnon, Le Train en hiver, 1913

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Huile sur toile • 56 x 71 cm • Coll. Donald R. Sobey • © Photo MBAC

Vastes plaines enneigées, lacs miroitants, forêts rougeoyantes… Le Canada offre une pléthore de paysages magiques. Mais au XIXe siècle, il n’est pas le meilleur endroit pour se former à la peinture. Née en 1867, cette jeune nation compte alors si peu de musées et d’écoles d’art qu’à partir de 1880 plusieurs artistes décident de plier bagage pour la destination rêvée des peintres : Paris. Une ville en pleine ébullition artistique, à mille lieues de la société rigide de Montréal et ses austères demeures en pierre grise, et de Toronto qui n’accueillera son premier musée d’art qu’en 1918 !

James Wilson Morrice, Jardin du Luxembourg, Paris
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James Wilson Morrice, Jardin du Luxembourg, Paris, v. 1905

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Don de A.K. Prakash

Huile sur toile • 73 × 60,5 cm • Coll. J.W. Morrice, 2015 • © Musée des Beaux Arts du Canada, Ottawa / Photo MBAC

Dès leur arrivée dans la Ville Lumière, les jeunes Canadiens découvrent avec émerveillement ses cafés animés et ses immeubles élégants. Certains, comme Paul Peel (1860 – 1892) et James Wilson Morrice (1865 – 1924), posent leur chevalet dans le Jardin du Luxembourg ou sur les quais de Seine. Sur les bancs de l’Académie Julian ou de la Grande Chaumière, ils dessinent d’après des moulages en plâtre d’œuvres antiques, puis d’après nature, avant de se lancer dans la peinture à l’huile. Certains parviennent à se faire une place dans les Salons, où des milliers d’artistes exposent sur des cimaises surchargées. En 1908, Morrice fera même partie du jury du Salon d’automne, aux côtés d’Henri Matisse, Albert Marquet et Georges Rouault !

Au départ, leur style est plutôt académique ou naturaliste. « Aucun d’eux n’est venu en France dans le but de devenir un impressionniste », précise Katerina Atanassova, conservatrice en chef de l’art canadien au musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa), co-organisateur de cette exposition regroupant une centaine de tableaux. Mais peu à peu, ces peintres se dirigent vers des colonies d’artistes comme Fontainebleau, Barbizon, Giverny (où Claude Monet s’est installé en 1883) et le village breton de Pont-Aven, où ils se mettent à saisir la verdure et les reflets sur l’eau.

William Blair Bruce, Paysage avec coquelicots
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William Blair Bruce, Paysage avec coquelicots, 1887

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Huile sur toile • 27,3 × 33,8 cm • © Musée des beaux arts de l’Ontario / Photo Art Gallery of Ontario 77/42

Si les œuvres réalisées lors de leur séjour en France sont inégales, et d’une originalité relative, la magie opère dès leur retour au Canada.

Pour eux, la peinture en plein air est une révélation. Campagnes fleuries, plages, canaux, enfants, lavandières et femmes en robes d’été constituent désormais leurs sujets de prédilection. S’ils adoptent des tons lumineux et des cadrages audacieux pour traduire des impressions fugaces et des fragments de vie moderne, « aucun ne souscrit pleinement à la palette de couleurs pures et vives et à la touche fragmentée de Monet, Renoir ou Pissarro », note Katerina Atanassova. Ils s’essayent à ce style pour, ensuite, mettre au point leur propre approche, différente selon chacun ».

Si les œuvres réalisées lors de leur séjour en France sont inégales, et d’une originalité relative, la magie opère dès leur retour au Canada. Un train à vapeur surgit d’un lumineux paysage enneigé (Clarence Gagnon, 1913 [ill. en une]). Une pièce d’eau miroite dans une forêt givrée (Maurice Cullen, 1922). Tiré par des chevaux, un traîneau glisse sous un ciel irisé de rose et d’orange clair (Lawren Harris, 1911). À travers ces délicieuses scènes d’hiver, les artistes plongent dans la déclinaison infinie de couleurs, de textures et d’éclats de lumière qu’offrent les paysages de neige, particulièrement adaptés aux principes de l’impressionnisme.

Maurice Cullen, de gauche à droite :  Hiver à Moret, 1895 et La récolte de la glace, v. 1913
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Maurice Cullen, de gauche à droite : Hiver à Moret, 1895 et La récolte de la glace, v. 1913

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© Musée des beaux-arts de l'Ontario / Photo Art Gallery of Ontario / © Musée des beaux arts du Canada, Ottawa / Photo MBAC

Posée sur le blanc manteau hivernal, la lumière nordique, horizontale et limpide, fait chanter de délicates gammes de rose, de bleu et vert pâle. Récolte de la glace, livraison de bois, maisons éclairées d’une faible lueur… En saisissant les activités humaines destinées à survivre à l’isolement et à la rigueur de l’hiver, les peintres donnent à leurs œuvres une note plaintive typiquement canadienne, liée aux conditions extrêmes et à l’immensité des paysages. À Toronto, Lawren Harris (1885 – 1970), Maurice Cullen (1866 – 1934) et J. E. H. MacDonald (1873 – 1932) s’intéressent également à la ville, où ils saisissent la fumée des usines et des machines modernes, des paroissiens rentrant de l’église sous les flocons, et des fenêtres allumées luisant dans la nuit…

Maurice Cullen, Logging In Winter, Beaupré
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Maurice Cullen, Logging In Winter, Beaupré, 1896

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Huile sur toile • 63,9 × 79,9 cm • © Art Gallery of Hamilton / Photo Mike Lalich

 

Mais ces peintres ont du mal à séduire leurs compatriotes. Pour vivre, beaucoup envoient des œuvres à l’étranger, et notamment en France. En clôture de l’exposition, une saisissante composition de sapins enneigés (Les bois en hiver ou Neige II, 1915) annonce l’évolution de Lawren Harris vers un art plus stylisé, inspiré par la peinture scandinave. L’œuvre sonne l’émergence du Groupe des Sept. Baptisé en 1920, ce mouvement novateur, en germe dès 1913, provoquera l’effacement de l’impressionnisme local au profit d’un style nouveau, devenu emblématique de l’art moderne canadien.

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Le Canada et l’impressionnisme. Nouveaux horizons

Du 24 janvier 2020 au 3 janvier 2021

www.fondation-hermitage.ch

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