L'épidémie de coronavirus va-t-elle provoquer la démondialisation ?

  ©Getty - Anton Petrus
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Dans un contexte où le "découplage" entre les économies chinoises et américaines semble un processus déjà entamé, l’épidémie de coronavirus qui a déjà causé la mort de près de 3 000 personnes en Chine va-t-elle accélérer la dynamique de démondialisation, dont certains rêvent depuis longtemps ?

Pour certains - les plus optimistes - ce n’est qu’un accident de parcours. Avec le printemps, l’épidémie va probablement s'estomper. Après tout, la précédente épidémie, le SRAS, également parti de Chine en 2003, n’a pratiquement pas affecté le commerce international. Le COVID-19 ne va pas empêcher la terre de tourner.

Quand la Chine éternue...

Certes, mais la Chine ne représentait alors 8,5 % de la production mondiale, objecte l'économiste américaine Stephen Roach. Aujourd’hui, c’est 20 %. Aussi, dorénavant, quand la Chine éternue, le monde entier attrape la grippe. D’autant que la crise actuelle survient fort mal à propos, relève cet économiste américain. Le virus a fait son apparition en Chine à un moment de forte vulnérabilité pour l’économie mondiale. La croissance mondiale a nettement ralenti en 2019 : + 2,9 %. La production industrielle a même baissé dans certains pays, comme l’Allemagne. Bref, le virus « tombe mal ». 

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Car le confinement de régions entières, comme le Hubei, avec ses 58 millions d’habitants, va désorganiser les chaînes d’approvisionnement mondiales. Chez Apple, on fait déjà savoir qu’on craint des goulots d’étranglement. Le ralentissement économique chinois se lit déjà dans les chiffres. 

Un signe qui ne trompe pas : la consommation chinoise de charbon a baissé de 38 % au cours du mois en février par rapport au même mois de l’année précédente. Or, le charbon représente 60 % du mix énergétique de ce pays, affreusement pollueur. Les dirigeants chinois, prenant conscience que leur objectif de croissance de 6% serait difficilement atteint, ont adopté de nouvelles mesures de stimulation de l’économie. 

... tous les continents sont touchés par la crise

L’Europe sera forcément atteinte par le ralentissement chinois. Car la Chine n’est plus seulement "l’atelier de la planète". Son marché intérieur est aussi devenu l’un des moteurs de la croissance mondiale. Les Européens doivent se préparer à voir souffrir, non seulement le secteur du tourisme, mais certaines de leurs industries exportatrices. L’industrie allemande, en particulier, fortement dépendante des acheteurs d’automobiles chinois, risque d'être fortement impactée. 

Les Etats-Unis ont bien tort de se croire à l’abri, estime pour sa part Jeffrey Frankel; professeur d'économie à l'Université de Harvard. Alors que certains pays européens, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, disposent encore de marges de manœuvre budgétaires pour relancer leur croissance, le cow-boy Trump, lui, a tiré toutes ses cartouches. La FED ne peut pas baisser davantage ses taux d’intérêt. Quant au déficit budgétaire américain, il est déjà tellement ahurissant qu'on ne saurait le creuser davantage. 

Mais selon l’économiste japonais Akira Kawamoto, c’est en Asie que l’impact de la crise sera la plus douloureux. A Taïwan, en particulier, parce que son économie est largement tournée vers la Chine et Hong Kong. Les sous-traitants de l’industrie chinoise, comme la Corée du Sud, le Vietnam et la Malaisie, vont aussi être sérieusement impactés. Au Japon, Honda et Nissan, qui ont délocalisé une bonne partie de leur production dans la province chinoise du Hubei, redoutent des ruptures d’approvisionnement. Mais sur toute la planète, les chaînes de production mondiales vont devoir se réorganiser dans l’urgence. 

Enfin, les exportateurs de matières premières vers la Chine, et en premier lieu l’Australie, doivent également s’attendre à un sérieux ralentissement économique, prévient Jeffrey Frankel. 

Le reportage de la rédaction
4 min

Vers une montée des tensions internationales ?

Il est probable que le monde sorte d’une époque où la mondialisation de la production et l’interdépendance entre les Etats qu’ils ont provoquée soit sur le point de s’achever, conclut Frankel. Certes, cela va accélérer le « découplage » commercial dont rêvait Trump entre les Etats-Unis et la Chine. Mais on aurait tort de s’en réjouir.

Car la mondialisation a permis au monde de bénéficier non seulement d’une période de prospérité sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, mais aussi d’un bas niveau de tensions internationales. Le multilatéralisme, dont rêvait l’Europe, pourrait bien être remplacé par une nouvelle politique des blocs. Non, la mondialisation ne va pas s’arrêter. Mais un nouveau zonage géographique pourrait bien résulter de la crise du COVID-19. 

Epidémies et crises financières ont toujours eu partie liée 

L’historien de l’économie Harold James écrit que les pandémies ont toujours accompagné des crises financières. Qui se souvient que la fameuse "crise des oignons de tulipe" - qui a ruiné des milliers de spéculateurs hollandais au XVIIe siècle - a coïncidé avec l’épidémie de peste, provoquée, en Europe, par la guerre de Trente Ans ? Ces épidémies provoquent généralement des réactions irrationnelles de la part des Etats, comme des peuples. Elles enclenchent d’autres épidémies, morales, celles-là, avec la diffusion de peurs absurdes, la recherche de boucs-émissaires, l’hostilité envers les étrangers. 

Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les conversations bruissent de rumeurs mettant en cause les habitudes alimentaires des Chinois. De même, en Chine, commencent à émerger les théories complotistes attribuant le virus à l’Occident, jaloux de la réussite du pays. Un chef d’Etat est même allé jusqu'à attribuer l’origine du virus à la "guerre biologique conçue par l’Occident pour détruire la Chine" : il s'agit de Nicolas Maduro, président - et malheur - du Venezuela. 

par Brice Couturier

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