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Politique

Le Rassemblement national assigné en liquidation judiciaire

EXCLUSIF L’avocate d’un ex-salarié du staff de campagne de Marine Le Pen a assigné en liquidation judiciaire le Rassemblement national. Une procédure qui tombe au plus mal pour un parti criblé de dettes, à hauteur de 24,4 millions d’euros en 2018.

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Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2019

Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, à l'Assemblée nationale.

AFP - Eric FEFERBERG

Cela pourrait être l’étincelle qui déclenche la descente aux enfers financiers du Rassemblement national (RN). Le 2 mars, l’avocate Noémie Le Bouard a assigné en liquidation judiciaire le parti de Marine Le Pen devant le tribunal de Nanterre. La raison? Elle attend depuis des mois que le RN verse les 20.900 euros d’indemnités dues à l’un de ses clients, Mickaël Ehrminger, ex-salarié du staff de campagne de Marine Le Pen, après la condamnation du parti devant les prud’hommes en avril 2019 pour licenciement abusif et des heures sup’ non payées. "N’importe quel petit patron de PME qui serait dans la même situation aurait payé depuis longtemps, s’agace-t-elle. Il est scandaleux que le Rassemblement national, l’un des principaux partis de France, ne s’exécute pas."

L’avocate n’en est pas à sa première sommation. Le 18 décembre, elle a dépêché un huissier au siège du parti à Nanterre avec un "commandement de payer". Le 31 janvier, elle a diligenté une procédure de saisie sur l’un des comptes bancaires du parti, qui en possède une dizaine. Manque de chance, il n’y avait que 3.008 euros en caisse... "Je ne vais pas tenter ma chance sur tous les comptes du parti", poursuit-elle. D’autant que le 20 décembre, le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, a indiqué par courrier que le parti comptait "régler cette créance à raison de 2.000 euros par mois".

L’avocate voit rouge. "Ce parti, qui perçoit une subvention publique de 5 millions d’euros par an, m’assure qu’il ne peut pas verser 20.900 euros à un de ses anciens salariés, pointe-t-elle. J’en conclus qu’il est en cessation de paiement. Afin de sauvegarder les intérêts de mon client, je suis contrainte d’envisager une telle procédure." L’audience est prévue le 3 avril.

Mauvaises nouvelles financières en série

Ironie de l’histoire, c’est le parti qui avait été à l’origine de la plainte contre son ex-salarié début 2018. A l’époque, Mickaël Ehrminger avait répondu à des interviews de Mediapart et Buzzfeed sur les coulisses de la campagne présidentielle de Marine Le Pen où il évoquait un "amateurisme total". Les dirigeants du parti étaient furax. Ils avaient dénoncé le viol de la clause de confidentialité attachée à son contrat et réclamé pas moins de 100.000 euros de dommages et intérêts devant les prud’hommes.

Mais l’avocate de Mickaël Ehrminger a répliqué. Elle a épluché le contrat et les conditions de travail de son client et repéré un paquet d’heures supplémentaires et d’indemnités non payées. Ce qui a finalement abouti à la douloureuse de 20.900 euros pour le parti… "A priori, la menace de la liquidation judiciaire et qu’un juge mette son nez dans les comptes du parti suffira à convaincre les dirigeants du Rassemblement national de régler immédiatement la créance. Ce qui devrait mettre fin à la procédure, confie un connaisseur de ce genre de dossier. Mais, une fois que l’assignation est lancée, rien n’est jamais écrit à l’avance."

Une chose est certaine, l’épisode tombe au pire moment pour le Rassemblement national. Depuis des mois, des nuages noirs s’amoncellent au-dessus des finances du parti. Fin novembre, l’Etat a réclamé 11,6 millions d’euros de dommages et intérêts au parti et à ses co-prévenus lors du procès sur le financement des campagnes 2012, dont le verdict tombera fin avril. En février, une firme russe a attaqué le parti en justice pour obtenir le remboursement d’un prêt de 9,2 millions d’euros contracté en 2014.

Et le Parlement européen évalue toujours à près de 7 millions d’euros son préjudice dans l’affaire des emplois fictifs où une quarantaine d’ex-assistants parlementaires d’eurodéputés RN sont soupçonnés d’avoir travaillé illégalement pour le parti. Marine Le Pen, elle-même, a été mise en examen pour détournement de fonds publics et est censée rembourser quelque 340.000 euros au Parlement européen.

Envolée de la dette

Fin février, la publication officielle des comptes 2018 des partis politiques n’a guère apporté d’éclaircie. Le Rassemblement national affiche un déficit de 2,4 millions d’euros et sa dette atteint 24,4 millions d’euros pour un actif d’à peine 5,4 millions d’euros. Outre le fameux prêt russe, il y a une dette de 4,2 millions d’euros vis-à-vis du micro-parti de Jean-Marie Le Pen, 4 millions d’emprunts auprès de particuliers, 5 millions de créances vis-à-vis des fournisseurs et un million de dettes auprès du fisc et des organismes sociaux. Et contrairement à ce que Marine Le Pen claironne régulièrement, la situation est beaucoup plus grave que chez Les Républicains, où la dette a été ramenée à 13 millions d’euros en 2019 grâce à la vente du siège de la rue de Vaugirard pour 46 millions d’euros.

Le Rassemblement national risque-t-il la faillite? Plusieurs anciens et actuels cadres du parti tirent la sonnette d’alarme. En 2020, la subvention annuelle de 5,2 millions d’euros sera largement ponctionnée par le remboursement de 4,2 millions d’euros dus au micro-parti de Jean-Marie Le Pen, qui avait prêté à sa fille durant la campagne présidentielle. Le fondateur du Front national a même saisi le ministère de l’Intérieur pour sécuriser son remboursement. Et rien ne dit qu’un fournisseur n’ira pas devant les tribunaux dans les prochains mois pour obtenir le règlement de ses factures. "Au vu des comptes 2018, je ne vois pas comment une banque pourrait consentir un prêt au Rassemblement national, estime un ex-eurodéputé FN. Il n’y a que des déficits et de la dette."

Masse salariale en hausse

En fait, depuis que Marine Le Pen a pris les rênes du Front national, rebaptisé Rassemblement national, le parti est en déficit récurrent et son endettement a été multiplié par six! Un comble alors que le parti a vu ses recettes progresser en sept ans. La subvention publique annuelle est passée de 1,8 million d’euros en 2011 à 5,2 millions en 2018 grâce à la progression du parti aux élections législatives. Les dons de particuliers approchent le million d’euros en 2018, contre 262.000 euros en 2011. Même les versements des élus, qui ont diminué depuis 2016, demeurent une fois et demi supérieurs à ceux de 2011.

Problème, dans le même temps, les dépenses du parti ont plus que doublé, grimpant de 5,9 millions à 14 millions d’euros. Avec en particulier une masse salariale qui a quintuplé et représente 68% de la subvention annuelle en 2018, contre 37% en 2011. Selon la grille salariale 2017, que Challenges a pu consulter, les cinq plus hauts salaires s’étalaient ainsi de 4.200 à 7.000 euros net par mois. "Il existe une véritable dérive de la gestion du parti sous Marine Le Pen, juge André Murawski, conseiller régional ex-FN des Hauts-de-France et intendant dans un collège. Si elle n'est même pas capable de gérer les comptes d'un parti, on la voit mal s'occuper du budget de la France."

Ces dernières années, la patronne de l’extrême-droite oscille d’ailleurs entre cris d’alarme et propos rassurants sur les finances de son parti. Fin 2017, elle avait fustigé une "mise à mort financière" lorsque la Société Générale avait clôturé les comptes de son parti. En 2018, elle avait dénoncé un "assassinat politique" quand la justice avait retenu un million d’euros sur la subvention annuelle de son parti en prévision d’une possible amende dans l’affaire des emplois fictifs du Parlement européen. Durant la campagne des européennes de 2019, elle s’était aussi plainte d’un système de financement des partis qui "donne aux banques un droit de vie ou de mort" sur les mouvements politiques et regrettait que la "banque de la démocratie" promise par Emmanuel Macron n’ait jamais vu le jour.

Emprunt "patriotique" et riches mécènes

Le 23 février sur RTL, Marine Le Pen a toutefois minimisé un risque de cessation de paiements de son parti. "Très honnêtement, je ne le crois pas", a-t-elle déclaré. Pour éponger la dette, la présidente du Rassemblement national a décidé de lancer un "emprunt patriotique" auprès des Français au taux très attractif de 5% en le gageant sur les subventions futures et les remboursements des campagnes électorales à venir. "Il faudrait 25 millions d’euros pour être bien", a évalué le trésorier Wallerand de Saint-Just dans L’Opinion. Au printemps 2019, l’emprunt pour financer la campagne des européennes avait rapporté quelque 4 millions d’euros. "Il faut avoir un sacré culot pour faire ainsi appel à l’épargne de nos compatriotes, déplore un ancien élu du RN, alors qu’avec 19 millions d’euros de déficits cumulés, le parti est exsangue et que rien ne dit qu’il sera capable de rembourser."

En parallèle, les appels aux dons se multiplient depuis mi-décembre. "Chaque euro permettra de financer un tract de plus, une affiche de plus pour convaincre encore et encore", martèle Jordan Bardella, le vice-président du RN dans une récente vidéo envoyée aux adhérents. Pas sûr néanmoins que les militants se pressent pour mettre la main à la poche. La chute de 54% du montant de leurs cotisations entre 2016 et 2018 laisse plutôt penser que les troupes se réduisent. "Mais il ne faut pas être naïf, souffle un ancien élu RN. Dans ce genre d’emprunt soi-disant "populaire", le gros du montant est en réalité apporté par quelques riches mécènes, français ou étrangers. Le problème, c’est qu’ils peuvent exiger des contreparties politiques dans le programme ou le choix des cadres."

Une note alarmante remise à Jean-Marie Le Pen

Depuis sa villa de Montretout à Saint-Cloud, où il possède toujours ses bureaux, Jean-Marie Le Pen observe les déboires financiers de sa fille avec attention. Un ancien du parti lui a récemment fait passer une note qui conclut à "un dépôt de bilan du Rassemblement national inéluctable sauf abandon de créance et/ou renflouement externe in extremis". Le document, déjà cité par Mediapart, relève que c’est la faiblesse du ratio d’autonomie financière du parti entre 2011 et 2017 qui expliquerait largement le refus des banques de prêter de l’argent au RN "et non une manœuvre politique malveillante".

"En dépit des alertes internes répétées auprès du trésorier et des mises en garde personnelles auprès de la présidente en 2016, 2017 et 2018 par Bernard Monot et Jean-Luc Schaffhauser [deux anciens eurodéputés FN, ndlr], sur la situation de cavalerie financière du parti, poursuit la note remise à Jean-Marie Le Pen. L’exécutif du Rassemblement national n’a pas pris les mesures de gestion évidentes qui s’imposaient." La lecture de ce document a affecté Jean-Marie Le Pen. "Voir l’œuvre de sa vie proche de la faillite, c’est un choc", glisse un ancien élu qui a échangé avec lui sur le sujet. La transmission d’une PME à l’un de ses enfants n’est pas toujours une sinécure. Dans le business comme en politique.

Contactés le 24 février, Marine Le Pen, le trésorier Wallerand de Saint-Just et le service de presse du RN n’ont pas souhaité répondre aux questions de Challenges.

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