Le 2 mars, dans un hôpital de Téhéran, un patient atteint de coronavirus est traité par l'équipe médicale.

Le 2 mars, dans un hôpital de Téhéran, un patient atteint de coronavirus est traité par l'équipe médicale.

Anadolu Agency

L'Iran compte, après la Chine, le plus grand nombre de morts liés au coronavirus Covid-19. Le pays a annoncé ses premiers cas à compter du 19 février dernier, et le 2 mars, le cap des 1 500 personnes infectées a été franchi. Officiellement, le bilan des décès s'élevait à 66 victimes, même si le site de la BBC en persan annonçait plus de 200 morts, chiffre démenti par les autorités iraniennes. Ecoles fermées et activité économique ralentie sont des conséquences communes à de nombreux pays frappés par le virus, mais selon les témoignages recueillis par L'Express, les dégâts causés par le Covid-19 en Iran semblent d'une autre ampleur.

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''Le taux de mortalité officiel est minoré''

L'existence possible d'une forme beaucoup plus agressive du virus est une inquiétude permanente pour la population. Il y a quelques jours, le taux de mortalité pour une personne atteinte du Covid-19 en Iran était de 12 %, contre 2 à 3 % en règle générale. Après les nouvelles annonces du régime, le pourcentage est redescendu à 5,5 %, mais ''le taux de mortalité officiel est minoré par rapport à ce que je vois, c'est vraiment une crise grave. Il y a plus de malades que ne le disent les autorités, et leur nombre augmente rapidement", assure Reza, pneumologue à Qom, qui préfère dissimuler son patronyme par crainte de représailles de la part des autorités. L'homme a traité plusieurs patients atteints du coronavirus. Il dit être interloqué par le caractère agressif de la maladie : ''J'ai vu un patient de 50 ans, sportif, sans antécédent. Quand j'ai regardé la radio de ses poumons, j'ai observé des schémas inhabituels par rapport à une simple grippe. Son état s'est dégradé très vite et il a fallu l'intuber, mais il est mort quelques heures après. J'ai l'impression qu'en plus du coronavirus, les patients sont touchés par une sorte de myocardite [NDLR : inflammation du muscle cardiaque] virale, car l'attaque contre le coeur paraît particulièrement forte et rapide.'' La terreur est bien présente parmi les habitants de la ville : ''Comparez le nombre de décès avec d'autres pays et vous vous rendrez compte de ce qu'il se passe réellement ici'', lâche Kimia, 30 ans.

"Les enfants aussi sont touchés"

Zara, 35 ans, est gynécologue à Téhéran. En contact avec de nombreux soignants, elle corrobore les propos du pneumologue. ''Le virus et la mortalité semblent plus forts qu'ailleurs. L'état des malades se dégrade rapidement. Il a été dit que le virus ne touchait pas les enfants, mais c'est pourtant le cas ici. Je ne sais pas à quoi attribuer cette particularité. Est-ce parce que le virus a muté comme le pense une partie du personnel médical, ou est-ce à cause de la crise économique qui frappe l'Iran ? Etions-nous prêts pour faire face à une épidémie, de même que notre système de santé ?" Selon Fadela Chaib, porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ''rien n'indique que le virus connaisse une mutation'', mais l'institution confirme avoir ''envoyé une équipe pour aider les Iraniens. Ils seront là pendant une semaine pour rencontrer le ministère de la Santé et d'autres parties prenantes, et pour visiter les établissements de santé et les laboratoires chargés de répondre aux cas.''

"Rien n'est clair"

Sept membres du gouvernement, dont le vice-ministre de la Santé, sont atteints. ''Les ennemis de l'Iran veulent profiter du coronavirus et faire en sorte que notre pays devienne immobile. Nous devons tous continuer à travailler, poursuivre nos activités tout en étant prudents'', a déclaré le président Hassan Rohani. Le 2 mars, la presse officielle annonçait "une mobilisation nationale pour vaincre le coronavirus". Quelque 300 000 nouveaux miliciens bassiji, notamment, se rendront chez les Iraniens pour les tester à domicile.

Mais les annonces officielles ne rassurent pas la population. Depuis les mensonges des autorités après le crash du Boeing 737 d'Ukraine International Airlines, abattu par erreur par l'armée des Gardiens de la révolution, une méfiance vis-à-vis des déclarations officielles s'est installée, et la gestion de l'épidémie est critiquée. Kimia s'est retranchée dans sa maison de Qom. Sa tante de 60 ans et son cousin de 40 ans sont tous les deux morts du Covid-19, juste après l'annonce des premiers cas par le gouvernement. ''Je pense que je suis également porteuse du virus car nous vivions tous ensemble... Ma grand-mère et moi sommes en quarantaine actuellement.'' Son portable vibre au rythme des messages de précaution envoyées le ministère de la Santé, mais Kimia n'a aucune confiance. ''Rien n'est clair. Pourquoi le gouvernement a-t-il voulu garder secrète l'étendue de cette épidémie ? Parce qu'il voulait un immense rassemblement pour l'anniversaire de la Révolution islamique [NDLR : début février] ? Ou parce que s'il publiait les données sur le virus, cela aurait entraîné une moindre participation aux élections législatives du 21 février ?''

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Vraisemblablement parti de cette même ville de Qom, située au sud-ouest de Téhéran, le Covid-19 s'est aujourd'hui propagé dans 27 des 31 provinces iraniennes. Malgré l'existence connue de ce foyer infectieux, le gouvernement iranien a balayé l'idée de placer la ville en quarantaine. Le pneumologue Reza affirmait il y a quelques jours : "Les gens ont quitté Qom sans surveillance : en trois semaines, le virus sera répandu dans tout le pays." Dans la cité sainte chiite, le tombeau de Fatima, visité par des milliers de pèlerins, reste ouvert. Certains mollahs ont même appelé la population à continuer de s'y rendre. La vidéo d'un Iranien embrassant un sanctuaire et affirmant que le coronavirus ne peut rien contre les lieux saints chiites est très largement diffusée sur les réseaux sociaux.

Une absence de prise de conscience dans la population

Peyman Ahmadi, virologue à l'hôpital Masih-Daneshvari, au nord de Téhéran, se veut lui aussi prudent. Selon lui, l'évolution du virus est d'abord un problème de rumeur. ''A l'hôpital, les gens viennent faire des tests et nous crient dessus. Ils ont entendu et lu différentes choses qui sont souvent fausses. Il n'y a plus aucune confiance. Et ce qu'annonce le gouvernement n'aide personne à retrouver son calme. La gestion des crises est terrible.'' La désorganisation des hôpitaux et les faibles budgets qui leur sont alloués - liés en partie à l'embargo économique - aggravent la panique ambiante et les risques de contamination : ''Les personnes affectées par le virus qui ont déjà validé le test sont cloîtrées dans la même section que les personnes qui attendent leurs résultats ! Nous n'étions pas prêts pour cette épidémie'', déplore le virologue. L'homme dit manquer de masques et de matériel médical de première nécessité.

''Une infirmière et des médecins ont perdu la vie alors qu'ils essayaient de faire leur travail, avec un équipement minimal pour se protéger.'' Même écueil pour les kits de test du Covid-19 : Peyman Ahmadi dit ne les utiliser que sur des patients présentant des symptômes manifestes. Les grandes villes iraniennes sont toujours en pénurie. Récemment, le ministère de la Santé a interdit l'exportation des matières premières nécessaires à la fabrication des masques et a abaissé de 55 à 5 % les taxes sur leur importation. Par ailleurs, chaque entreprise fabriquant des produits d'hygiène, comme des mouchoirs ou des produits désinfectants, a reçu l'ordre de ne jamais stopper sa production. Le quotidien Kayhan fait par ailleurs état d'une contrebande de masques et autres produits antiseptiques. Zara, gynécologue à Téhéran, s'interroge : "Y a-t-il vraiment une prise de conscience au sein de la population ? Dans la rue, les gens continuent à se réunir sans prendre de précautions. Les enfants sont interdits d'école, mais au lieu de rester chez elles, les familles sont parties en vacances dans le Nord, au bord de la Caspienne."

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