Intersectionnalité, la nouvelle pseudoscience

TRIBUNE. André Bellon, ex-député PS des Hautes-Alpes et administrateur de l'Insee, s'en prend au succès croissant de l'intersectionnalité dans les facs françaises.

Par André Bellon*

Le concept d'intersectionnalité fait partie des concepts en vogue à l'université, notamment en sociologie.  (Image d'illustration / MaxPPP )

Le concept d'intersectionnalité fait partie des concepts en vogue à l'université, notamment en sociologie.  (Image d'illustration / MaxPPP )

© Jean Marc Loos / MAXPPP / PHOTOPQR/L'ALSACE

Temps de lecture : 4 min

Il y a presque deux siècles, une « science » voyait le jour dans l'enthousiasme du milieu universitaire : la phrénologie. Celle-ci cherchait à trouver une association statistique entre la forme de la boîte crânienne et les mœurs, en particulier lorsque ces dernières sont douteuses. Un de ses apôtres, Cesare Lombroso, développa même l'idée du criminel-né, reconnaissable par son crâne.

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Depuis plus d'un siècle, cette « discipline » est qualifiée de pseudoscience, c'est-à-dire qu'elle est présentée sous des apparences scientifiques, mais qu'elle n'en a ni la démarche ni la reconnaissance. En fait, son succès temporaire fut autrefois lié à son utilisation de la systématique, méthode permettant de dénombrer et surtout de classer les choses et les personnes dans un certain ordre, sur la base de principes logiques. Il ne reste, pour sa popularité contemporaine, qu'un album de Lucky Luke, Les Collines noires, où se manifestent plusieurs spécialistes, plus ou moins crétins, de la phrénologie.

Si cette pseudoscience fait maintenant sourire par son simplisme, ce n'est pas pour autant que la méthode qui la soutenait a disparu. On pourrait même dire que l'enthousiasme si répandu aujourd'hui dans l'université vis-à-vis de l'« intersectionnalité » n'en est que le nouvel avatar. En effet, on y retrouve la même obsession à classifier, dans des catégories de plus en plus fines, mais se référant à des critères immuables, certains négatifs-nés (Blanc, raciste, masculin, etc.), certains positifs-nés (décolonial, racisé, concerné, etc.).

Réflexes identitaires

Autre caractéristique commune, la volonté d'affirmer un déterminisme moral originel, de faire entrer les faits dans les catégories préfixées. Il ne s'agit plus du criminel-né, mais de l'oppresseur-né. Une fois la catégorie créée, point n'est besoin de prouver, il suffit d'asséner et surtout de le faire en évoquant pêle-mêle les catégories clés. Ainsi, un groupe féministe publie-t-il dans Les Inrockuptibles que « l'hétérosexualité a avant tout une utilité économique, alors, elle va forcément s'insérer dans l'économie capitaliste qui est une économie racialisée et coloniale… La construction de l'hétérosexualité comme mode d'organisation de la vie désirable est infusée par la blanchité.  » De telles théories fumeuses sont d'autant plus dangereuses qu'elles flattent des réflexes identitaires dans ce qu'ils ont de plus primitif. C'est la fin du libre arbitre, les individus sont et restent dans des boîtes.

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À ceux qui s'étonneront que l'université soit le vecteur de ces pseudosciences, on rappellera l'article d'Alan Sokal dans la revue Social Text en 1996 ; dans son texte, Sokal proposait d'enrichir « l'enseignement de Ia science et des mathématiques [...] par l'incorporation des aperçus dus aux critiques féministes, homosexuelles, multiculturelles et écologiques ». Ce texte aussi absurde que les scientifiques de Lucky Luke fut publié dans cette revue sérieuse sans un battement de cils. C'était le but de son auteur que de dénoncer la pesanteur idéologique. On pouvait, après cela, s'attendre à plus de sérieux dans l'Université.

Dieudonné réhabilité...

Et pourtant, plus de vingt ans plus tard, un canular du même ordre vient de mettre en lumière la vacuité des thèses « intersectionnelles ». Anna Breteau a révélé, dans Le Point, comment une thèse purement idéologique, mais surtout profondément antiscientifique dans sa méthode, a réussi non seulement à passer les barrages, mais aussi à obtenir une des meilleures notes possible. Le thème ainsi salué était : « Et si l'antisémitisme de Dieudonné n'était qu'une forme de résistance à la domination blanche dans la sphère publique ? » Commentaire du correcteur : « C'était bien, votre devoir, je vous ai mis une très bonne note. »

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Lors des 7es Rencontres Science et Humanisme, à Ajaccio en 2013, Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien et philosophe reconnu, intervenant sur la nécessité du retour à la dispute universitaire, demandait qu'on prenne pour sujet d'enseignement une science qui s'est révélée fausse après des années de gloire – il citait la phrénologie – et qu'on amène les étudiants à développer ainsi leur sens critique. C'est ce qu'il appelle la pédagogie du refus. Ne serait-il pas temps aujourd'hui de prendre comme sujet de cette pédagogie du refus la thèse de l'intersectionnalité ?

*André Bellon fut député (PS) des Hautes-Alpes de 1981 à 1993. Il est aujourd'hui administrateur de l'Insee.

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Commentaires (10)

  • Viviane M

    Aujourd'hui, la démonstration non simpliste est faite. Le sexisme existe. Le racisme existe. Certains pans ont été mesuré. (voir les stats fait par le secrétariat à l'égalité F/H et les testing sur des CV dont le non a été changé).
    Une femme noire subit les deux préjugés. Les solutions imaginées entre femmes blanches issues de la bourgeoisie ne sont pas toujours applicables dans les quartiers où le pression des jeunes mâles s'exerce différemment. Les femmes handicapées sont plus victimes de violences sexistes que les non handicapées. Les chiffres le prouvent.
    Par contre, il y a eu une opposition stérile (et entretenue volontairement par certains et certaines) entre des visions simplistes entre l'universalisme et le intersectionnalisme de la lutte féminisme qui a fait beaucoup de dégâts.

  • ted92

    … de prendre comme sujet de cette pédagogie du refus la thèse de l'intersectionnalité.
    Les crétins qui la défendent ne sont pas encore allé au bout de leur crétinerie et ne sont pas prêt à entendre autre chose.
    Mais cela vient doucement. Un indice : la révolte des lesbiennes (menaçant de se séparer de l'alliance SGBTQ+) au motif que des trans (hommes vers femmes) à tendance lesbienne (ca existe !) revendiquaient la sexualité avec les autres lesbiennes …. Qui elles ne voulaient pas de pénis dans leur lit.
    Quand on est dans un monde absurde, les boucles se referment et démontrent l'absurdité des bases théoriques.
    Donc, il est encore un peu tôt. Et puis : on rigole bien en voyant / lisant ce qu'ils inventent et assènent comme des vérités.

  • Pinailleur 1er

    Mais je sais parfaitement ce que vous m'expliquez, et c'est en pleine connaissance de cause que j'ai écrit mon message précédent. Comprenez mieux ma tactique. Elle consiste à les aiguiller vers une filière où ils n'auront aucune chance de succès et donc in fine les condamner à la clochardisation toute leur vie. Ce qui nous épargnera de l'arrogance des diplômés du 3e cycle et au delà et la rancœur de ceux qui n'auront même pu décrocher qu'une licence en futilité.