“Je ne suis pas une journaliste, je ne cherche pas à révéler quoi que ce soit”, prévient d’emblée Polly Tootal lorsqu’on l’interroge sur sa série intitulée The Hands That Built This City (“Les mains qui ont construit cette ville”). Les “mains” dont il est question sont celles des travailleurs immigrés, originaires principalement du sous-continent indien, qui œuvrent sur les chantiers des métropoles de Dubaï et d’Abou Dhabi, dans les Émirats arabes unis.

Une main-d’œuvre à très bas prix, voire “parfois non rémunérée, sans doute”, comme on en trouve selon la photographe à travers toute la péninsule arabique, mais aussi dans le reste du monde : “Nous sommes tous conscients du problème, affirme-t-elle. De ce que nécessite la construction des villes capitalistes : d’autres en parlent mieux que moi. Ce que je voulais avec cette série, c’était raconter l’histoire d’un paysage urbain et de ceux qui l’habitent pour, peut-être, parvenir à l’interpréter de manière poétique.”

Produites au cours de plusieurs séjours à Dubaï et à Abou Dhabi sur une période d’un an, entre 2018 et 2019, les images de Polly Tootal ont été prises dans les vastes lotissements érigés en périphérie des villes, “loin des gratte-ciel flamboyants”, dans le but d’héberger les milliers d’ouvriers migrants employés dans la construction. Des lieux mornes, où l’on ne croise quasiment “ni femmes ni enfants”, et où des contingents d’hommes attirés là par “les promesses d’une prospérité factice” se construisent, bon an, mal an, une vie. Car ces lieux sans nom ne sont pas peuplés que de rêves déçus. La photographe a aussi pu y observer “la camaraderie et la solidarité” qui unissent cette armée de déracinés.

Elle qui s’intéresse depuis le début de sa carrière “aux marges des villes, aux lieux où l’on ne se rend pas en tant que touristes” explique avoir travaillé en plein jour en éclairant ses scènes d’un flash puissant, de sorte à donner à l’ensemble “une impression de théâtralité” : “J’ai cherché à constituer un récit visuel, avec des personnages et un décor, en espérant que, mises bout à bout, mes images racontent une histoire, explique-t-elle. Mais je ne fais pas un exposé. Les personnes qui observent mes images peuvent s’en emparer pour les commenter. Les mots ne viennent pas de moi.”