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Albert Camus, Jack London... Ces auteurs qui ont écrit sur la peste

Rene Saint Paul/©Saint Paul / Bridgeman images

L’épidémie a marqué la littérature. Daniel Defoe, D’Aubigné, La Fontaine... Ils ont tous écrit dessus. Florilège.

«Je relis La Peste, lentement - pour la troisième fois. C’est un très grand livre, et qui grandira.» Les paroles de Louis Guilloux adressées à Albert Camus à propos de son roman La Peste étaient incantatoires. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’épidémie de Coronavirus s’intensifie. Et avec elle, une hausse des ventes dudit ouvrage en Italie comme en France, même si le phénomène est moins important.

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Au lendemain des attentats du 13 novembre, c’était Hemingway qui avait aidé les Français. Après le tragique incendie de Notre-Dame de Paris, il s’agissait cette fois-ci du monument éponyme de l’illustre Victor Hugo. Aujourd’hui, Camus est en première ligne. Et il n’est pas le seul. L’Aveuglement de José Saramago connaît de belles heures en librairies. Florilège de ces livres qui ont chacun marqué les consciences pour leur traitement de l’épidémie.

La peste d’Albert Camus

1940. À Oran, les habitants sont frappés par une étrange épidémie. Les hommes meurent comme les rats. Le doute est de mise, mais très vite le mot est lancé: il s’agit de la peste. Voici alors la ville coupée du monde pour limiter toute propagation tandis que la mort et le désespoir ravagent les corps et les cœurs. Au cœur de cet îlot, Camus fait la chronique de la vie quotidienne de ses résidents à travers divers points de vue contrastés. La zizanie règne, jusqu’à ce que...

Camus a pris plusieurs années pour rédiger ce roman, de multiples fois mis en pause. Sans nul doute, l’auteur s’est imprégné de multiples documentations et notamment de d’Aubigné, comme il l’a écrit à Francis Ponge en 1943: «Il y a un mois que je n’ai pas écrit une ligne. Caligula et Le Malentendu, La Peste et mon étude sur d’Aubigné, tout cela dort et je traîne dans l’inertie.»

Cela étant, le récit est fictionnel. Certains y ont vu une analogie avec le nazisme d’alors. Ce que Camus écrivait ainsi à Barthes en 1955: «La Peste [...] a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. [...] La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins.»

Les animaux malades de la peste de La Fontaine

«Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.» La Fontaine n’a jamais caché ses intentions. Au-delà de son aspect poétique, son recueil de Fables était en 1668 non seulement une manière de donner ses lettres de noblesse à un genre littéraire jusque-là jugé mineur mais une façon d’éduquer - et bien entendu de critiquer - l’homme en lui tendant un miroir de son monde. Le roi se retrouve grimé en lion, les courtisans en singes, les bellâtres en coqs... La cour de Louis XIV devient aussi basse que les faits et gestes de certains «grands» de France.

La fable des animaux malades de la peste ne fait pas exception. À travers ce «mal qui répand la terreur», La Fontaine fait une critique du pouvoir arbitraire du roi (ici représenté comme un lion qui «dévore») et de ses courtisans, hypocrites, qui flattent. Le roi dans sa cour cherche faussement une justice à l’épidémie qui décime ses troupes. Puisqu’il en est à l’origine. Ainsi La Fontaine critique-t-il la justice qui ne juge pas le crime, mais le rang. La morale est sans appel: «Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.»

La Peste écarlate de Jack London

La peste n’a pas épargné la science-fiction. En 2073, l’auteur imagine un monde où la nature a repris ses droits après qu’un étrange fléau (l’étymologie première de la «peste») a décimé non pas en 2020, mais en 2013 (nous sommes saufs!) la planète. Cette maladie est appelée «peste écarlate», car celle-ci avait pour particularité de colorer la peau en rouge.

Évidemment, tout n’est pas noir (ou rouge, c’est selon) dans ce livre post-apocalyptique. Des individus ont survécu et ont ainsi pu recréer une société ex nihilo. Mais comment exister sans passé alors que le monde réduit à l’état de nature n’a plus de culture? Dans cet univers établi sur de la poussière, un grand père et ancien professeur va tenter de raviver l’histoire d’une humanité (pas si) perdue à travers les récits qu’il raconte à ses petits-enfants. La civilisation peut-elle renaître? London donne raison au dicton: tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Journal de l’année de la Peste de Daniel Defoe

Son auteur est davantage connu pour avoir laissé un homme sur une île que pour avoir décrit la mort de l’humanité. Pourtant, Daniel Defoe fut un contemporain de la terrible maladie. Lorsqu’il publie ce Journal en 1722, l’auteur sait combien la peste a tué et suscité la peur à Marseille. «En 1720, il décrit à dix reprises dans divers périodiques, dont The Daily Post, Applebee’s Journal, Mist’s Journal, les ravages causés par la peste en France», note Hélène Dachez dans Peste, texte et contagion: Le Journal de l’année de la peste (1722) de Daniel Defoe .

Dans son livre toutefois, il n’est pas question de la cité phocéenne, mais de Londres, qui fut en 1665, une nouvelle fois victime de la peste. Son objectif était double selon Pierre Julien: «prophylactique - tirer les leçons de l’expérience qui coûta à Londres 70 000 morts en un an - et moralisateur - il faut accepter la volonté de Dieu.» Aussi est-ce pour ces raisons que l’auteur abonde en précisions et descriptions médicales. Le critique littéraire Watson Nicholson en parla ainsi: «Defoe donne une description digne des grands cliniciens du XIXe siècle [...] comme il y a une société du crime, il y a une société de la peste qui a pesé très lourd dans l’histoire des mentalités.»

 Les Tragiques de D’Aubigné

La référence n’est pas transparente comme dans les précédents exemples. Cela l’auteur, qui fut notamment touché par ce fléau en 1562, fut aux premières loges pour décrire l’épidémie et ses ravages. Dans Les Tragiques, monumentale œuvre traitant des guerres de religion, D’Aubigné se fait le chantre d’une écriture luciférienne, suscitant à la fois terreur, pitié et admiration.

Dans ses vers imprécatoires issus du Jugement, il écrit: «Voulez-vous du poizon? en vain cest artifice. Vous vous précipitez? en vain le précipice. Courez au feu brusler? le feu vous gèlera ; Noyez-vous? l’eau est feu, l’eau vous embrazera ; La Peste n’aura plus de vous miséricorde. Estranglez-vous? en vain vous tordez une corde ; Criez après l’Enfer? de l’Enfer il ne sort Que l’éternelle soif de l’impossible mort.» À travers ses mots, il peint une «révélation» tel que le figure l’étymologie du terme «apocalypse» et pousse l’anathème sur les «enfants de ce siècle». Malheur à celui qui pèche.

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Albert Camus, Jack London... Ces auteurs qui ont écrit sur la peste

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3 commentaires
  • Prénom Clotilde

    le

    Et "Les fiancés " " I Promessi Sposi " de Manzoni, un grand classique italien.
    On peut choisir de se changer les idées avec l 'excellent nouveau suspense de Joël Dicker "L'énigme de la chambre 622 " ( Éditions de Fallois).Il y évoque aussi le très grand éditeur, qui a cru en son talent, Bernard de Fallois.Sa fidélité est exemplaire et touchante.

  • fort alarmant

    le

    Il y a aussi le superbe roman de Christiane Singer "La mort viennoise" un écrivain trop tôt disparu et une femme magnifique dans la vie. Camus est très connu, c'est un classique mais je lui préfère Jack London. Quant à La Fontaine, il semble que le temps des hommes, quel que soit le siècle, rien ne lui aura échappé de ce qu'ils furent, sont et seront.

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