Dans les médias, une (r)évolution du langage sur les violences sexistes et sexuelles

Quelques Unes de journaux évoquant les violences conjugales ou féminicides ©Radio France - Fiona Moghaddam
Quelques Unes de journaux évoquant les violences conjugales ou féminicides ©Radio France - Fiona Moghaddam
Quelques Unes de journaux évoquant les violences conjugales ou féminicides ©Radio France - Fiona Moghaddam
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De plus en plus, les médias s'attachent à employer les "bons mots" pour évoquer les violences sexistes et sexuelles. Les trop fréquents "drames familiaux" ont laissé place aux "meurtres conjugaux" ou "féminicides". Une évolution réelle, saluée par les associations, même si beaucoup reste à faire.

Il y a encore un ou deux ans, il n'était pas rare de découvrir dans la presse ou sur internet des titres évoquant "un drame familial" ou "un crime passionnel" ou des jeux de mots qui n'étaient pas vraiment appropriés aux faits décrits. Aujourd'hui, les médias qu'ils soient de presse écrite, radio ou télé emploient plus volontiers les notions de féminicide ou meurtre conjugal et semblent de plus en plus attentifs à ces questions. Mais des évolutions restent à mener, notamment en ce qui concerne les émissions de divertissement à la télévision. 

Sous le hashtag #lesmotstuent, des articles sont régulièrement épinglés sur Twitter pour avoir employé des termes qui ne correspondent pas à la réalité des faits ou qui ne traitent pas de manière juste et objective les violences sexistes et sexuelles. Ici un auteur de violences conjugales est décrit comme "un champion des baffes", ailleurs "une histoire d'amour finit mal" ou encore "un jaloux maladif imposerait des relations sexuelles à sa compagne". Parfois, les médias s'excusent, comme la Voix du Nord qui, après avoir été interpellée sur les réseaux sociaux, a immédiatement retiré l'article et expliqué être "engagée dans un travail nécessaire sur [sa] façon d'aborder les affaires de violences conjugales."

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Une prise de conscience des médias

Pour en finir avec ce type de propos et mieux traiter les violences sexistes et sexuelles, le quotidien régional Ouest France explique avoir mis en place il y a un an et demi un groupe de travail "égalité". Après avoir établi des préconisations, une charte pour une écriture non sexiste a été mise en place. Elle invite les journalistes à éviter certaines expressions et clichés sexistes comme "bon père de famille", "femme douce", etc. Un glossaire des violences faites aux femmes indique également les termes à privilégier : "meurtre conjugal" ou "féminicide" plutôt que d'évoquer un "crime passionnel". Ouest France travaille également à systématiser le numéro 3919 (numéro national d'écoute dédié aux femmes victimes de violences) dans ses articles lorsqu'un sujet traite de violences conjugales.

À Libération, la rédaction est sensibilisée depuis plusieurs années à ces questions. La journaliste Virginie Ballet est en charge des droits des femmes depuis près de cinq ans. "On est tous plus attentives et attentifs aux questions relatives aux droits des femmes au sein de la rédaction, _ce sont des sujets qu'on porte de plus en plus__", explique la journaliste. "En janvier 2017, la journaliste Titiou Lecoq a lancé à Libération un décompte mensuel des féminicides, qu'on tient tous les mois sur le site internet de Libération et qui est là pour à la fois tenir des statistiques mais aussi et surtout pour raconter la vie des femmes touchées. C'est une manière pour nous de_ visibiliser ce phénomène qui a trop souvent été considéré comme des faits-divers et non un fait de société. Je pense qu'on est, de plus en plus, engagés à la rédaction sur ces questions-là", ajoute la spécialiste des droits des femmes. En 2004 déjà, l'une de ses collègues avait travaillé plusieurs semaines à recenser les "différents conjugaux" pour questionner le traitement médiatique qui en était fait. Au sein du journal, l'évolution de ce traitement s'est faite "naturellement" d'après Virginie Ballet.

Virginie Ballet, journaliste à Libération, est chargée des sujets sur les droits des femmes
Virginie Ballet, journaliste à Libération, est chargée des sujets sur les droits des femmes
© Radio France - Fiona Moghaddam

On est beaucoup à s'intéresser au sein de la rédaction aux droits des femmes et je pense que cela part d'abord d'une responsabilité individuelle et d'engagements individuels et ensuite, nous avons évidemment des moments de questionnement collectif mais sur les mots à employer pour les violences faites aux femmes, nous sommes tous d'accord qu'il est nécessaire de parler des bonnes choses, de ne pas minimiser les faits évoqués, de ne pas parler d'abus sexuels mais de dire lorsqu'il s'agit d'un viol ou d'une agression sexuelle. Nous sommes tous assez conscients là-dessus.                                                
Virgine Ballet, journaliste spécialiste des droits des femmes à Libération

Pourtant, récemment encore, une Une de Libération opposant Roman Polanski et Adèle Haenel a été vivement critiquée sur les réseaux sociaux. "On est en train d'apprendre, ce n'est pas toujours parfait" admet Virgine Ballet qui précise qu'il y a aussi régulièrement des remises en question et des débats en interne lors des comités de rédaction sur les choix qui peuvent être faits. 

Cette évolution des médias est générale, constate l'association de femmes journalistes Prenons la Une. "Il y a une prise de conscience par les médias, que ce soit la presse écrite, la radio ou la télévision. _Il y a des bonnes pratiques qui sont en train de se mettre en place__, pour le traitement des violences faites aux femmes, le harcèlement dans les rédactions et la parité sur les plateaux télévisés, il y a clairement une avancée"_, note Léa Broquerie, porte-parole de Prenons la Une. Même si le travail est encore loin d'être accompli.

Léa Broquerie, porte-parole de Prenons la Une
Léa Broquerie, porte-parole de Prenons la Une
© Radio France - Fiona Moghaddam

Alors, pour sensibiliser et aider les rédactions à employer des termes plus justes, l'association met en place un outil à destination des journalistes. Parmi les conseils qui leur sont adressés : ne pas juger la victime en donnant des précisions sur sa tenue vestimentaire, bannir les termes crimes passionnels ou drame familial, indiquer le numéro d'appel 3919 à la fin de l'article, rappeler le nombre de féminicides qu'il y a eu dans l'année... 

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Autre mission de l'association : intervenir dans les écoles de journalisme auprès des étudiants. "Nous demandons que ces cours soient intégrés systématiquement dans les programmes. C'est important d'en parler dès l'école car ces élèves vont devenir journalistes dans un ou deux ans. Si dès l'école ils apprennent les bonnes pratiques, ils s'en serviront ensuite dans leur rédaction et c'est comme cela que les choses évolueront", confie Léa Broquerie.

Une évolution du langage pour faire évoluer la société

L'évolution de notre langage contribuera aussi à une évolution plus globale dans la société. Évidemment, le langage ne permettra pas à lui seul de mettre fin aux violences conjugales ou aux inégalités entre les femmes et les hommes. "Ce sont des caricatures de dire cela", lance Laélia Véron, enseignante-chercheuse en langue française et stylistique à l'université d'Orléans. Mais évoquer un "drame passionnel" plutôt qu'un féminicide n'interpelle pas de la même façon.

Réfléchir sur le langage, à la manière dont on l'utilise, c'est réfléchir à comment l'on se pose comme sujet dans le langage, comment on interagit avec les gens, comment on découpe le monde. Et cela peut aller avec une prise de conscience. Cette prise de conscience peut s'accompagner d'actions et donc de changements. C'est cette idée de plusieurs choses qui vont ensemble et aussi d'un rapport dialectique entre le langage, le monde, le langage représente, reflète notre façon de voir le monde mais peut aussi influencer notre façon de voir le monde et donc le changer.     
Laélia Véron, enseignante-chercheuse en langue française et stylistique à l'université d'Orléans

Le changement s'opère donc petit à petit dans les médias. Mais un domaine y échappe encore : le divertissement et notamment la téléréalité, loin de refléter l'image de la réalité justement. Ici, il s'agit bien plus que du langage car le sexisme y est omniprésent. C'est en tout cas ce que souligne le rapport sur l'état des lieux du sexisme en France publié en début de semaine par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes. Ce rapport rappelle que les émissions de divertissement représentent 54% des programmes télévisés. Des programmes particulièrement appréciés par les plus jeunes : les 15-24 ans passent 63% de leur temps de télévision à regarder du divertissement. Pour son rapport, le HCE a étudié trois émissions de téléréalité : "Les Marseillais vs le reste du monde", "Les Anges de la téléréalité" et "Koh-Lanta". 

Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes
Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes
© Radio France - Fiona Moghaddam

[Dans ces émissions, il y a] des injures sexistes, les femmes sont considérées comme débiles. Les rôles sociaux sont extrêmement déterminés, (...) stéréotypés : les filles doivent faire le ménage, les hommes non. Et il y a une omniprésence du male gaze, c'est-à-dire le regard de l'homme qui constitue la femme. Les femmes sont très souvent sexualisées hors de propos : par exemple, elles arrivent pour prendre leur petit déjeuner en talons aiguilles et robe de chambre transparente. L'hypersexualisation est en quelque sorte dédiée à l'homme, c'est celui qui dit la norme de la beauté. L'homme lui est dans les codes de la virilité.                                      
Brigitte Grésy, la présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes

Les modèles de couples représentés dans ces émissions sont aussi marqués par la violence, qu'elle soit psychologique ou physique. "On a là tout le continuum des violences que l'on combat par ailleurs", déplore Brigitte Grésy. En étudiant plus particulièrement ces émissions de téléréalité, le HCE a voulu regardé ce qui lui paraissait comme étant "l'anti-rôle modèle". Car les plus jeunes "se construisent par identification, à des femmes et des hommes qu'ils admirent"... D'où la nécessité pour ces émissions de téléréalité d'évoluer rapidement pour mettre fin à ces stéréotypes de genre et au sexisme. Pour cela, le HCE recommande notamment la signature d'une charte d'engagement avec le CSA, par les chaînes diffusant ces émissions.  

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