Fluidifier la connexion entre les prothèses et leurs porteurs est un enjeu médical qui pourrait trouver une réponse dans cette innovation. Elle n’est qu’au stade expérimental, mais ses résultats sont très prometteurs.

Les prothèses bioniques ne sont qu’à leurs débuts, mais elles ont tout le potentiel pour offrir une vie bien différente aux personnes amputées. Aujourd’hui, le challenge n’est pas seulement de faire des mains et des jambes perfectionnées et esthétiques, il s’agit aussi d’améliorer le lien entre la prothèse et son porteur. Ce 4 mars 2020, la scientifique Cynthia Chestek, spécialisée en neuro-ingénierie, a présenté dans Science ses importantes avancées sur ce sujet. On y découvre une prothèse qui offre aux personnes amputées la possibilité de contrôler leur main prothétique simplement en pensant à des mouvements.

Cette innovation n’est pas des moindres par rapport à ce qui est en vigueur de nos jours. La plupart des prothèses bioniques actuelles ne fonctionnent pas de façon aussi intuitive. Après l’amputation d’une main ou de l’avant-bras, certains muscles restent intacts. C’est alors en apprenant à contrôler ces muscles résiduels que l’on peut contrôler la main prothétique. En l’absence de muscles résiduels, il faut alors apprendre à contrôler d’autres types de muscles, dans la partie supérieure du bras, afin de déclencher les mouvements voulus dans la prothèse. Que ce soit physiquement ou moralement, c’est difficile à vivre pour les personnes concernées.

 «  C’est comme si vous aviez à nouveau une main », témoigne l'un des participants, ici sur la photo. // Source : Université du Michigan

« C’est comme si vous aviez à nouveau une main », témoigne l'un des participants, ici sur la photo.

Source : Université du Michigan

Les signaux électriques des nerfs doivent être amplifiés

Connecter une prothèse au cerveau par les muscles n’est toutefois pas la seule solution : les nerfs sont une autre piste, plus directe. En plantant des fils entre ces nerfs, il est théoriquement possible de relier les signaux électriques entre le cerveau et la prothèse. Sauf que cette solution n’est pas la plus aisée à concevoir, car les nerfs obéissent à une mécanique extrêmement complexe. Les signaux électriques sont relativement faibles et, de fait, la moindre interférence change tout au message transmis pour faire un mouvement.

Ces dernières années, les chercheurs ont donc développé toutes sortes de possibilités pour créer une voie nerveuse crédible, avec un succès pour le moins… relatif. L’ingénieure Cynthia Chestek et ses co-auteurs démontrent quant à eux une véritable efficacité expérimentale à leur dispositif. L’innovation combine l’insertion de « mini-muscles » et de nerfs. La technique, détaillée dans l’étude, consiste à prélever une toute petite portion de muscle dans la cuisse du patient, afin de l’intégrer à l’extrémité de la prothèse. L’objectif : permettre aux nerfs sectionnés par l’amputation de développer de nouveaux tissus.

Cela provoque la plus haute tension électrique jamais détectée dans un nerf

En développant un nouveau réseau, les nerfs amplifient tout naturellement leurs signaux, ce qui les rend plus facilement détectables, sans qu’ils arrivent biaisés. Avec ce dispositif, on atteint même la plus haute tension électrique jamais enregistrée dans un nerf humain jusqu’ici, annonce Cynthia Chestek. Un implant connecté à ces mini-muscules, entre le bras et la prothèse, peut aisément détecter ces signaux. Il va ensuite les transmettre à un ordinateur, auquel est relié le patient. Des algorithmes de machine learning, entraînés à traduire les signaux électriques, vont alors transmettre le mouvement à la main prothétique.

Est-ce que le dispositif fonctionne ?

Du fait de son stade expérimental et de l’actuelle nécessité d’être connecté à un ordinateur, cette technologie appelée « interface régénérative des nerfs périphériques » ne peut pas être utilisée en dehors d’un contexte de laboratoire. Mais cela ne change rien à sa portée prometteuse. L’ingénieur Gregory Clark indique à Science que ce travail est « prometteur » car il « ouvre de nouvelles possibilités pour un meilleur contrôle ».

En intégrant ce dispositif à une prothèse actuellement commercialisée (LUKE), les patients ont pu procéder à toute une variété de mouvements : ouvrir une fermeture éclair ou bien attraper et déplacer des objets de différentes tailles. Ces capacités sont immédiates, après l’implantation du dispositif, et les mouvements adviennent tout naturellement, nécessitant peu d’accommodation. Et c’est bien cela qui est exceptionnel. Dans un article publié sur le site de l’université du Michigan, l’un des participants, amputé en 2013, témoigne : « C’est comme si vous aviez à nouveau une main. Vous pouvez faire à peu près tout ce que vous pourriez faire avec une vraie main. Cela vous ramène à un sentiment de normalité. » L’expérimentation est d’ailleurs accompagnée de la vidéo ci-dessous, où l’on peut voir le dispositif en action.

Voir un patient amputé bouger aussi naturellement une main prothétique par la pensée, sans agir lui-même sur sa contraction musculaire, aurait été impensable il n’y a ne serait-ce qu’une décennie. Tout comme, à une certaine époque, les prothèses bioniques pouvant être contrôlées par des contractions musculaires n’existaient pas. Alors si cette innovation n’est pas encore applicable dans la vie de tous les jours, ce n’est pas pour autant qu’elle n’a pas d’ores et déjà une vraie portée. « Il y aura du chemin à parcourir, mais nous n’arrêterons pas de travailler sur ce projet tant que nous n’aurons pas complètement restauré les mouvements des mains. C’est le rêve des neuroprothèses », conclut Cynthia Chestek.

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