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"Les mails, c'est pas son truc" : au ​procès Fillon, la journée de "super Penelope"
Ce 4 mars, Penelope Fillon a été décrite comme une stratège de l’ombre quasi clandestin, sorte de Jacques Attali de la Sarthe.
Mehdi Taamallah / NurPhoto

"Les mails, c'est pas son truc" : au ​procès Fillon, la journée de "super Penelope"

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Toute l’audience de ce mercredi 4 mars a été consacrée à vanter les mérites de Penelope Fillon. Trois témoins sous serment sont venus détailler ses talents d’organisatrice et de conseillère de l’ombre. L'ancien Premier ministre joue une partie à quitte ou double.

Ce mercredi 4 mars, c’est son anniversaire. Qui aurait imaginé le général de Gaulle fêter son anniversaire à la barre d’un tribunal correctionnel ? François Fillon est là, costume sombre, assis au premier rang des prévenus. Et ce mercredi, il est plutôt à la fête, assistant sans rien dire à un concert de louanges et un défilé de fidélité.

Tous ceux qui se succèdent à la barre sont intarissables sur la réalité du travail de son épouse Penelope. Non seulement tenait-elle l’agenda, mais elle lisait les courriers, proposait des réponses, suggérait des déplacements dans certains quartiers. Elle était aussi une conseillère politique hors pair, aussi bien pour les questions locales que pour les sujets plus vastes. C’est le portrait d’une « Super Penelope » que dessinent les témoins de ce mercredi, tous proches de l’ancien premier ministre. Une « Super Penelope » grâce à qui en 2002 le suppléant de François Fillon à l’Assemblée, Marc Joulaud, a pu « s’implanter » comme député. Une « Super Penelope » grâce à qui François Fillon, en 2007, a pu être réélu dans sa circonscription. « Elle lui a permis de garder le lien », certifie Marc Joulaud. « Super Penelope » était la tête à Paris, mais les pieds dans la Sarthe. Dans la famille Fillon, à entendre ces lauriers, le cerveau, c’est elle... Un cerveau efficace mais aussi discret par pudeur, Penelope Fillon s’étant toujours cachée d’exercer des fonctions rémunérées. Une sorte de Jacques Attali de la Sarthe, de stratège de l’ombre quasi clandestin.

"Les policiers ont tout fouillé..."

Le premier à s’avancer est droit comme un i et a deux têtes de plus que tout le monde. Marc Joulaud, renvoyé en correctionnelle pour avoir salarié Penelope Fillon de 2002 à 2007, doit tout à François Fillon. Ancien cadre de collectivité locales, Marc Joulaud, 52 ans, a d’abord travaillé avec son mentor à la mairie de Sablé, avant de se voir proposer en 2001, à 34 ans, de devenir son suppléant à l’Assemblée. Une proposition en or. Fillon, élu depuis 1981 de cette 4ème circonscription mi rurale mi urbaine de la Sarthe, a toutes les chances d’être élu. Et s’il entre au gouvernement, le suppléant héritera fauteuil. « J’étais un technicien des collectivités locales, pour moi, c’était passer de l’autre coté, passer devant. C’était un changement de vie, j’en ai parlé avec mon épouse, et j’ai accepté ».

« J’aurais été un baron de la drogue de la Sarthe, je n’aurais pas été traité différemment »

Marc Joulaud, élu en 2002, rendra la circonscription en 2007, puis héritera d’un poste éligible de député européen (« grâce à François Fillon »), puis du fauteuil de maire de Sablé-sur-Sarthe, poste pour lequel il est actuellement campagne pour sa réélection, quand l’actuel procès lui en laisse le temps. Marc Joulaud doit donc tout à François Fillon. Y compris cette matinée de mars 2017, qu’il raconte à la barre. « Ma fille me dit papa, il y a plein de voitures devant la maison. On a d’abord cru à des journalistes. C’est en fait le juge Tournaire et des policiers qui sonnent. Ils nous disent de ne plus toucher à rien... Ma fille devait passer le bac blanc de français, Elle s’est mise à pleurer, quand le juge lui a d’abord dit qu’elle n’irait pas, avant de finalement se raviser. Les policiers ont tout fouillé, retourné les canapés. Ils ont même passé un miroir sous ma voiture pour vérifier que je n’avais rien caché... » Marc Joulaud revit son émotion de cette matinée. « J’aurais été un baron de la drogue de la Sarthe, je n’aurais pas été traité différemment », se désole-t-il, encore tout chamboulé, racontant ensuite avoir été « chassé par la presse ».

"Nous étions une équipe soudée"

Mais celui qui est décrit au dossier judiciaire comme quelqu’un de timide et d’effacé, devant les juges, les policiers, et à cette barre, fait front. Marc Joulaud admet avoir embauché comme assistante parlementaire l’épouse de François Fillon, à la demande de ce dernier. François Fillon se charge de remplir le dossier et de fixer la rémunération, à plus de 6.000 euros par mois, engloutissant 80% de l’enveloppe de collaborateur parlementaire de Marc Joulaud. « Je ne m’en suis pas occupé », admet ce dernier. « On l’a vu ensemble », assure pourtant François Fillon. C’est leur seul désaccord. Pour le reste, le fidèle Joulaud, mordicus, certifie que son assistante Penelope Fillon lui a été d’une très grande aide. « Nous étions une équipe soudée », martèle-t-il.

L’épouse du ministre, qui habite Paris mais se rend dans son manoir de Beauté du jeudi au lundi, l’informe de tout. « Elle m’alimentait en information », dit Marc Joulaud, intarissable. « Sans madame Fillon, vous n’auriez pas pu tenir votre rôle de député ? », lui demande la présidente, Nathalie Gavarino, sur un ton ingénu. « Ah oui, répond l’intéressé. La connaissance du terrain, des acteurs, des gens, je ne l’avais pas ». Par quel biais Penelope Fillon délivre-t-elle ses conseils si précieux ? « Il s’agit d’une collaboration orale, immatérielle », s’explique l’ancien député. Pas de mail. Pas de dossier. Par de rapport. Pas de trace écrite. « Nous n’avons pas gardé d’archives », se défend l’élu. La présidente demande alors à la greffière de l’audience de faire descendre l’écran géant pour une « projection de scellés ». Le rétroprojecteur de la salle s’allume. S’affichent comme au cinéma des boites de cartons d’archivages, photographiées par les enquêteurs en mairie de Sablé-sur-Sarthe. Trente-six pages de photos défilent, à raisons de 3 boites d’archives pris en photo par pages. Soit un total de 108 cartons.

Penelope Fillon, l'adversaire de Penelope Fillon

Sur chacun d’entre eux, des événements liés à la mandature de Marc Joulaud, classés par thème. « Vous dites que vous n’avez pas d’archives, mais là on en voit », s’étonne la présidente. Marc Joulaud ne se démonte pas. « Le principe général c’était de ne pas garder... je n’ai pas donné de consignes pour que ces archives soient conservées », réagit-il. En tout cas, dans ces boites non plus, pas de traces d’intervention de son assistante Penelope Fillon. Elle est appelée à la barre. L’épouse de l’ancien premier ministre semble rapetisser à chaque fois qu’elle s’approche du micro tant l’exercice semble pour elle relever du supplice. « Vous confirmez avoir apporté à Marc Joulaud la connaissance du terrain ? » lui demande la présidente. « Oui, tout à fait ». Nathalie Gavarino interroge Penelope Fillon sur la raison pour laquelle les enquêteurs n’ont pas trouvé la moindre photo d’elle en compagnie du député suppléant, pendant les 5 ans de la mandature. « C’était pour un soucis de discrétion », réplique dans un filet de voix la « conseillère de l’ombre».

« Mais vous souvenez-vous d’un conseil précis que vous avez donné à Marc Joulaud ? » insiste la magistrate. « Oui, une personne m’avait contacté pour ouvrir une galerie d’art dans sa ferme. J’en avais parlé à Marc et une galerie a ouvert plus tard ». Penelope Fillon s’arrête là. A sa place, on imagine une Isabelle Balkany, une Xavière Tiberi ou une Bernadette Chirac, intarissables sur des interventions locales. Pas elle. Réponses sobre. Laconiques. Dan cette salle correctionnelle, Penelope Fillon est la principale adversaire de Penelope Fillon. La présidente insiste : « Marc Joulaud a cité 4 ou 5 personnes que vous lui avez fait rencontrer, et vous deux ou trois, ne vous en souvenez pas de davantage ? » « Oui, des anonymes, des gens... » Penelope Fillon élude sans citer le moindre nom supplémentaire. François Fillon lui succède au micro et ses épaules à elle semblent se redresser un peu, comme en signe de soulagement. « Tout a été dit par Marc Joulaud, se félicite l’ancien premier ministre. Il a mieux décrit les choses que je n’ai pu le faire moi même ... Marc Joulaud et moi, nous ne faisions qu’un », assure l’ancien candidat à la présidentielle. « Nous étions une équipe », insiste-t-il à son tour.

Penelope, les mails, c’est pas son truc

Un point titille le procureur Bruno Nataf, celui des congés payés, dont Penelope Fillon a bénéficié quand elle travaillait pour Marc Joulaud, mais sans les déclarer. Du coup, ils lui ont été payés pour un montant de plus de 16.000 euros. Marc Joulaud admet que son assistante prenait « une semaine de congés en hiver et trois l’été », et concède un « manque de rigueur et de formalisme ». Puis le fidèle suppléant se rassoit, l’air content de lui. Il peut. Sa déposition a été sans fausse note. Il est celui qui depuis le début du procès a décrit avec le plus grand luxe de détails la masse de travail qui aurait été accomplie par son assistante parlementaire. En toute clandestinité...

Après Marc Joulaud, Sylvie Fourmont est appelée à la barre. Comme les deux autres témoins qui vont suivre, elle n’a pas assisté aux débats jusque là. Voix de Simone Signoret, cheveux gris et ras, foulard coloré autour du cou, elle est la plus ancienne collaboratrice de François Fillon. Elle était déjà à ses cotés en 1981, quand à 27 ans il a été élu le plus jeune député de France. Elle l’a suivie partout jusqu’à Matignon, comme chef de son secrétariat. Pour elle, née à Sablé-sur-Sarthe et « sans trop de diplôme », une vie dans l’ombre de ce grand homme. « François Fillon avait une organisation d’équipe, commence-t-elle. Il a créé une équipe autour de lui dès 1981. Penelope a tout de suite intégré l’équipe. C’était un élément essentiel de l’équipe ». Quatre fois le mot « équipe » en quatre phrases. La secrétaire poursuit : « Penelope avait un regard. Elle me passait le courrier et me disait ce qu’il fallait en faire ». Pressée elle aussi de donner des exemples, parce que non seulement aucune trace écrite n’a été conservée de ces conseils, et que Penelope Fillon n’était dans aucune des boucles mails de Sylvie Fourmont, cette dernière avance une explication simple : « Penelope, les mails, c’est pas son truc ».

Des conseils "immatériels"

Elle aussi assure que «les conseils de Penelope » étaient « immatériels ». « Je respecte la discrétion de Penelope », insiste la secrétaire. Vient ensuite Pierre Molager, l’ancien chef de cabinet de François Fillon en maire de Sablé, devenu chef de cabinet adjoint à Matignon, puis nommé sous préfet en 2009. Actuel sous-préfet en Savoie, il l’assure sous serment : quand il était en poste à la mairie de Sablé, Penelope Fillon l’aidait « pour la gestion du courrier », « pour les échos du terrain » et comme « conseillère politique ». Pierre Molager reste même admiratif de « toutes les remontées elle faisait ». « C’était une équipe », insiste-t-il lui aussi. Dernier témoin de ce mercredi, Igor Mitrofanoff, l’ancienne « plume » de François Fillon. Lui aussi campe l’épouse de son mentor dans un rôle de « conseil, d’information, de relais sur le terrain » et faisant partie « de l’équipe de la Sarthe ». Tous auront coché le mot « équipe »...

La discrète Penelope Fillon quitte l’audience aux cotés de son mari. Simplement soulagée d’une journée d’audience terminée ou d’avoir entendu un tel concert de louanges ? Quoiqu’il en soit, la défense Fillon estime en ce jour d’anniversaire avoir marqué des points. C’est désormais un bras de fer à quitte ou double que joue l’ancien candidat à la présidentielle. Soit il obtient une relaxe qui ouvrirait la porte du procès d’une justice ayant confisquée la dernière présidentielle. Soit il ne parvient pas à convaincre de la réalité du travail de son épouse, et François Fillon devra répondre d’un million d’euros de fonds publics détournés. La note judiciaire, pour des montants de cet ordre, se paye, par les temps qui courent, en années de prison ferme.

Le récit du procès Fillon, jour après jour

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne