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discriminationParce que je suis lesbienne, des prêtres ont voulu m'effacer des obsèques de ma femme

Par Timothée de Rauglaudre le 03/03/2020
obsèques

Alors que Sonia, 46 ans, vient de perdre sa femme, croyante catholique, après de nombreuses années de lutte contre une maladie rare, la pastorale des funérailles de Paris a voulu jusqu'à l'acharnement que leur amour ne soit pas mentionné au cours des obsèques. Elle se confie à TÊTU.

Avec Sophie, nous étions ensemble depuis huit ans. Nous nous sommes rencontrées début 2012. Deux ans après, nous avons appris le diagnostic de la maladie de Sophie : une maladie rare dont on ne peut pas guérir, la fibrose pulmonaire idiopathique. Son frère aîné est décédé de cette maladie, il y a eu deux cas dans sa famille. Ça a été très dur mais nous avons décidé d'avancer main dans la main et de nous battre. Un peu plus de cinq ans ensemble face à la maladie n'ont fait que renforcer notre amour ; nous étions persuadées qu'elle irait jusqu'à une greffe des poumons. Toutes les deux, nous nous sommes battues pour nos droits, nous avons soutenu l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Nous nous sommes mariées le 3 août 2019, nous savions que Sophie ne serait plus en bonne santé pour l'automne mais c'était quelque chose qui nous tenait à coeur. Symboliquement, nous avions envie de le faire, mais nous voulions aussi protéger nos droits au sein du système hospitalier.

"Elle m'avait dit que de préférence elle souhaiterait une cérémonie dans une église, une église souple et humaine qui ne rejetterait pas les homosexuels."

Nous étions toutes les deux baptisées catholiques, Sophie était croyante - moi, je suis perdue après tout ce qui m'est arrivé. Partout où nous allions, dans les villages, à la montagne, nous aimions beaucoup les églises, nous y entrions pour allumer des cierges, nous étions sûres toutes les deux que l'âme des défunts que nous aimions était quelque part. Nous nous projetions toujours dans du positif, nous avions plein de projets pour après la greffe. Nous ne parlions pas de la mort. Mais elle m'a dit que si le pire devait arriver, elle était convaincue qu'elle rejoindrait son frère et sa mère. Elle m'avait dit que de préférence elle souhaiterait une cérémonie dans une église, une église souple et humaine qui ne rejetterait pas les homosexuels.

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"Votre amour est contre la foi chrétienne"

Elle est décédée il y a trois semaines, le 8 février. Elle est morte dans mes bras, en réanimation. J'étais sous le choc total de sa mort, pendant cinq jours je n'arrivais plus à parler. Je bégayais. Son frère, J., a pris le relais pour tout ce qui était religieux et pour trouver des pompes funèbres. Il a proposé d'aller à la pastorale des funérailles, qui s'occupe de plusieurs églises dans le XXe arrondissement de Paris. Je lui ai demandé de préciser qu'on était un couple de femmes, je n'avais pas envie que cela se passe mal. Il a appelé et a réservé la chapelle de l'Est au Père-Lachaise.

"Non. Je ne pourrai pas parler de votre amour, de votre histoire, ni de vous comme sa compagne, parce que c'est contre la foi chrétienne."

Un soir, l'abbé qui devait célébrer les obsèques est venu chez moi pour préparer la cérémonie. Il y avait J., ma sœur et ma meilleure amie S., homosexuelle et pratiquante. L'abbé n'a eu aucun mot de condoléances ni de sympathie pour moi. Il a discuté avec le frère de Sophie et ne m'a pas du tout prêté attention. Il a posé des questions sur son enfance et sa maladie pour préparer l'homélie. Au bout d'un moment, j'ai interrompu leur conversation en lui demandant s'il savait qui j'étais. Il y a eu comme un froid. J'ai dit que j'étais l'épouse de Sophie et que nous nous aimions. Il ne prenait aucune note. Je lui ai demandé s'il avait l'intention de parler de nous. Il m'a répondu : "Non. Je ne pourrai pas parler de votre amour, de votre histoire, ni de vous comme sa compagne, parce que c'est contre la foi chrétienne." Je me suis pris cela en pleine figure trois jours après le décès de mon épouse. J'ai mis un terme à notre entretien avec l'abbé et lui ai demandé de partir.

Regain d'énergie

Le lendemain, j'ai eu le responsable de la pastorale des funérailles au téléphone, le père A. Je lui ai raconté ce qui s'était passé et lui ai demandé si c'était possible de trouver un prêtre plus bienveillant pour la cérémonie. Ça a été le deuxième coup de massue. Il m'a dit que c'était possible de changer de prêtre, mais que de toute façon ce serait pareil, que les proches de Sophie ne pourraient pas parler de moi ni de notre amour dans les textes qu'ils liraient. Il m'a dit encore une fois que c'était contre la foi chrétienne. J'étais sous le choc, j'ai dit au revoir et j'ai raccroché. J'étais six pieds sous terre, on était quatre jours après sa mort.

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Et puis, j'ai eu un regain d'énergie. Je me suis dit qu'avec tous les combats que nous avions menés pour arriver là où on en était, mariées, heureuses de l'être, amoureuses, je ne pouvais pas laisser faire ça. Sophie était homosexuelle et fière de l'être, elle n'aurait pas aimé être bénie de la main d'un prêtre homophobe et réac. Je voulais qu'on respecte qui elle était et notre amour. Par le biais de mon amie S., j'ai contacté David & Jonathan [association qui défend la place des personnes LGBT+ dans les Églises chrétiennes, ndlr] et j'ai parlé avec le père Norbert. Il n'a pas pris ce que j'ai dit pour argent comptant, il a voulu lui-même téléphoner au père A. pour discuter avec lui, de prêtre à prêtre. Il m'a rappelé et m'a dit que tout ce que j'avais dit se confirmait et qu'il était choqué. Le père A. a simplement campé sur ses positions, n'a fait preuve d'aucune humanité ni d'aucune empathie. Le père Norbert a même fait remonter la situation au diocèse.

Pression

Ça m'a rassurée, à un moment j'avais cru que je devenais paranoïaque. Le père Norbert a tenté de trouver une autre solution pour moi. Il en a parlé à un ami à lui, le père L., qui de lui-même a indiqué qu'il était en congé le jour prévu pour la cérémonie et qu'il souhaitait célébrer les obsèques de Sophie. On a trouvé une autre paroisse dans le XXe arrondissement qui n'était pas gérée par la pastorale des funérailles, l'église G. Ils m'ont confirmé leur accord pour la célébration des obsèques. Pour moi, ça a été un soulagement total, je ne passais plus par cette pastorale qui m'avait mis des bâtons dans les roues. J'ai trouvé ça tellement indigne de la religion chrétienne ("Dieu est amour", "Dieu accueille tout le monde", l'amour du prochain...)

J'ai contacté le père L. pour célébrer la cérémonie religieuse, choisir les lectures, lui donner les textes des proches de Sophie qui allaient être lus pour mieux la connaître. Il m'a dit qu'il fallait quand même qu'il me dise quelque chose pour que je sache ce qui s'était passé jusqu'au bout. Le père A., responsable de la pastorale des funérailles, a réussi à trouver l'endroit où nous allions célébrer les obsèques. Il a essayé de mettre la pression au père L. et au curé de l'église G.

Une très belle cérémonie

Là où j'ai été très heureuse et réconfortée, c'est que ni l'un ni l'autre n'a cédé. Ils ont fait preuve d'une humanité on ne peut plus normale, d'intelligence et de bienveillance. Le curé de l'église G. m'a même dit que, si le père L. était empêché de venir, il prendrait sur son jour de congé et viendrait lui-même célébrer les obsèques ; que si ça permettait à tout le monde de grandir en bonne intelligence avec le Seigneur, c'était tant mieux. La cérémonie a eu lieu, une très belle cérémonie.

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Pour moi, tous les gens ne sont pas à mettre dans le même sac. On m’a dit que c’étaient des catholiques réac et que, étant donné que nous étions un couple de femmes, que je n'aurais pas mieux, que je n’aurai pas d’autre réaction de la part de l’Église, et donc qu’il n’était pas nécessaire d’essayer de changer de paroisse. Mais je ne suis pas d'accord avec ça. David & Jonathan, le père Norbert, le curé de l'église G. prouvent qu'il y a des personnes qui sont dans la foi religieuse, qui sont pratiquantes, mais qui font preuve d'humanité, de souplesse et d'ouverture. Tout le monde n'est pas comme cette pastorale. Tous devraient revoir leurs préjugés. Je pense qu'on n'a pas la même définition de l'amour. L'un des prêtres m'a dit : "Dieu est amour, l'amour est universel et il n'y a pas de sexe."

 

Crédit photo : Pierre-Yves Beaudouin / Wikimedia Commons...