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En interdisant les motos à Lagos, le Nigeria pense limiter l’exode rural

Selon un récent rapport de la Banque mondiale, le Nigeria compte 87 millions de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté sur 190 millions d’habitants.

Le Monde avec AFP

Publié le 08 mars 2020 à 17h00, modifié le 10 mars 2020 à 12h22

Temps de Lecture 4 min.

A Lagos, les motos-taxis sont l’un des petits métiers qui permettent aux migrants du nord du Nigeria de survivre et d’envoyer un peu d’argent à leurs familles.

Mustapha Abdullahi avait à peine 12 ans lorsqu’il a quitté le nord du Nigeria « pour trouver de l’argent » dans la grande mégapole et capitale économique du Nigeria, Lagos, à plus de mille kilomètres de chez lui.

Il a aujourd’hui 40 ans, une femme et trois enfants, et jusqu’au début du mois de février, il sillonnait encore les rues de la tentaculaire Lagos avec son okada, un taxi-moto, et envoyait une partie de son maigre salaire à sa famille restée dans le nord. « Mais à cause de l’interdiction de conduire les okada, j’ai dû partir vers Agege », dans la banlieue éloignée de Lagos, regrette-t-il.

Les autorités de l’Etat de Lagos ont récemment interdit du jour au lendemain les centaines de milliers de taxis-motos et de keke, des tricyles à moteur, emplois presque exclusivement occupés par des Haoussa et des Fulani, deux groupes ethniques du nord du pays. La raison officielle invoquée était de « garantir la sécurité des Lagossiens » et le respect du Code de la route.

« Des millions d’enfants qui ne vont pas à l’école »

Mais beaucoup d’hommes politiques locaux ont fait savoir, sur Twitter ou dans les journaux, que cette interdiction permettrait aussi de stopper la migration « massive » de Nigérians du nord vers le sud du pays, plus riche et plus dynamique économiquement.

Selon un récent rapport de la Banque mondiale, sur 190 millions d’habitants, le Nigeria en compte 87 millions vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté, dont l’immense majorité (près de 90 %) vit dans le nord.

« Aucun leader dans le nord du Nigeria ne peut s’estimer heureux. Personne ne peut se réjouir d’avoir 87 % de la pauvreté du pays dans le nord et des millions et des millions d’enfants qui ne vont pas à l’école », a déclaré l’émir de Kano, Muhammad Sanusi II, l’une des plus grandes figures traditionnelles du pays.

La division culturelle et économique entre le nord musulman et le sud chrétien du géant de l’Afrique de l’Ouest est héritée de l’époque coloniale, lorsque la Couronne britannique avait réuni, en 1914, deux territoires radicalement opposés pour constituer le Nigeria.

La principale richesse du pays, le pétrole, se situe au large des côtes, laissant au nord l’élevage, la route commerciale sahélienne et l’industrialisation.

Dans les années 1980, la cité millénaire de Kano était surnommée la « Manchester du Nigeria », avec plus de 500 usines textiles ou d’assemblage de voitures.

Mais aujourd’hui, « le nord est très en dessous dans tous les classements de développement humain par rapport au sud », indique la Banque mondiale. Le secteur industriel s’est totalement effondré à cause du manque d’énergie, laissant des centaines de milliers de personnes sans emploi. Et bien que les dirigeants du pays aient été historiquement plus souvent originaires du nord, cette région a été entraînée dans la spirale du sous-développement par la pression démographique due à la polygamie et à un taux de natalité très élevé, par le manque d’éducation, les effets du changement climatique sur les cultures et par les conflits.

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Le président Muhammadu Buhari, fils de l’Etat nordiste de Katsina, avait promis de mettre fin aux attaques meurtrières de la secte islamiste de Boko Haram. Mais, cinq ans après son arrivée au pouvoir, près de 2 millions de déplacés ne peuvent toujours pas regagner leur foyer et l’insécurité grandissante due aux conflits entre éleveurs et agriculteurs ou l’émergence de bandes armées qui terrorisent les populations a encore provoqué le déplacement de millions d’autres personnes.

Migrations internes

Il n’existe aucune donnée récente sur les migrations internes au Nigeria, mais la Commission nationale de la population (NPC), dans une étude de 2010, indique que 23 % de la population nigériane est « migrante » et que plus de 40 % de la celle de l’Etat de Lagos est originaire d’un autre Etat.

Des tendances sans aucun doute amplifiées par la récession économique de 2016-2017 et le ralentissement économique du Nigeria ces dernières années. « Tous les Etats à grande attractivité migratoire se situent dans la partie sud du pays, à l’exception de Kwara et Kogi, dans le centre-nord », note l’Organisation internationale des migrations (OIM).

« Et 60 % des migrants internes se situent dans les zones urbaines », avec des « conséquences socio-économiques et sur les infrastructures évidentes », selon l’OIM.

La mégapole de Lagos a l’une des pressions démographiques les plus fortes au monde, et bien que les chiffres soient invérifiables, sa population aurait doublé en dix ans, passant de 10 à 20 millions d’habitants, selon World Population Review.

Awwalu Usman, cordonnier de 32 ans, passe la moitié de l’année à Lagos. Il aide aux cultures dans sa ferme à Kano et « part juste après les récoltes ». « On va à Lagos parce qu’il y a beaucoup plus d’opportunités économiques », explique-t-il à l’AFP. Grâce aux chaussures qu’il fabrique et qu’il y vend, il a pu faire construire une maison à sa famille. « Il n’y a pas de travail là-bas. Et ce n’est pas parce qu’il y a une interdiction de conduire les taxis-motos à Lagos que les nordistes vont rentrer chez eux », conclut le cordonnier.

Le Monde avec AFP

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