Le combat de l'homme contre les forces invisibles

Comment affronter l'invisible ? ©Getty - CSA-Images
Comment affronter l'invisible ? ©Getty - CSA-Images
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Un lavage de mains laisse place à un autre lavage de mains, une toux dans le coude à une autre toux, un salut de loin à un autre salut de loin : à l'heure du Coronavirus, on tente de limiter sa propagation par des gestes répétés à l'infini. Mais comment saisir et affronter l'invisible ?

J’ai rencontré un médecin et j’en ai profité pour lui poser plein de questions sur le coronavirus. Une de ses remarques m’a cependant plus frappée qu’une autre : "De toute façon, le Coronavirus circule déjà parmi nous".
En faisant des recherches, j’ai vu que cette information était déjà sortie dans les médias. Mais ce qui m’a surtout frappée, c’est cette idée, ou plutôt cette image, d’une force invisible circulant d’une personne à l’autre, s’installant sur une surface de bureau, sur les poignées de portes, dans l’air. Et je me suis demandé : comment combattre ça ? Comment affronter l’invisible ? 

Le supplice collectif du lavage de mains

En écoutant Edouard Philippe, mais en lisant aussi toutes ces pancartes, ces annonces et articles pour lutter contre la propagation du Covid - mesures que je tente d’appliquer autant que possible - j’ai l’impression de participer à un supplice collectif : accomplir une chose dont la finalité ne sera jamais atteinte. Comme Sisyphe ou les Danaïdes, les tâches s’enchaînent d’une heure à l’autre, elles se suivent et se ressemblent incontestablement, sans produire pour autant un résultat, ou du moins, un résultat visible, palpable, net et définitif. 

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Un lavage de mains laisse place à un autre, une toux dans le coude à une autre toux, un salut de loin à un autre salut de loin. Je ne vais pourtant pas baisser les bras, je vais bien sûr continuer. Mais j’y vois, j’ose le dire, le symbole d’une lutte fondamentale : celle de l’homme contre l’invisible. Comment combattre quelque chose qui nous dépasse, dont les contours sont impalpables ? Comment affronter quelque chose que l’on ne voit pas ? Car, malgré l’avancée de nos connaissances, quelque chose résiste, se propage. Alors comment le saisir ? 

Quand ce médecin m’a parlé de cette circulation du Coronavirus entre nous, j’ai tout de suite pensé à ces publicités qui imaginent les microbes comme de petits bonhommes verts qui disparaissent sous un jet d’eau savonneuse…. Comme si c’était plus facile de se figurer l’ennemi pour le combattre… Ou, tout simplement, comme si c’était plus facile de se figurer l’invisible pour vivre, comme si c’était plus acceptable, plus rassurant. 

Qu’est-ce qu’on nous cache ? 

J’ai aussi tout de suite pensé à ce film mythique des années 1990 : Ghost. Dans ce film, le héros, Sam Wheat meurt dès les premières minutes mais son fantôme continue à être parmi les vivants. Il ne veut pas les hanter, il veut seulement continuer sa vie, aux côtés de sa femme. Il est devenu une puissance invisible. On peut voir ce film comme la mise en question de ce qui se passe après la mort. Mais il en soulève en fait une autre aussi, vraiment passionnante : la question de l’invisible. De quoi est-il fait ? Est-il fait d’hommes invisibles, de puissances insoupçonnées ?

Là est le paradoxe : certaines choses nous restent inaccessibles, on ne peut pas les voir telles quelles à l’œil nu, quoiqu’on fasse. Et pourtant, elles sont là, elles nous touchent. Cela va du virus microscopique aux concepts immatériels, de l’air du temps, insaisissable, à l’être des choses. C’est d’ailleurs une question à la mode : qu’est-ce qu’on nous cache ? Pourquoi on nous le cache et comment le découvrir ? Les complotistes ne font rien d’autre en essayant de trouver une cause première, volontairement dissimulée, qui agirait sur nous. 

Plus généralement, c’est l’enjeu de la science qui veut découvrir les principes des lois qui régissent notre monde naturel. C’est aussi, bien sûr, le but de la métaphysique qui entreprend d’atteindre l’essence des choses. C’est étonnant : mais chacun voit l’invisible… à sa manière en tout cas, et chacun veut trouver un moyen de le percer à jour… Mais pourquoi donc vouloir le voir ? 

Se faire une idée 

Pourquoi une telle fascination pour cet invisible qui nous dépasse ? Les raisons ne manquent pas : se rassurer, comprendre, connaître, maîtriser. Ce sont des raisons psychologiques et épistémologiques. J’y vois aussi une autre raison, celle de se figurer quelque chose qui nous échappe, pas forcément pour la maîtriser, la contenir, ou la comprendre, l’expliquer. Mais tout simplement pour en avoir une idée.
C’est une question qui me revient souvent : à quoi ressemble cet air que je respire, comment décrire ce qui file entre mes doigts, ce qui n’a pas d’image ? Et j’en fais l’expérience chaque jour : tenter de me figurer cet invisible qui est là sans être là. 

Sons diffusés :

  • Discours d’Edouard Philippe le 27/02/2018
  • Extrait du film Ghost de Jerry Zucker (1990)
  • Chanson de Genesis, Invisible touch

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