Menaces de mort, agressions, diffamation : plaintes en rafale avant les municipales en Seine-Saint-Denis

Les candidats en conviennent : la campagne de 2020 a été dure dans la plupart des 40 villes de Seine-Saint-Denis. Une tournure délétère qui inquiète et décourage aussi certains de poursuivre.

 Bobigny, vendredi 24 janvier. La permanence de la liste Poing Commun de Fouad Ben Ahmed, candidat aux municipales, a été incendiée cette nuit.
Bobigny, vendredi 24 janvier. La permanence de la liste Poing Commun de Fouad Ben Ahmed, candidat aux municipales, a été incendiée cette nuit. DR

    Pneus crevés, diffamation, agressions, incendie, menaces de mort, graffitis raciste ou antisémite, affiches officielles arrachées, irruption de gros bras dans une réunion publique, refus de prêt de salle… Les motifs de dépôt de plainte ne manquent pas en Seine-Saint-Denis, où la campagne municipale a pris un tour délétère.

    Combien de fois a été saisie la justice ces dernières semaines ? « Impossible » de répondre à la question et de livrer une idée de grandeur pour le parquet de Bobigny, « tant les infractions, les plaignants et les mis en cause sont divers ».

    «Très sensible »

    « Ce sont des plaintes que nous considérons comme très sensibles, confirme un policier. Quand l'affaire le nécessite, on fait des recherches ADN, on exploite les vidéos et on ne laisse rien au hasard. » Exemple avec l'incendie, dans la nuit du 23 au 24 janvier, de la permanence du candidat (PS) Fouad Ben Ahmed, à Bobigny. Son équipe de campagne avait retrouvé sur place du liquide inflammable et découvert un volet à l'arrière du local fracturé.

    « Vu la gravité de l'acte, on a déposé plainte, souligne Fouad Ben Ahmed. Pour les autres faits que nous avons subis, nous avons réalisé cinq à six signalements en préfecture et au commissariat. Nous ne voulions ni d'une campagne victimaire, ni d'une surenchère. Et de toute façon, saisir le tribunal pour des faits qui seront jugés des mois et des mois plus tard n'aurait plus d'intérêt. Entre-temps, le mal aura été fait. »

    Une dizaine de procédures à Bobigny

    « Dans certaines communes, les tensions nous occupent bien », admet un autre policier. À titre d'exemple, une dizaine de plaintes ont été déposées à Bobigny. Jeudi soir, Habib Babindamana, tête de liste centriste dans la ville préfecture n'avait quant à lui pas encore décidé de saisir la justice, après avoir été victime ce mercredi matin du graffiti raciste « Pas de singe à la mairie » griffonné sur une affiche officielle.

    C'est également un tract à caractère raciste qui a poussé Azzedine Taïbi, maire sortant (PCF) de Stains, à ne pas en rester là. « Ce sont des attaques personnelles, déplore-t-il. On a affaire à des bandes de voyous. »

    «Certains ont fait entrer les cailleras dans les campagnes»

    « Le climat des municipales n'est pas sain, regrette Habib Babindamana. Certains candidats ont fait entrer les cailleras dans la campagne. Mais les règles de la rue ne sont pas les mêmes qu'en politique. »

    Un sentiment partagé par l'entourage de la maire sortante (PS) de Bondy, Sylvine Thomassin qui s'apprête à déposer une quatrième plainte en l'espace de quelques semaines. « Il y a toujours eu des affrontements mais jamais aussi violents », souligne-t-on dans son équipe, en citant le cas de trois gros bras venus interrompre une réunion publique et traiter la maire « d'assassin ».

    Et même des vigiles pour protéger un meeting !

    A Bondy toujours, la liste emmenée par Stephen Hervé (LR) a même recruté douze vigiles de sécurité pour protéger son meeting du 3 mars, auquel ont participé plusieurs parlementaires du 93 dont le sénateur (LR) Philippe Dallier et le député (UDI), Jean-Christophe Lagarde. « On redoutait des intrusions », explique Sonia Alout Bakhti (UDI), numéro 2 de la liste de Stephen Hervé. Elle-même a été victime de menaces de mort par SMS et a aussi déposé plainte contre X.

    «J'en peux plus»

    « Cette forme locale de faire la politique est inquiétante », jugent plusieurs candidats qui pointent aussi le rôle amplificateur des réseaux sociaux. « Les coups bas découragent en particulier les femmes de se lancer », constate Habib Babindamana.

    « Il ne faut pas que les procédures judiciaires prennent le dessus sur le contenu », souligne un coordinateur de campagne, qui ne cache pas sa lassitude. « J'en peux plus, avoue-t-il. On n'est plus du tout sur le fond mais sur du transactionnel, avec des gens qui demandent : qu'est-ce que vous me donnerez si je vote pour vous ? » Lui-même a d'ailleurs reçu des menaces.

    La diffamation, tout un art politique

    Les cas de diffamation et d'injure « simple », c'est-à-dire sans circonstance aggravante de racisme ou d'homophobie, ne font pas l'objet de poursuite par le parquet. C'est aux victimes de faire une citation directe. Et là encore, elles sont nombreuses à y avoir recours.

    Brigitte Marsigny, la maire sortante (LR) de Noisy-le Grand qui est candidate à sa succession l'a fait. « Je ne peux pas laisser bafouer mon honneur. Pour moi, une campagne doit être loyale », répète Brigitte Marsigny, sur un ton solennel. Elle a d'ailleurs choisi la 17e chambre de Paris, spécialisée dans le droit de la presse, pour sa requête.