Rencontre avec Philippe Blanchard, archéologue en charge des recherches pour l’Institut national des recherches archéologiques préventives.

La Croix : Comment avez-vous découvert ce cimetière ?

Philippe Blanchard : Nous avons eu un premier contact avec le site en 1997. Avec mon équipe, nous avons découvert dix sépultures d’enfants. Et chez les juifs, les enfants sont séparés des adultes dans les cimetières. Mais il n’y avait aucune inscription hébraïque donc aucune de preuve tangible d’être face à un cimetière juif. Malheureusement, nous n’avons pu intervenir que sur un petit bout de terrain. Le reste était réservé à la construction d’un bâtiment. Tout a donc été détruit à coups de pelleteuse. J’ai découvert qu’il y avait une autre petite parcelle à côté, sur le terrain d’un particulier, je l’ai donc contacté. Depuis 2018, nous travaillons sur cette parcelle où nous avons découvert 46 tombes.

Pourquoi affirmez-vous que ce cimetière est juif ?

P.B : Les corps exhumés sont ceux de jeunes adolescents et d’adultes qui vivaient entre le XIIe et XIVe siècles. Nous n’avons toujours pas trouvé de caractère hébraïque mais découvert plusieurs indices, plusieurs spécificités de la religion juive. Tout d’abord, les os exhumés sont en parfait état et c’est un précepte important chez les juifs : on ne touche pas au squelette du défunt. Tous les cadavres ont été retrouvés dans la même position, avec les bras le long du corps, là aussi un élément très représentatif de la religion juive.

Découverte d’un cimetière juif médiéval du XII<sup>e</sup> siècle à Châteauroux

Ensuite, la structure du cimetière est très caractéristique, les tombes ne se croisent pas. Elles sont alignées les unes à côté des autres. C’est une pratique que toutes les religions perpétuent aujourd’hui mais à cette époque, notamment chez les chrétiens, les tombes étaient souvent « entrecroisées », par manque de place. Nous avons aussi trouvé un puits, près de la supposée entrée du cimetière. Dans tous les cimetières juifs, on retrouve un bassin dans les cours d’accueil pour se laver les mains puisque les cadavres sont considérés comme impurs. Nous étudions aussi actuellement une stèle sur laquelle nous espérons trouver des écritures hébraïques avec, peut-être, un nom et une date.

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Qu’est-ce que représente cette découverte d’un point de vue historique ?

P.B : C’est une découverte exceptionnelle. C’est la première fois que l’on trouve un si grand cimetière juif médiéval. Et historiquement c’est très important. On a très peu d’information sur l’histoire de la communauté juive en France. J’espère qu’avec cette découverte nous allons en savoir plus, notamment sur les pratiques funéraires. Ensuite il faudra les comparer avec l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni pour étudier les liens, les similitudes, les différences dans les communautés juives.

Quelle était la place de la communauté juive à Châteauroux au Moyen Âge ?

P.B : Nous avons étudié de nombreux textes des XIIIe et XIVe siècles qui mentionnent des transactions entre chrétiens et juifs dans la ville. Une rue y était également nommée « rue des juifs », indiquant qu’il y avait une importante communauté à Châteauroux. En revanche, nous ne savons toujours pas où se situait la synagogue, mais elle devait être loin de cet endroit. Le cimetière est situé aujourd’hui en plein cœur de la ville. Mais ce n’était pas le cas au XIIe siècle. La loi juive de l’époque voulait que les cimetières soient éloignés des fidèles pour éviter qu’ils soient souillés par les défunts. Il ne fallait aucun contact entre les vivants et les morts.

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Que prévoyez-vous de faire des corps exhumés ?

P.B : Toutes les tombes accessibles sur le site ont été fouillées. Nous devons maintenant les étudier. Ensuite nous souhaitons respecter les rituels religieux juifs. Les corps seront donc disposés dans un caveau, en accord avec la communauté juive de la région.