Le coronavirus a enclenché l'effondrement des dettes mondiales. Etes-vous prêt ?

Le coronavirus a enclenché l'effondrement des dettes mondiales. Etes-vous prêt ? La chute des cours boursiers n'est pas terminée car c'est un autre virus qui menace : le deleveraging de l'ensemble de la dette mondiale. Il n'est plus l'heure d'organiser le télétravail mais de se redéployer sur un modèle économique post-dette.

Après avoir chanté "même pas peur" dans des "apéros de résistance collective", l'Europe se réveille ce matin sous le choc du coronavirus, seule et enfermée chez elle. Mais ce n'est pas ce virus qui est le plus dangereux pour les entreprises. Un autre virus, tapi dans l'ombre, s'est reproduit dans notre système économique depuis quelques années. Et a attendu son heure, que quelque chose déclenche la première étincelle. Ce virus s'appelle la dette. Et il va détruire l'économie bien plus que le coronavirus, qui n'aura été que le déclencheur de ce qui se prépare.

L'emprunt est devenu le principal mode de développement des entreprises, de l'immobilier aux usines pétro-chimiques

Depuis 2008 et la folle politique de taux bas enclenchée par les banques centrales, il n'avait jamais été aussi facile d'emprunter quasiment gratuitement. C'était même devenu le principal mode de développement des entreprises, de l'immobilier aux usines pétro-chimiques. J'emprunte à 1%, j'achète un truc qui présente un rendement de 4% et je fais mes 3% au passage. Bien entendu, ce nouvel eldorado était réservé aux très riches (qui pouvaient emprunter jusqu'à plus soif) ou aux très endettés (à qui la banque préférait continuer à prêter plutôt que de tout perdre). Les très riches devenaient donc encore plus riches et les très endettés encore plus endettés. Et ainsi se construisirent des empires (LVMH dans un cas, Altice dans l'autre) depuis plus de 10 ans.

C'est aussi ainsi que la plupart des Etats étaient gérés, avec une dette qui explosait mais des taux d'intérêt de plus en plus faibles – voire négatifs. Et donc des échéances de remboursement qui baissaient. Entre 2009 et 2019, le montant des prêts privés "non performing" (comprendre en défaut partiel) en Chine a été multiplié par 4, de 500 milliards de yuans à 2 000 milliards. Aux Etats-Unis des "special vehicles" étaient cotés en bourse dans le seul but de faire des acquisitions, elles n'étaient rien, n'avaient rien, ne gagnaient rien mais levaient des milliards. Ces coquilles vides levaient de la dette sur les marchés et faisaient leur shopping. On pourrait multiplier les exemples mais ce n'est pas le lieu, gardons en tête que les arbres montaient au ciel depuis 10 ans.

Evidemment les "experts", dont la seule compétence consiste à prolonger une courbe, nous promettaient pour 2020 des taux "toujours bas" et "pendant très longtemps". Mais les premiers soubresauts sont apparus dès le dernier trimestre 2019 et faisaient craindre le pire. Des problèmes de liquidité sur le marché inter-bancaire ont commencé à survenir, suivis de chutes brutales de certaines classes d'actifs. Quant à la Chine, avant même de connaître le coronavirus, elle devait faire face à des défaillances en série d'entreprises sous perfusion de la dette. En Europe même, des sociétés surendettées (Thomas Cook par exemple) disparaissaient en quelques jours. Mais comme sur le Titanic, l'orchestre continuait à jouer. Et la dette de monter. Tous les clignotants étaient au rouge avant même l'apparition du mot "coronavirus".

Des pertes de revenus que la plupart des acteurs en première ligne ne peuvent absorber car ils sont déjà surendettés

Le coronavirus est venu déclencher une trainée de poudre qui s'appelle "deleveraging". Ou pour le dire en français, le démontage complet mais rapide de l'ensemble de la dette en excès accumulée depuis 2008. Un château de cartes s'écroule et il est trop tard pour l'en empêcher car la première carte tout en bas a déjà été retirée. Le blocage et le confinement entraînés par le coronavirus sont cette première carte. Ils génèrent des pertes de revenus que la plupart des acteurs en première ligne ne peuvent absorber car ils sont déjà surendettés. Une compagnie aérienne qui n'a plus de passagers et qui n'a presque pas fait de bénéfices depuis 15 ans ne pourra pas payer l'entreprise qui lui loue les avions qui, à son tour ne pourra payer le constructeur d'avions qui ne pourra pas payer sa banque. Et ainsi de suite. De nombreux secteurs sont déjà affectés. Le tourisme est en embolie pulmonaire et ne pourra pas être réanimé car ses acteurs étaient pour la plupart très fragiles. Mais d'autres secteurs suivront. L'automobile, l'immobilier, l'industrie. Il suffit d'aller voir les plus fortes baisses du CAC 40 et de les rapprocher de la capacité de désendettement de chaque entreprise pour voir la corrélation.

On pourrait penser que les Etats ou les banques centrales vont venir à la rescousse. Mais comment ? Les Etats sont surendettés eux-mêmes. Les taux des obligations d'Etat ont déjà commencé à remonter. Et le mouvement haussier ne sera pas lent car historiquement, il ne l'a jamais été. Et les banques centrales, quels que soient leurs plans de relance et d'injection de liquidités, ne peuvent plus rien faire, ayant déjà poussé les leviers des taux d'intérêt au plus bas. Même en prêtant à -5% elles ne trouveront plus personne qui voudra s'endetter tant, après l'amour irraisonné de la dette, c'est l'aversion à la dette qui va se développer. Qui voudra emprunter pour acquérir des actifs qui baisseront encore de 15% quelques mois après, poussés à la baisse par un mouvement de deleveraging fort et continu ? Cette lame de fond, irréversible ne cessera que lorsque toute la dette aura été apurée.

Le choix des branches mortes à couper ne devra pas se faire sur la rentabilité d'une activité à un instant T mais sur sa capacité à se développer sur un modèle de croissance rentable

La dette va disparaître par remboursement (un peu) ou par défaut (beaucoup). Et ceux qui ne pourront pas rembourser seront liquidés. Bien sûr, la bourse va remonter parfois à l'occasion de telle ou telle bonne nouvelle. Elle rechutera jusqu'à ce que la dette soit liquidée. Déjà, en 2007, le JDN mettait en garde ses lecteurs contre la titrisation excessive quelques mois avant le déclenchement de la crise des subprimes. Nous vous mettons aujourd'hui en garde contre le deleveraging. Tout ce qui est endetté est brûlant. Il faut s'en éloigner très rapidement. Au sein des entreprises, la question n'est pas de savoir comment passer les trois mois qui viennent en espérant que, ensuite, tout redeviendra comme avant. Ce monde est derrière nous. Pour toujours. La question est comment mettre sur pieds un nouveau modèle économique post-dette. Cela veut dire, entre autres, isoler très rapidement dans des structures de défaisance ses activités endettées afin de ne conserver dans la structure mère que les activités non endettées. Le choix des branches mortes à couper ne devra pas se faire sur la rentabilité d'une activité à un instant T (car toutes perdront de l'argent au lendemain du deleveraging), mais sur sa capacité à se développer sur un modèle de croissance rentable. Toutes les activités nouvelles lancées sans modèle de rentabilité devront être réévaluées rapidement. Les crédits consentis à taux variables devront être passés en taux fixe au plus vite. Le développement par acquisition supporté par la dette devra être oublié au profit d'une croissance organique et durable. L'effet de levier ne sera plus un critère de performance mais un critère de risque.

Alors que nous entrons à peine dans le monde du coronavirus, il faut commencer à imaginer le monde post-coronavirus et post-dette. Les semaines qui viennent verront l'histoire s'accélérer et quand, en 2022 sans doute, les bourses mondiales atteindront leurs plus bas, les nouveaux gagnants seront déjà là, discrets et prêts à engranger les bénéfices du nouveau monde qui s'ouvrira.