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Municipales et coronavirus : les modalités (très) compliquées d'un éventuel report du deuxième tour
Emmanuel Macron et Edouard Philippe peuvent-ils annuler le premier tour des municipales ?

Municipales et coronavirus : les modalités (très) compliquées d'un éventuel report du deuxième tour

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Dès la publications des premières estimations du premier tour des municipales connus, ce dimanche 15 mars, plusieurs responsables politiques ont demandé le report du second tour, en raison du coronavirus. Une option... très compliquée à mettre en œuvre pour le gouvernement. Décryptage.

Il y a des élections en France et pourtant l'essentiel est ailleurs. Ce dimanche 15 mars, les têtes n'étaient pas vraiment à la politique. L'abstention au premier tour des élections municipales, ce jour, a atteint un niveau record. Dans les bureaux de vote déjà, les conversations n'ont guère porté sur les mérites respectifs des candidats. Le coronavirus hantait les esprits. La situation évolue tellement rapidement que le gouvernement n'exclut plus d'avoir à reporter le second tour des élections, prévu ce dimanche 22 mars. "S'il y a détérioration de la situation sanitaire, ça doit l'emporter sur toutes les autres considérations", a indiqué Bruno Le Maire, interrogé sur le sujet sur France 2. Des personnalités comme Yannick Jadot ou Marine Le Pen plaident ouvertement pour un report du second tour. Soit, mais concrètement comment s'y prend-on ? Les résultats du premier tour peuvent-ils être invalidés ? Le point sur une situation... très compliquée.

Le code de la santé publique prévoit, qu'"en cas de risque d'épidémie", le ministre de la Santé peut prendre "toute mesure proportionnée aux risques courus". Suffisant pour servir de base à un report du deuxième tour des élections ? Non, car une loi plus précise, l'article L227 du code électoral, prévoit que le second tour des municipales a forcément lieu le dimanche suivant le premier tour, en mars. Pour décaler sa date, il faudrait en théorie qu'une nouvelle loi soit votée. Quasiment impossible en moins de sept jours, ne serait-ce que parce que si la réforme est contestée devant le Conseil constitutionnel, celui-ci a... huit jours pour se prononcer.

"Circonstances exceptionnelles"

Le gouvernement pourrait aussi décider de modifier le décret de convocation des électeurs. Ce texte serait contraire à la loi, ce qui entraîne habituellement une annulation. "Mais il y a la théorie des circonstances exceptionnelles", remarque pourtant Jean-Philippe Derosier, professeur en droit public. Ce principe de droit français, reconnu par le Conseil d'Etat en 1918, en période de guerre, veut que le contrôle du juge soit plus souple en cas de circonstances rendant impossibles l'application stricte de la loi. Plusieurs constitutionnalistes estiment que la situation sanitaire pourrait justifier un tel écart avec la loi. La pertinence de ce report serait de toute façon contrôlée par le Conseil d'Etat, juge de la légalité des décrets, sans doute en urgence avant le dimanche 22 mars.

Une autre option pour le président de la République serait d'activer l'article 16 de la Constitution qui lui donne des pouvoirs quasi-illimités pour une période de trente jours renouvelables. Ce recours à l'article 16 a ceci de confortable pour l'exécutif qu'il se fait... sur la seule décision du chef de l'Etat, sans aucun contreseing. De la possibilité juridique au choix politique, il y a toutefois un gouffre. Une telle décision, si symbolique, susciterait à l’évidence un tollé.

Darmanin restera-t-il élu ?

L’autre point épineux est le statut du premier tour, en cas de report du second. Doit-on tout recommencer depuis le début ? Les candidats élus, comme le ministre Gérald Darmanin, le resteront-ils ? La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, s’est prononcée ouvertement pour cette solution, ce dimanche.

Première précision d’importance, le taux de participation n’a aucun impact sur la validité des résultats du premier tour (hormis dans les communes de moins de 1.000 habitants). Aucune chance de voir des élections annulées sur ce seul fondement. Par défaut, les résultats de ce dimanche restent donc acquis.

Un report du second tour sans modifier les résultats du premier tour est-il possible ? Il y a un précédent, en 1973. Cette année-là, le deuxième tour d’une élection législative à la Réunion avait été repoussé en raison du passage d’un cyclone sur l’Ile. Prévu le 11 mars, le suffrage avait été reporté au 18 mars, une semaine plus tard. Le Conseil constitutionnel avait validé cette décision du préfet.

Sauf que cette fois, le report se ferait sans doute à une date indéterminée. Ce qui fragilise les résultats du premier tour, selon Jean-Philippe Derosier : "A mon sens, le report du second tour à une date après le mois de mars impliquerait annulation du premier tour." Le juriste estime en effet qu’une telle décision, qui aurait pour incidence d’ouvrir une campagne de second tour de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, porterait atteinte à "la sincérité du scrutin". En même temps, une telle table rase n’aurait-elle pas pour conséquence de nier le choix des électeurs ? Dans l'histoire de la République, il n'y a pas de précédent d'une élection nationale entièrement annulée par une simple décision du gouvernement.

Et les sénatoriales ?

Quelle que soit la formule retenue, s’il décide le report du second tour des municipales, le gouvernement devra prendre de nombreuses mesures annexes. Le mandat des conseillers municipaux actuels, censé s’arrêter fin mars, devra être prolongé. Le cas des sénatoriales de septembre 2020 s’annonce, lui, particulièrement épineux. Le Conseil constitutionnel a interdit que plus de deux élections sénatoriales se tiennent avec le même collège de représentants municipaux. Or, si les élections municipales étaient repoussées à une date après le mois de septembre, ce serait le troisième scrutin avec les mêmes élus…

Autant de difficultés qui pourraient rendre nécessaire le vote rapide d’une nouvelle loi d'exception… et donc la réunion, dans un lieu confiné, de plus de 500 parlementaires. Le coronavirus n’a pas fini de compliquer la vie publique.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne