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Comment la Chine a laissé échapper le coronavirus

Si l’on savait déjà que les autorités chinoises avaient censuré les médecins lanceurs d’alerte de Wuhan en décembre, de nouvelles révélations prouvent que le premier cas de Covid-19 remonte à novembre déjà. Récit de ces premiers jours, lorsque tout a basculé

Une équipe médicale à Wuhan le 3 mars. — © AFP
Une équipe médicale à Wuhan le 3 mars. — © AFP

L’homme, un commerçant de 65 ans travaillant dans le marché couvert de Huanan, est arrivé à l’hôpital central de Wuhan le 16 décembre. Ses deux poumons étaient infectés et il avait de la fièvre, mais les antibiotiques qu’on lui avait donnés ne produisaient pas d’effet, raconte Ai Fen, la directrice du département des urgences dans une interview parue la semaine dernière en chinois et depuis censurée.

Onze jours plus tard, elle a vu arriver un autre patient présentant des symptômes similaires, puis cinq autres le lendemain. Ces mystérieuses pneumonies avaient toutes un lien avec le marché de Huanan, situé à moins de deux kilomètres de l’hôpital. Au même moment, les autres centres médicaux de Wuhan subissaient un assaut similaire.

Le patient zéro

Mais le tout premier cas, celui d’un résident du Hubei âgé de 55 ans, est apparu le 17 novembre, soit un mois plus tôt que ce qui avait jusqu’ici été annoncé. De nouvelles données compilées dans un rapport interne du gouvernement chinois, publiées vendredi dernier par le quotidien hongkongais South China Morning Post, le prouvent.

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Le 20 décembre, il y avait 60 cas. Durant les deux dernières semaines de l’année, leur nombre s’est mis à grimper de façon exponentielle, pour atteindre 266 cas au 31 décembre 2019. Perplexe, Ai Fen a envoyé un échantillon pris sur un patient à un laboratoire à Pékin. Elle a reçu les résultats le 30 décembre: ils indiquaient une infection avec un coronavirus affilié au SARS. Désormais alarmée, elle a posté une photo du rapport médical dans un groupe privé sur le réseau social WeChat, qui a été partagée par plusieurs de ses collègues, dont l’ophtalmologue Li Wenliang, par la suite décédé de la maladie.

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Elle a également dit aux membres de son département de revêtir des masques et alerté ses supérieurs, qui l’ont convoquée trois jours plus tard afin de la réprimander pour avoir «fait circuler des rumeurs». A Wuhan, d’autres médecins commençaient à sonner l’alarme. Mais rien n’y a fait. La province s’apprêtait à tenir sa séance parlementaire annuelle et à fêter le Nouvel An chinois: nul incident ne devait perturber ces événements.

Diagnostics modifiés

Le 3 janvier, la commission de la santé de Wuhan a publié une directive interdisant au personnel médical de diffuser des informations sur le nouveau virus pour éviter de provoquer une panique. Certains hôpitaux ont aussi discrètement modifié le diagnostic des premiers patients, le faisant passer d’une pneumonie virale à une simple «infection».

La réunion du congrès provincial s’est tenue comme prévu du 6 au 17 janvier et, le 18 janvier, un banquet géant du Nouvel An chinois a réuni des dizaines de milliers de familles à Wuhan.

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En coulisses, la riposte s’organisait pourtant. Le marché de Huanan a été fermé le 1er janvier, le génome du nouveau virus a été décodé le lendemain, le Centre chinois pour le contrôle des maladies a activé son plan d’urgence le 6 janvier et le président Xi Jinping a personnellement pris la tête de la riposte le 7 janvier. Mais rien de tout cela n’a été annoncé publiquement.

Officiellement, la Chine affirmait toujours mi-janvier n’avoir qu’une soixantaine de cas. Elle a attendu jusqu’au 9 janvier pour annoncer l’émergence d’un nouveau coronavirus et jusqu’au 12 janvier pour partager son génome avec le reste du monde.

«Réponses préparées à l’avance»

Yuen Kwok-yung, un virologue hongkongais, s’est rendu à Wuhan le 17 janvier pour enquêter sur le virus. «Tous les endroits que nous visitions semblaient être en représentation, a-t-il récemment raconté au journal Caixin. A chaque fois que nous posions une question, les réponses paraissaient récitées et préparées à l’avance.» Les officiels locaux répétaient en boucle qu’ils n’avaient reçu des kits de test que la veille et ne pouvaient donc pas se prononcer sur le nombre réel de cas, relate-t-il.

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Durant cette phase critique pour contenir le virus, les autorités chinoises ont également continué à nier l’existence d’une propagation entre humains. Les indices avaient pourtant commencé à s’accumuler. Le 8 décembre, un homme affecté par la nouvelle pneumonie a affirmé qu’il ne s’était jamais rendu au marché de Huanan. Début janvier, un patient a infecté 14 membres du personnel soignant lors d’une opération du cerveau à Wuhan. Et le 12 janvier, Yuen Kwok-yung a découvert une famille de six à l’hôpital de Shenzhen qui avaient tous contracté le Covid-19, alors que seul l’un d’eux s’était rendu à Wuhan.

Ce n’est que le 20 janvier que la Chine a finalement reconnu l’existence d’une transmission entre humains. La veille, le bilan était subitement monté à 136 cas. Le 23 janvier, la ville de Wuhan et une bonne partie de la province du Hubei étaient placées en quarantaine. Si les autorités avaient agi plus vite, «le nombre de malades aurait pu être massivement réduit», a récemment estimé le chef de la task force chinoise contre le coronavirus, Zhong Nanshan.