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«Pour la première fois de l’Histoire, l’humanité a un ennemi commun»

Désinfection du métro de Bucarest le 17 mars 2020 (Roumanie). DANIEL MIHAILESCU/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Benjamin Sire, membre du Printemps Républicain, estime que l’originalité de cette crise sanitaire réside dans sa dimension mondiale. Selon lui, cette pandémie, et les grandes menaces transnationales à venir, ne pourront être surmontées sans unité et fraternité.

Benjamin Sire est compositeur. Il est membre du Conseil d’Administration du Printemps Républicain.


L’actuelle épidémie de Covid-19 est loin d’être la première à frapper sans considération de frontières et de continents. Comme elle, le VIH se dispense de passeport et continue de tuer partout. Il en fut de même du SRAS en 2009, comme de la terrible grippe de Hong Kong de 1968-1970, et bien entendu, de la fameuse grippe espagnole de 1918. La liste n’est pas exhaustive et il n’est pas nécessaire de la dresser avec exactitude. La seule certitude que nous pouvons avoir tient dans l’aspect totalement inédit de la situation que nous vivons, davantage pour des questions géopolitiques que sanitaires. Nous sommes face à la première épidémie mondialisée à l’heure de la globalisation, même si la grippe de Hong Kong fut considérée comme une sorte de précurseur en la matière, du fait de son apparition concomitante au développement du transport aérien transfrontalier. La propagation supersonique du coronavirus à l’échelle planétaire est à la fois le fruit de l’extension du principe de libre circulation des biens et des personnes, mais aussi d’un tourisme de masse incontinent. Elle est une sorte d’avatar involontaire du libéralisme et de l’ouverture sans limite de frontières qui, paradoxalement, se ferment aujourd’hui.

Nous sommes peut-être confrontés pour la première fois de l’Histoire à un phénomène pouvant être considéré comme l’ennemi commun de l’humanité.

La pandémie n’est pas seulement commentée et surveillée nationalement, mais bénéficie d’une couverture médiatique et en réseaux mondiale en temps réel, en plus qu’elle génère des échanges aussi intenses qu’incertains entre les différents gouvernements et la communauté scientifique internationale. En à peine quelques semaines, et à l’exception du conflit syrien dont le déroulement à également de très graves conséquences sanitaires, le Covid-19 a fait passer l’intégralité des faits d’actualité et de politiques internationaux au second plan, faisant taire les polémiques qui, il y a encore quelques jours, enflammaient la toile, sans manquer d’en créer d’autres qui lui sont propres. Nous sommes peut-être confrontés pour la première fois de l’Histoire à un phénomène pouvant être considéré comme l’ennemi commun de l’humanité. Un ennemi parfaitement identifié, tangible, aussi effrayant que relativement imprévisible. Nous nous retrouvons pris malgré nous au cœur d’un scénario de Roland Emmerich, le grand spécialiste des films apocalyptiques, qui interrogent autant notre propension à l’autodestruction, que la solidarité internationale et la rapide capacité d’adaptation du genre humain.

Car, par-delà la question sanitaire et scientifique, tels sont bien les enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Le monde, devenu plus multipolaire que jamais après la chute du mur de Berlin, se retrouve désormais involontairement réuni autour d’une seule et même cause, le Covid-19, comparable à une attaque extraterrestre ignorante des conflits territoriaux et des spécificités locales. Le virus, ressemblant à celui que Steven Soderbergh décrivait dans son film Contagion, en 2011, va réellement nous montrer qui nous sommes et si nous avons l’étoffe pour l’affronter main dans la main, également en prévision des immenses défis environnementaux et climatiques qui nous attendent dans les prochaines années et pourraient lui succéder.

Les premiers enseignements politiques et humains qui peuvent être tirés au stade actuel de la contagion n’invitent pas à un optimisme démesuré.

Pour le dire franchement pourtant, les premiers enseignements politiques et humains qui peuvent être tirés au stade actuel de la contagion n’invitent pas à un optimisme démesuré. En dépit de la volonté affichée du G7 de coordonner la gestion des frontières, la solidarité internationale peine très nettement à s’envisager et la tentation du repli est le fait majeur des dernières semaines. L’adoption de stratégies sanitaires spécifiques à chaque pays donne une impression de cacophonie et, sur notre continent, enterre l’idée de la chimère européenne. Il est d’ailleurs frappant, alors que les gouvernants prétendent (et c’est sans doute le cas) prendre leurs décisions sur la base des recommandations scientifiques, de constater que lesdites recommandations génèrent des politiques aussi opposées, selon que l’on soit en Angleterre, en France, en Corée du sud ou ailleurs. Comme si les présupposés culturels locaux s’imposaient finalement aux doctrines médicales. C’est sans doute l’une des leçons que l’on peut tirer de la dernière allocution télévisée d’Emmanuel Macron. Ses références martiales et ses louables réprimandes à l’égard des plus inciviques de nos citoyens n’ont pas masqué une certaine hésitation à ordonner des mesures aussi drastiques que celles prises par nos voisins espagnols et italiens, dans la considération de l’atavique indiscipline de notre peuple et de sa rapide propension à la contestation. Point d’usage du mot «confinement» dans son propos, refus de l’instauration d’un couvre-feu, nombreuses dérogations de sorties accordées, y compris pour l’impérieux motif d’aller faire son jogging matinal... Tout cela laisse planer un parfum d’extrême prudence, tentant d’accorder les mesures prises avec l’esprit gaulois et un contexte grandement troublé par les inlassables manifestations des Gilets jaunes et la grève contre la réforme des retraites.

En creux, l’ironie n’est d’ailleurs pas absente dans les leçons tirées par un Chef de l’État jugé libéral par nombre de citoyens. Ses deux derniers discours, à rebours de ses précédentes célébrations de la start-up nation, n’ont pas manqué de faire l’apologie du keynésianisme et de l’État-providence, alors même que les 30 dernières années en ont fait le procès incontinent. Mais tout cela fait encore fi du contexte international propre à toute pandémie. Ainsi, l’anaphore en mode «nous sommes en guerre» d’Emmanuel Macron se réfère à un conflit sur notre sol et non, comme c’est pourtant le cas, à une crise mondiale dont la solution devrait aussi l’être, tant en termes scientifiques que politiques.

Les scènes observées ces derniers jours, sont tout autant marquées du sceau de cet individualisme qui est le délétère symbole de l’époque, que de l’irresponsabilité d’un grand nombre de citoyens.

Mais derrière la question de la gestion institutionnelle de la crise, c’est finalement principalement celle des comportements humains qui doit se poser. Si l’on peut espérer voir la pandémie jugulée dans les prochaines semaines, elle laissera sans doute un parfum amer de ce point de vue. Les scènes observées ces derniers jours, sont tout autant marquées du sceau de cet individualisme qui est le délétère symbole de l’époque, que de l’irresponsabilité d’un grand nombre de citoyens. Les ruées irrationnelles sur les stocks de produits de première nécessité, les attitudes irresponsables figurant le mépris des recommandations de distanciation sociales, comme les encombrements aux portes de Paris, en mode exode, juste avant l’intervention du Chef de l’État, témoignent de l’impréparation de nos esprits à changer de paradigme. Le peuple est en balade, indifférent à ceux qui, personnels soignants, hauts fonctionnaires, premières lignes de la République, prennent la mesure du drame, le devoir chevillé au corps. Mais tout cela est finalement logique. La vitesse à laquelle l’épidémie s’est propagée nous a propulsés sur une terra incognita, en plus de souligner l’absence de scénario prévisionnel à l’échelle internationale. Cela nous ramène surtout à l’absence de conflits planétaires et de circonstances véritablement difficiles sur notre continent depuis la seconde guerre mondiale, ayant fait de l’homme occidental et moderne un parangon d’arrogance ignorante, sûr de sa position autant qu’inconscient de sa faiblesse. Au surplus, le propre de la situation que nous vivons, comme l’a souligné Gilles Clavreul, Délégué général du Think Tank L’aurore, est de «contrarier radicalement tout ce dont la modernité nous fait injonction: l’ouverture, le contact, la mobilité, l’échange, mais aussi l’exercice physique. C’est ce qui rend sans doute si difficile l’aspect psychologique de la gestion de crise», comme l’appréhension par chacun des meilleurs comportements à tenir et de sa capacité d’adaptation aux circonstances.

De ce dernier point de vue, il est néanmoins décevant de constater l’absence relative d’évolution de l’homme face aux conflits. Sans forcément convoquer la noire période de l’occupation sur notre territoire, certains faits comme l’exode des villes vers les campagnes, la tentation du marché noir organisant la pénurie et les comportements inciviques, laissent penser que l’être humain peine à apprendre de l’Histoire, comme à penser internationalement le combat contre un ennemi qui nous est pourtant commun à tous. Or, au regard des enjeux qui nous attendent: épidémiologiques (risquant de s’aggraver avec la fonte du permafrost), climatiques, environnementaux et économiques, l’absence de rapide adaptation comportementale et de fraternité transnationale risque de nous être très préjudiciable. En quelques mots, notre pire ennemi n’est pas forcément tant un virus que nous-mêmes.

Notre pire ennemi n’est pas forcément tant un virus que nous-mêmes.

Il reste maintenant à espérer que le durcissement des conditions de vie fasse, à l’image de l’épidémie, aussi passer nos esprits et notre responsabilité au stade 3. C’est à ce prix que nous vaincrons le Covid-19, ce cher ennemi commun, ainsi que nous affronterons les autres défis collectifs auxquels nous serons bientôt confrontés. C’est à ce prix que nous pourrons enfin nous gratifier d’appartenir à un genre humain dont la principale spécificité ne sera plus d’être la plus destructrice des espèces, mais l’une de celles qui savent inlassablement s’adapter face à l’adversité. Il sera alors temps de dire, comme Romain Gary dans la citation qu’il prêtait à l’écrivain fictif Sacha Tsipotchkine en exergue de son livre Les oiseaux vont mourir au Pérou: «L’homme! Mais bien sûr, mais comment donc, nous sommes parfaitement d’accord: un jour il se fera! [...] Il faut savoir attendre, mes bons amis, et surtout voir grand, apprendre à compter en âges géologiques, avoir de l’imagination: alors là, ça devient tout à fait possible, probable même [...] Pour l’instant, il n’y a que des traces, des pressentiments,... Pour l’instant, l’homme n’est qu’un pionnier de lui-même. Gloire à nos illustres pionniers!»

«Pour la première fois de l’Histoire, l’humanité a un ennemi commun»

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2 commentaires
  • Cyranno

    le

    "Gouverner, c'est prevoir". On gouverne manifestement, mais on a oublie de prevoir...

  • Emmanuel bcvert

    le

    Non c’est totalement faux.

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