Roberto Medina Quinoñez, son fils, 21 ans, vendait des accessoires de voiture. "Il ne fumait pas, ne se droguait pas", assure-t-elle. Jusqu'au jour où un concurrent a ouvert en face. "Les policiers sont venus le voir et lui ont demandé de leur dire quand le concurrent faisait des ventes. Ils voulaient prendre leur part, d'ailleurs ils faisaient la même chose à Roberto."
Mais les concurrents ont fini par apprendre que Roberto parlait à la police. Contraint ou pas, ce n'était pas leur problème. Et cela ne leur a pas plu, forcément. Le 14 juillet 2014, Roberto a été enlevé, jeté dans un pick-up noir. "J'ai passé six mois sur le canapé à espérer qu'il revienne." Six mois à attendre.
"J'ai signalé sa disparition à la police, ils m'ont dit : 'On vous appelle quand on a du nouveau.'" Elle attend encore. "C'est comme ça que j'ai décidé de chercher moi-même." Elle a arpenté les rues, posé des questions. "Petit à petit, je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule à attendre que la police me rappelle. Très vite, j'ai trouvé trente familles comme la mienne."
Petit à petit, je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule à attendre que la police me rappelle.
Mirna ne s'est plus jamais allongée sur son canapé à attendre, les Rastreadoras étaient nées. Mais comment trouver des corps quand on n'a jamais fait ça ? "J'ai compris qu'on ne faisait pas ce qu'il fallait." Alors Mirna se renseigne, se documente auprès des ONG, assiste à des ateliers, engloutit la littérature scientifique, observe ce qui a été fait en Colombie, au Guatemala, au Panama.
Elle apprend à traiter les corps avec dignité, à faire la différence entre le squelette d'un humain et celui d'un animal. "On a commencé à parler de tout ça au Mexique au moment des enlèvements d'Iguala, en 2014, quand 43 étudiants qui manifestaient contre des pratiques du gouvernement ont disparu, souligne Sabrina Menelotte, docteure en anthropologie sociale et ethnologie. La société mexicaine a été contrainte de se substituer au travail de l'État."
Contrainte d'apprendre également à trouver les bonnes informations. C'est ainsi qu'un jour, à force de poser des questions, Mirna reçoit un coup de fil, un informateur qui lui dit où se trouve le corps de son fils. "Sur place, un autre homme m'a dit : 'Vous cherchez un corps ? Celui qui était là il y a deux ans avec un T-shirt bleu ?'" C'était bien lui, mais le corps n'était plus là.
L'homme raconte alors à Mirna qu'il a été emmené depuis par des policiers. "Mais j'ai retourné la terre, et j'ai trouvé des restes." Trois cervicales, un os de pied, un bout de crâne. Rien de plus. "Les tueurs, les policiers, peu importe qui ils sont, n'ont aucune estime pour les morts, ils les ramassent à la va-vite, sans vérifier ce qu'ils laissent derrière eux."
Elle a organisé un enterrement, un vrai. Ce droit-là, on ne pouvait lui retirer. D'autres n'ont même pas retrouvé un bout d'os. Entourée de ses quinze chiens, Juana Escalante, 49 ans, ne comprend toujours pas ce qui a pu se passer. Le 28 août 2018, son fils Adrian, 28 ans, se trouvait en face de chez elle, il s'est éloigné pour donner un paquet de cigarettes à un ami, une camionnette a débarqué, il a été enlevé au bout de la rue. Il n'est jamais revenu.
"Il a disparu en huit minutes", pleure-t-elle. Maria Cleo Fas Lugo, 74 ans, elle, porte un médaillon autour du cou. C'est une photo de son fils, Juan Francisco, qui a disparu le 19 mai 2015. Ce jour-là, il était parti travailler. Il changeait les lumières de la ville. "Des types l'attendaient au pied d'un lampadaire, ils l'ont jeté dans une camionnette rouge, c'est la seule chose que je sais."
Il a disparu en huit minutes.
Plus jamais de nouvelles. Sonia Ivone Chanez, 47 ans, vit en bordure d'une zone industrielle entourée de ses chihuahuas. Sur son bras, des lettres tatouées, Cebollita, "mon petit oignon", le surnom qu'elle donnait à son fils. Pablo, 26 ans, a disparu le 10 mai 2018 alors qu'il accompagnait un ami dealer dans un supermarché du quartier. Elle n'a toujours pas retrouvé son corps.
"J'espère tellement qu'il est vivant, peut-être qu'il a été kidnappé." Soledad, elle, s'arrête de sourire quand elle commence à raconter. Comme toutes les autres, elle crache son récit comme une urgence. Elle saisit l'occasion, redonne vie à cet enfant qu'elle cherche partout. Migel Angel Perez, 35 ans, a disparu en mai 2018. Il s'apprêtait à s'asseoir dans sa voiture jaune lorsqu'un homme et une femme sont arrivés à sa hauteur et l'ont lui aussi jeté dans une camionnette.