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Pollutions

La pollution nous rend plus vulnérables au coronavirus

Pollution de l’air, expositions aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens sont responsables d’une augmentation des maladies chroniques et des cancers. Autant d’affections qui rendent notre système immunitaire moins performant face au Covid-19.

Y aurait-il moins de malades du coronavirus en état grave dans les hôpitaux si nous vivions dans un monde moins pollué ? Le raisonnement est simple : la pollution provoque des maladies, qui affaiblissent notre système immunitaire, et augmentent la probabilité de développer une forme grave du Covid-19.

« Les 85 % de personnes malades du Covid-19 qui ne développent pas de forme grave ont un système immunitaire qui les amène à réagir de façon efficace et à guérir, explique Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm (Institut national de la santé et la recherche médicale). Mais quand vous avez une membrane respiratoire déjà en mauvais état et un système immunitaire déprimé, vous n’avez pas les mêmes capacités de défense. »

« J’ai été indignée que dans les personnes à risque, on ne parle que des anciens, poursuit-elle. L’exposition à la pollution joue également. En Italie du Nord, la pollution industrielle est beaucoup plus forte et peut augmenter la morbidité et la gravité du Covid-19. »

« Une corrélation entre pollution de l’air et coronavirus »

La pollution de l’air, d’abord, est donc fortement incriminée. « Le coronavirus est une plus grande menace dans les villes polluées », explique l’Alliance européenne pour la santé publique (European Public Health Alliance, EPHA) dans un communiqué paru lundi 16 mars. « La pollution de l’air cause de l’hypertension, des diabètes, des maladies respiratoires. Autant d’affections que les médecins commencent à associer à des taux de mortalité plus élevés pour le Covid-19 », précise le document de l’organisation internationale.

« Il n’y a pas encore d’études liant spécifiquement le Covid-19 et la pollution de l’air », nous précise Zoltan Massay-Kosubek, responsable des questions de pollution de l’air à l’EPHA. « En revanche une étude menée en Chine en 2003 sur le SRAS, une autre maladie due à un coronavirus, a montré que là où la pollution de l’air était plus élevée, la mortalité était aussi plus importante. Ils ont trouvé une corrélation entre pollution de l’air et coronavirus. »

Or, l’une des zones les plus touchées en Europe aujourd’hui par le Covid-19 est, justement, « une des régions les plus polluées d’Europe », souligne M. Massay-Kosubek : le nord industriel de l’Italie. « Les gens souffrent deux fois : d’abord de la pollution de l’air, et ensuite de leur vulnérabilité au coronavirus », déplore-t-il.

Les émissions de particules fines PM10 en Lombardie le 17 février et le 26 février (après dix jours de mesures de confinement).

La forte baisse de la pollution de l’air, due à la mise en place des mesures de confinement, n’améliore que peu les choses car beaucoup de personnes souffrent déjà des maladies que la pollution déclenche. « C’est tout de même un peu mieux car les polluants disparaissant, vous respirez mieux et vous avez plus de chances de guérir, rassure tout de même M. Massay-Kosubek. Mais ce n’est pas une façon de réduire la pollution de l’air de façon durable ! La pollution de l’air est tout de même le plus gros risque environnemental en Europe. » [1].

Le lien entre maladies chroniques et sensibilité au coronavirus est de plus en plus fait

Mais d’autres pollutions sont susceptibles de nous rendre plus vulnérables. « Le système immunitaire est une des cibles des polluants, avertit par exemple Annie Thébaud-Mony. Dans l’expertise collective de l’Inserm sur les pesticides, il y a tout un chapitre sur les atteintes du système immunitaire par les pesticides. »

André Cicolella, chimiste, toxicologue, et président du réseau Environnement Santé, accuse, lui, les « perturbateurs endocriniens, dont l’action pendant la grossesse induit des maladies chroniques à l’âge adulte, et qui pour certains d’entre eux (perfluorés, bisphénols, phtalates…) induisent une baisse des défenses immunitaires, ce qui favorise les maladies infectieuses. »

Le lien entre maladies chroniques et sensibilité au coronavirus est d’ailleurs de plus en plus fait. « Une étude chinoise parue dans The Lancet il y a quelques jours montre que, dans une cohorte de malades du Covid-19, le pourcentage de malades chroniques était de 67 % (36 personnes sur 54) dans le groupe des décédés et 40 % ( 55 personnes sur 137) dans le groupe des survivants », cite André Cicollella.

Or, la pollution (pesticides et perturbateurs endocriniens notamment) démultiplie les cas de maladies chroniques, estime-t-il. « En France, j’ai calculé qu’entre 2003 et 2017, l’augmentation des affections de longue durée — essentiellement des maladies chroniques — était dix fois plus rapide que celle de la population. Cette progression ne peut pas s’expliquer uniquement par le vieillissement. La cause, ce sont les maladies environnementales. Donc, nous avons une population plus fragile face au virus, raisonne le toxicologue. Si nous avions moins de maladies chroniques, nous aurions moins de malades du coronavirus qui finiraient à l’hôpital. »

Plus spécifiquement, Annie Thébaud-Mony s’inquiète pour les malades ou ex-malades du cancer, une population à risque. « On en est probablement à plusieurs millions de malades atteints de cancers, ou de personnes ayant eu un cancer, et dont le système immunitaire a été fragilisé par la maladie et les traitements, qui sont loin d’être anodins », estime-t-elle.

« Il y a une inégalité sociale abyssale face au cancer »

La chercheuse signale d’ailleurs que ces malades du cancer ou de maladies chroniques peuvent subir une double peine : à la fois la maladie et son traitement diminuent leur résistance. « Par exemple, tous les remèdes à base de cortisone fragilisent le système immunitaire. Or, c’est le traitement utilisé pour les asthmatiques. Outre les malades du cancer, les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires, de diabète, de la maladie de Parkinson ont aussi bien souvent des traitements qui jouent sur le système immunitaire. Il faut que ces personnes soient averties, protégées », insiste-t-elle.

Enfin, un autre facteur de risque trop peu souligné est tout simplement la classe sociale. « Il y a une inégalité abyssale face au cancer. Un ouvrier a entre quatre et dix fois plus de risque de mourir du cancer qu’un cadre supérieur », souligne Annie Thébaud-Mony. « Ce sont sur les lieux de travail qu’ont lieu les expositions fortes et cumulées à la pollution. Les ouvriers garagistes, les peintres en bâtiment, les agents de nettoyage, les égoutiers sont exposés huit heures par jour pendant trente ans. Or, cette inégalité, on la retrouve dans la vulnérabilité face au virus. J’aimerais donc qu’il y ait un travail plus approfondi sur qui sont les personnes qui développent des formes graves du Covid-19. »

Il y aura aussi des leçons à tirer, une fois la crise passée, de cette pandémie. « Il faudrait que l’Union européenne pose des limites aussi strictes que celles recommandées par l’OMS à la pollution de l’air, cela pourra éviter des morts », estime Zoltan Massay-Kosubek. « On est face à une épidémie mondiale de maladies chroniques, c’est l’ONU qui le dit et pour l’instant on ne fait rien. Il faut inclure cette donnée dans les stratégies de santé publique », propose de son côté André Cicolella.

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