Le député LREM Michel Lauzzana

Le député LREM du Lot-et-Garonne, Michel Lauzzana.

@lauzzanamichel / Twitter

La blouse et le stéthoscope sont sortis du placard où ils dormaient depuis trois ans. Lundi 23 mars, Thomas Mesnier sera de retour au service des urgences de l'hôpital d'Angoulême. "Il n'y a même pas à réfléchir. Il faut y aller, dit le député LREM. J'ai voulu être médecin dès l'âge de 6 ans. Je n'ai pas choisi la médecine d'urgence par hasard." Le voilà volontaire pour aider ses anciens collègues à affronter l'épidémie du coronavirus. Il a simplement demandé à ne pas être mis en salle de déchocage pendant ses premiers jours, là où sont dirigés les malades les plus graves. "Il faut le temps de me remettre dans le rythme."

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"Je suis plus utile comme médecin"

Députés ou docteurs ? Face à "la plus grave crise sanitaire qu'ait connue la France depuis un siècle" selon Emmanuel Macron, cette double casquette taraude les 27 médecins élus en 2017. Pour certains, le choix est clair. "Je suis plus utile comme médecin que comme député pour l'instant", assure au téléphone Delphine Bagarry depuis son département des Alpes-de-Haute-Provence. Elle aussi est urgentiste.

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"J'ai tout de suite prévenu à l'Assemblée que ma priorité serait la médecine et mes patients", renchérit Julien Borowczyk, élu LREM de la Loire. Eloigné de Paris par les vacances parlementaires à partir du 6 mars, puis par le fonctionnement en petit comité du Palais-Bourbon, ce généraliste veut lui aussi en découdre avec le coronavirus. "Je m'en serais voulu de ne pas le faire, avoue-t-il. S'il y a une épidémie à ma porte, ça me rendrait malade de ne pas pouvoir donner un coup de stéthoscope ou faire une ordonnance." Le choix est d'autant plus aisé que Julien Borowczyk n'a pas coupé avec sa vie d'avant. Depuis 2017, il consulte encore le lundi matin et le vendredi après-midi, tout en conservant des gardes téléphoniques au 15.

Dans le Lot-et-Garonne, Michel Lauzzana soulage ses confrères en multipliant les consultations. A l'hôpital d'Orléans, Stéphanie Rist assurait toujours une consultation hebdomadaire en rhumatologie à côté de son mandat de députée. Depuis le début de la crise du coronavirus, elle fournit en plus des gardes de régulation par téléphone, trois ou quatre fois par semaine. "Je fais aussi les week-ends. J'y vais quand ça les arrange", détaille-t-elle, avant d'ajouter dans une formule qui réjouirait un psychanalyste : "Heureusement qu'ils m'ont donné la possibilité de les aider."

"On ronge son frein"

Comment rester "seulement" député dans ces circonstances ? "On ronge son frein. Pour un professionnel de santé, c'est très dur", confie Marie Tamarelle-Verhaeghe, spécialiste de santé publique. Elle s'est inscrite à la réserve sanitaire mais, pour l'heure, seuls les profils d'urgentistes et réanimateurs sont recherchés. Dans l'Hérault, Jean-François Eliaou vit plutôt bien son double profil. "Député, je suis plutôt dans la coopération avec les autorités de santé. Mais s'il y a une catastrophe sanitaire, je serai appelé en tant que médecin hospitalier", résume-t-il. En attendant d'être convoqué - il est mobilisable jour et nuit - le professeur d'immunologie s'emploie à faire de la pédagogie autour du coronavirus. Il est même passé sur le plateau de Cyril Hanouna pour évangéliser le jeune public sur les bons gestes.

Les parlementaires médecins ont un motif de satisfaction. Tous constatent que leur parole est davantage écoutée par les Français en période d'épidémie. Cela les change de la défiance qui frappe d'habitude les macronistes. Plusieurs élus locaux se sont tournés vers Marie Tamarelle-Verhaeghe pour lui demander s'ils pouvaient participer sans crainte à la première réunion de leur conseil municipal ce week-end. Elle les a rassurés, à condition que toutes les règles de précaution soient respectées. Dans son département, Delphine Bagarry constatait des gâchis de masques de protection dans certaines collectivités, elle a réexpliqué les modes de contamination et fait changer les comportements. En Moselle, une vidéo pédagogique de Brahim Hammouche sur la propagation du coronavirus et ses dangers a été vue par plusieurs milliers de personnes.

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Il leur arrive de bondir en regardant la télévision. L'un de ces députés médecins ne supporte plus les interventions contradictoires du désormais fameux conseil scientifique, entre le docteur Raoult qui fait la promotion de ses essais de traitement contre le coronavirus, et ses collègues qui jugent son échantillon de patients insuffisant pour tirer des conclusions. "Un conseil scientifique doit débattre en interne et donner un seul avis à l'extérieur", sermonne-t-il.

Ils partagent la colère des soignants

Il faut aussi gérer une double appartenance, entre le "nous" des professionnels de santé et le "eux" des responsables politiques. "J'ai beau être un député de la majorité, je suis en guerre comme tous les soignants. Et on imagine mal des soignants sans armes. Le manque de masques les inquiète, les déçoit et les interroge", témoigne Julien Borowczyk. Il s'est fait l'écho de la pénurie auprès du ministère et de son agence régionale de santé. Le député s'est franchement agacé quand il a reçu sa dernière livraison. A peine 18 masques pour tenir une semaine. "C'est dérisoire ! On ne peut même pas en donner à des patients fragiles ou à risque de contamination", s'agace-t-il, pas loin d'opiner du chef quand ses amis soignants lui disent : "On se fout de notre gueule !"

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Thomas Mesnier s'est senti compris quand Emmanuel Macron a parlé de "guerre" contre le coronavirus. "Certains disent que des soignants vont tomber en combattant la maladie. Quid de la reconnaissance de l'Etat pour leurs enfants ?, demande-t-il. C'est une question qu'il faudra suivre ensuite." L'issue de la crise leur semble encore bien loin, mais tous ont noté que le chef de l'Etat avait promis de tirer "toutes les conséquences" de l'épidémie. "Cette crise montre à quel point il est important de faire confiance aux professionnels de santé", veut croire le généraliste Marc Delatte. Pour ces parlementaires médecins, hors de question de mégoter sur les moyens alloués à la santé dans le prochain budget.

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