Le blob : 4 super-pouvoirs à connaître

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Le blob : 4 super-pouvoirs à connaître

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Une blob dans une boîte de Petri
Une blob dans une boîte de Petri
- © F-G Grandin MNHN

Il n'est ni un animal, ni un végétal, ni un champignon, ni un lichen, mais simplement une énorme cellule. Il est cependant capable de se déplacer, d'apprendre, de transmettre. Comment ? Le blob ébranle toutes nos classifications et nous oblige à nous décentrer.

Il peut être violet, rose, vert, bleu… mais celui qui vient de prendre ses quartiers au Parc Zoologique de Paris est jaune ! Les visiteurs pourront le voir à partir de samedi 19 octobre dans son terrarium personnel, un petit réservoir grand comme un aquarium, où il s'épanouit en réseaux gluants sur des bûches et des branches, parmi de la mousse, des fougères et des champignons. 

Une seule cellule, immortelle

"Blob", kesako ? Découverte en 1970, cette créature est âgée d'au moins 500 millions d'années. Ni  animale, ni végétale, elle continue de désarçonner les naturalistes, qui ne savent toujours pas où situer ce myxomycète (le nom savant de ces cellules uniques à plusieurs noyaux) sur l'arbre du vivant. Malgré son apparence, ce n'est pas non plus un champignon, pas plus qu'un lichen. Il s'agit en fait d'une seule cellule géante (contre 300 000 milliards chez l'humain !), dotée de plusieurs noyaux, qui se multiplient jusqu'à perte de vue. En laboratoire, le blob peut atteindre 10 mètres carrés d'envergure, et il existe des spécimens trois fois plus grands dans la nature !

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Enfin, le blob est quasiment immortel : il peut entrer en dormance en se desséchant, et "ressusciter" à des heures plus propices. 

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720 types sexuels !

Pour compliquer encore la donne, précisons qu'il existe chez le blob 720 types sexuels. Alors que le système de la détermination sexuelle repose sur les chromosomes X et Y chez les humains, le génome des blobs possèdent trois sites impliqués dans cette détermination : "Dans un site il y a quinze possibilités d’allèles, dans un autre 16 et dans un autre 3. Si on fait toutes les combinaisons potentielles de ça, on arrive à avoir cette extraordinaire variété de types sexuels ; même s'ils ne sont pas tous compatibles" détaille Luca Morino, le curateur du blob au parc zoologique de Paris.

D'ailleurs, comment le blob entre-t-il en reproduction ? Dans une conférence donnée à la Cité des sciences et de l'industrie et rediffusée par franceculture.fr, Audrey Dussutour éthologiste au CNRS et chercheuse de référence sur le blob, répondait à cette question : 

Quand la nourriture vient à manquer, que les conditions ne sont pas top, cette cellule géante va former des spores. C'est pour ça que les gens l'ont longtemps confondue avec un champignon. Chaque noyau du blob devient une spore. Ces spores vont être disséminées par le vent et les animaux. Quand elles se retrouvent sur le sol, si elles sont en milieu humide, elles vont germiner. On va avoir une petite cellule avec deux flagelles, qui va partir à la recherche d'une cellule du sexe opposé. Si elle la trouve, il va y avoir une fusion des deux cellules, engendrant la formation d'un œuf. Jusque là, c'est comme nous, sauf cet œuf avec un seul noyau ne se divisera pas en deux cellules. Au lieu de cela, c'est le noyau qui va se diviser, tandis que l’œuf va rester intact.

Amateur d'obscurité et d'humidité, adepte des températures moyennes, le blob est discret, même s'il est possible d'en trouver dans les sous-bois français. "Il y a plusieurs espèces de blob et autres myxomycètes. On peut le trouver mais ce n’est pas évident, il faut savoir comment et où le chercher", explique Luca Morino. Curateur des primates du parc zoologique, il a notamment choisi de s'occuper également du blob, qui le fascine par son inexplicable intelligence : “Je m’intéresse aux capacités cognitives du blob, qui sont comparables à celles des primates, ou aux nôtres.

Le blob exposé dans son terrarium, au Parc Zoologique de Paris
Le blob exposé dans son terrarium, au Parc Zoologique de Paris
- Hélène Combis

Champion du monde du labyrinthe

Malgré son absence de cerveau, le blob a en effet des capacités d'apprentissage époustouflantes. Même Dédale n'aurait pas eu raison de ce monstre inoffensif : si on le place dans un labyrinthe au bout duquel on a placé de la nourriture (bactéries, champignons, ou avoine et jaune d’œuf pour les blobs de laboratoire), même s'il existe 20 000 potentiels chemins pour en sortir, soyez assuré que le myxomycète trouvera et exploitera le plus court. Le mucus déposé sur son passage lui sert de mémoire spatiale :

C’est une chose qu’un humain aurait du mal à faire sans ordinateur. Le blob acquiert toutes les informations en explorant la totalité du labyrinthe pour en avoir une vision globale. Ensuite, il optimise sur la base de cette information ; le mécanisme est plutôt simple : l’information qu’il y a de la nourriture à l’autre bout passe plus rapidement par le chemin le plus proche, donc ce sera le chemin privilégié.

Et alors que la vitesse de croisière du blob est de 1 cm/ heure, il pourra aisément atteindre les 4 cm/ heure s'il est affamé. Mais comment se déplace cette masse spongieuse ? Il dispose de récepteurs qui réagissent à la lumière ou à la présence de nourriture : "Les informations captées par ces récepteurs engendrent un mouvement de la membrane cellulaire dans cette direction plutôt que dans d’autres directions. Ce mouvement change la structure de tout le réseau du blob", explique encore le curateur.

Dans cette même conférence donnée à la Cité des sciences et de l'industrie, Audrey Dussutour détaillait davantage la manière dont le blob se déplaçait grâce à son réseau veineux :

C'est une cellule géante donc elle n'a pas de membres locomoteurs. Elle utilise ses veines pour avancer. Si on les regarde au microscope, elles ne sont pas statiques, elles se contractent avec des fibres d'actine et de myosine. (...) En se contractant, elles poussent le liquide qui coule à l'intérieur : ce liquide c'est le cytoplasme, le liquide intra-cellulaire - le sang du blob, en quelque sorte. (...) Toutes les minutes trente, le sens de circulation s'inverse. C'est comme ça qu'il avance. Il contracte ses veines, pousse le liquide, et ensuite il contracte pour récupérer ce liquide, et ainsi il pousse contre le bord de sa membrane. Il avance de deux pas, et il recule d'un pas.

Sécable, fusionnable, le blob transmet ses informations à ses congénères

Par nature, un blob n'est pas très friand de sel. Mais si d'aventure on place une barrière saline entre lui et sa nourriture, il sera obligé de s'y confronter : "Il va se bloquer le premier jour. Ensuite, s’il voit qu’il n’y a pas d’autres options, il s’habitue au sel au fur et à mesure et arrive à dépasser cet obstacle, explique Luca Morino, Si ensuite on prend un blob naïf qui fusionne brièvement avec ce blob expérimenté, il arrive tout de suite à franchir la barrière de sel. "

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Le blob expérimenté parvient donc à transmettre l’information au blob naïf. Si les mécanismes de cette transmission sont difficiles à cerner, des chercheurs du CNRS ont démontré en 2016 que le support de la mémoire du blob, était en fait la substance aversive elle-même (le sel) conservée deux jours durant dans l'organisme du blob :

[L'équipe scientifique] a évalué la concentration en sel au sein de ces blobs : ceux-ci en contenaient dix fois plus que les blobs « naïfs ». Les chercheurs les ont alors placés dans un environnement neutre et ont observé qu’ils excrétaient le sel qu’ils contenaient au bout de deux jours, perdant de fait « la mémoire ».

Quelles sont les pressions sélectives, adaptatives, qui expliquent qu'un blob soit aujourd'hui capable de réaliser ces exploits auxquels un lichen ne parviendra jamais ? Et comment un organisme dénué de cerveau peut-il posséder une telle mémoire, une telle capacité d'adaptation ? Pour l'heure, les scientifiques sèchent, avoue Luca Morino :

On n’en sait pas plus. C’est fascinant : on pense toujours qu’on a évolué, avec notre gros cerveau, pour résoudre des problèmes, et là on a la démonstration qu’on peut utiliser des mécanismes beaucoup plus simples pour avoir des résultats extraordinaires. Ça permet de se remettre en question, ça fait du bien. Il faut revoir toute la terminologie : "cognition", "cerveau", "intelligence", "apprentissage"… il faut revoir toutes ces définitions. Celle d’"individu" aussi, parce que si on coupe un blob en deux, on a deux blobs. Si on fusionne deux blob, on a un blob qui a la connaissance des deux…  

Ces talents mystérieux, et notamment la capacité du blob à prendre des décisions en créant des réseaux, intéressent en tout cas au plus haut point le monde de la bio-informatique, de la robotique, de la médecine... : "Il y a des robots qui ont un cerveau-blob et bougent selon les besoins du blob ; si on projette de la lumière d'un côté, le robot va bouger de l’autre côté. Il y a aussi des puces d'ordinateur hybride intégrant les processus de prise de décision du blob, qui ont des fonctionnalités qu’une puce normale n’a pas..."-