Confinement : petit manuel de survie avec Cyprien Verseux, le scientifique de l'extrême

Propos recueillis par Matthieu DELACHARLERY
Publié le 22 mars 2020 à 8h34, mis à jour le 23 mars 2020 à 17h47
Confinement : petit manuel de survie avec Cyprien Verseux, le scientifique de l'extrême
Source : ESA / PNRA / IPEV

CORONAVIRUS - Pour beaucoup de Français, la période de confinement est loin d'être un lune de miel. Cloîtré entre quatre murs, bon nombre d'entre eux finissent par tourner en rond, au risque de déprimer. Pour vous aider à vivre au mieux cette interlude, LCI a contacté Cyprien Verseux, scientifique de l'extrême et expert de la vie en confinement.

Il n'est pas psychologue, mais plutôt ce qu'on pourrait plutôt appeler un expert de la vie en isolement. Cyprien Verseux est biologiste dans le domaine spatial. Pendant deux ans, il a vécu de manière confinée dans le cadre de deux missions scientifiques. Ce que vivent actuellement des millions de Français, ce trentenaire l'a déjà vécu et dans des conditions bien plus extrêmes. La première fois, c'était en 2015 pour une mission d'un an financée par la Nasa, au cours de laquelle six personnes ont vécu en isolement dans un dôme de 11 mètre de diamètre sur un volcan de Hawaï.

Rebelote en 2018, Cyprien Verseux passe alors un an en Antarctique dans la base franco-italienne Concordia, en tant que glaciologue et chef de base, avec treize autres scientifiques. Une expérience hors-norme qu'il a raconté dans un livre, Un hiver en Antarctique (éditions Broché, 2019). Dans le cadre de ces missions, Cyprien Verseux a eu l'occasion d'échanger avec des psychologues spécialistes des milieux extrêmes, des astronautes ou encore des chercheurs qui ont travaillé sur l'adaptation en milieux hostiles. Fort de ces expériences, ce docteur ès confinologie vous livre ses conseils pour vivre au mieux cette période de confinement.

Cyprien Verseux, un an sur une planète à moins 80 degrés en AntarctiqueSource : Sept à huit
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LCI : Dans le cadre de ces deux missions, vous avez reçu une formation spécifique, aussi bien sur le plan technique que psychologique. Surtout, vous l'avez expérimenté dans des conditions extrêmes. 

Cyprien Verseux : J'ai eu l'occasion d'échanger avec des psychologues spécialistes des milieux extrêmes, des astronautes, des scientifiques qui ont mené des recherches dans les pôles. J'ai puisé dans les travaux de chercheurs qui ont travaillé sur l'adaptation de l'humain en milieux hostiles, comme les sous-mariniers ou dans les camps militaires éloignés. Voyant que beaucoup de gens autour de moi se sentaient mal depuis la mise en place du confinement, j'ai donc mis en ligne un article sur mon blog pour partager avec eux mon expérience et leur apporter des conseils pour vivre au mieux la période de confinement. 

Vous avez reçu de nombreux messages de personnes vous demandant des conseils pour vivre au mieux cette période de confinement. Que vous racontent-ils de leur quotidien ?

Cyprien Verseux : Beaucoup se sentent désœuvrés, ils ne savent pas trop comment faire pour reprendre le dessus. En temps normal, ce sont des gens qui sont très actifs. Ils ont l'impression que leur cerveau tourne au ralenti. Ils se retrouvent dans une situation à laquelle rien ne les a préparée. Certains ne se lavent plus ou presque, restent en pyjama toute la journée et ne mangent plus à heures fixes. Ils regardent des séries sur Netflix et passent leur temps à se goinfrer, pour compenser. Or,  dans cet état, le cerveau fonctionne beaucoup moins bien. Nous avons encore moins d'énergie et donc moins de volonté.

En fait, c'est un cercle vicieux. Comme nous n'avons plus de stimulus, le fait d'aller au travail ou de participer à des activités qui rythment habituellement notre quotidien, nous devons en permanence prendre des décisions. Cela requiert de la volonté, et ça nous épuise. On procrastine, puis on finit par culpabiliser. Face à cette situation, il faut justement apprendre à désactiver le pilotage automatique pour ne plus avoir à dépendre de notre volonté. Mais cela demande un peu d'organisation. 

Le simple fait de savoir ce qu'on doit faire et à quel moment dans la journée permet de faire baisser sa charge mentale.
Cyprien Verseux.

Que peut-on faire pour briser cette spirale infernale dans laquelle se trouvent plongés de nombreux Français  en ce moment ?

Cyprien Verseux : Pour commencer, il est très important de décider la veille de ce qu'on va faire le lendemain. Et donc d'établir un planning. Il ne s'agit pas de faire une "to do list", mais de planifier des activités afin de structurer la journée. Cela permet de ne pas avoir à prendre les décisions au fur et à mesure le jour suivant. Sur l'article que j'ai mis en ligne ("Un guide de la quarantaine : leçons de deux années d’isolement"), les gens peuvent télécharger un classeur Excel. La journée y est découpée en demi-heures, il n'y a plus qu'à remplir les cases. 

Le simple fait de savoir ce qu'on doit faire et à quel moment dans la journée permet de faire baisser sa charge mentale. Il faut y inclure, évidemment, des moments de détente. Par exemple, de telle heure à telle heure, je vais lire. Puis, de telle heure à telle heure, je vais appeler un ami. Mais il est essentiel d'y consacrer une activité, quel quel soit. Le lendemain, en fonction des imprévus, tout ce qui est dans le planning ne sera peut-être pas respecté. Peu importe, il suffira de le mettre à jour. Le but, c'est de ne pas avoir à se demander ce qu'on va faire ensuite, tout au long de la journée. 

Cela peut aussi être une opportunité pour enfin réaliser quelque chose qui vous tient vraiment à cœur.
Cyprien Verseux.

La période de confinement donne du temps libre à beaucoup de Français. Cependant, beaucoup ont du mal à le mettre à profit pour s'évader.

Cyprien Verseux : Apprendre ou créer, idéalement les deux, aide énormément à surmonter l'angoisse du confinement. A Hawaï, j'ai commencé à apprendre le ukulélé, une petite guitare hawaïenne. Dès que j'avais un coup de déprime ou que je devenais un peu nerveux, je jouais un peu de musique et cela m'aidait énormément. Pour un autre coéquipier, c'était apprendre une langue. Pour une autre, c'était de tricoter. En temps normal, beaucoup d'entre nous passent leur temps à courir à droite à gauche. Or, cette période est justement propice pour créer ou apprendre de nouvelles choses. 

D'une part, ce sera un soutien psychologique. Et d'autre part, c'est aussi l'occasion de réaliser un rêve. Le livre que vous avez toujours souhaité d'écrire, le fait d'apprendre une nouvelle langue en vue d'un prochain voyage ou bien encore de mettre au point une stratégie pour une start-up que vous avez envie de lancer., par exemple. Cette période de quarantaine, nous la subissons, car nous ne l'avons pas choisie. Mais cela peut aussi être une opportunité pour enfin réaliser quelque chose qui vous tient vraiment à cœur. 

Une seule journée sans parler à personne peut mener à des états psychologiques extrêmes. L'humain est un animal social, il n'est pas fait pour vivre isolé du reste du monde.
Cyprien Verseux.

Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un jardin, pour faire des activités physiques en plein air. Comment fait-on quand on est cloîtré entre quatre murs ?

Cyprien Verseux : Dans la base en Antarctique, nous avions une salle de musculation. A Hawaï, en revanche, nous avions uniquement un tapis de course. Mais nous ne pouvions l'utiliser que lorsqu'il y avait du Soleil, car on dépendait de l'énergie solaire. Le reste du temps, on faisait des pompes, des tractions, des abdominaux ou encore de la corde à sauter. Parfois, on soulevait simplement des packs d'eau ou de nourriture. Une coéquipière, quant à elle, montait et descendait les escaliers. Il faut juste avoir un peu d'imagination.

Pratiquer une activité physique permet de prendre du recul, de retrouver de la lucidité. L'isolement affecte notre physiologie et notre mental. Cela peut nous rendre triste, sans raison valable. Et cela a aussi un effet sur la manière dont nous voyons les choses. Et le moindre petit problème peut alors vous sembler insurmontable. A Hawaï, nous n'avions pas d'accès à Internet, mais ce n'est pas le cas de la plupart des gens qui sont confinés à leur domicile. On peut facilement trouver des tutoriels gratuits sur YouTube pour pratiquer le yoga ou prendre des cours de Zumba, même dans un espace extrêmement réduit. 

Il est également essentiel de garder le contact avec ses proches, de manière quotidienne. Mais plutôt en appelant une personne par téléphone qu'en échangeant via des messageries électroniques ?

Cyprien Verseux : Une seule journée sans parler à personne peut mener à des états psychologiques extrêmes. L'humain est un animal social, il n'est pas fait pour vivre isolé du reste du monde. Cela conduit fatalement à une forme de dépression. Un coup de déprime, après des heures passées en solitaire, peut souvent être atténué par un simple appel à un proche. Mais selon moi, il y a une énorme différence entre communiquer à l'écrit via des messageries électroniques tout au long de la journée et prendre un moment pour discuter oralement avec un proche par téléphone. Ce sont deux choses complètement différentes. 

Pour beaucoup de gens, ce confinement signifie nécessite d'apprendre à vivre en communauté, que ce soit en famille ou en colocation, sans aucune coupure ou presque. Or, ce n'est pas toujours simple. Vous en savez quelque chose...

Cyprien Verseux : Dans ce genre de situation, il est primordial d'apprendre à s'entendre. Car, quand on est les uns sur les autres, il y aura forcément des tensions si l'on n'applique pas les bonnes stratégies. Le meilleur moyen pour éviter des conflits, c'est d'apprendre des uns des autres. Avant la mission, nous avons discuté ensemble pour savoir ce que les uns et les autres ne supportaient pas au quotidien. Quand on sait ce qui horripile les autres et qu'ils savent ce qui vous agace tout particulièrement, on peut alors d'autant plus facilement limiter le risque de frictions.

Sur l'Île d'Hawaï tout comme à Concordia, en mettant en place cette méthode, nous avons pu éviter les conflits tout au long de la mission. En temps ordinaire, on ne s'aperçoit pas forcément des mauvaises habitudes des uns et des autres. Cependant, en situation de confinement, certaines manies peuvent rapidement devenir insupportables. A Hawaï, je me remplissais des verres d'eau que je laissais ensuite derrière, par oubli. Au début, cette mauvaise habitude faisait rires mes camarades. Mais au bout d'un moment, cela a fini par les agacer. En confinement, nous avons beaucoup moins de patience qu'en temps ordinaire et  tout devient donc insupportable assez vite.

Il faut être à l'aise avec le fait de s'ennuyer. C'est difficile au début, mais cela peut amener à plein de choses positives.
Cyprien Verseux.

En période de confinement, étant donné que les contacts avec l'extérieur sont quasi inexistants, l'hygiène de base peut parfois être mis au second plan. Or ce n'est pas forcément une bonne chose, évidemment ?

Cyprien Verseux : Quand j'étais en Antarctique, certains de mes coéquipiers ont parfois eu tendance à négliger leur hygiène. Ils arrêtaient de se laver et ne prenaient plus du tout soin d'eux. L'odeur qu'ils dégageaient a fini par devenir insupportable pour tous les autres. En France, le confinement ne devrait pas durer plus d'un mois. J'espère que les gens n'en arriveront pas jusque-là. Mais au-delà de l'impact sur les autres, cela a aussi un effet sur soi-même. Lorsque vous avez une vidéo-conférence, par exemple, vous allez faire en sorte d'être présentable, en prenant une douche et en vous habillant de façon correcte. Vous allez tout de suite vous sentir beaucoup mieux.

Ceconfinement peut être l'occasion de découvrir que l'ennui a aussi ses vertus...

Cyprien Verseux : Parfois il faut s'ennuyer pour découvrir quelque chose de nouveau. Généralement, quand on se laisse aller à l'ennui, on va commencer à réfléchir et des idées fleurissent dans notre esprit, comme par magie. Il faut être à l'aise avec le fait de s'ennuyer. C'est difficile au début, mais cela peut amener à plein de choses positives. Nous subissions le confinement, personne ne l'a choisi. En revanche, on a le choix de décider comment mettre à profit ce temps et accepter qu'il est même sain de s'ennuyer de temps en temps.


Propos recueillis par Matthieu DELACHARLERY

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