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L'eau, élément essentiel de la solution aux changements climatiques

Deux jeunes garçons portent de l'eau aux environs d'un camp de personnes déplacées près de la ville de Jowhar, en Somalie.
UN Photo/Tobin Jones
Deux jeunes garçons portent de l'eau aux environs d'un camp de personnes déplacées près de la ville de Jowhar, en Somalie.

L'eau, élément essentiel de la solution aux changements climatiques

Développement durable (ODD)

A l'occasion de la Journée mondiale de l'eau, les Nations Unies ont publié un rapport phare qui affirme que les changements climatiques vont affecter la disponibilité, la qualité et la quantité d’eau nécessaires aux besoins humains élémentaires, portant ainsi atteinte aux systèmes d’assainissement pour des milliards de personnes.

Le nouveau Rapport mondial de l’ONU sur la mise en valeur des ressources en eau appelle à un engagement plus concret des États pour relever ce défi et propose des solutions ancrées dans des stratégies d’adaptation et d’atténuation.

2,2 milliards de personnes ne disposent pas d’un accès à l’eau potable et 4,2 milliards - plus de la moitié de la population mondiale - sont privées de systèmes d’assainissement sûrs

« On aurait tort de ne voir la question de l’eau que sous l’angle d’un problème ou d’une insuffisance. Une meilleure gestion de l’eau peut appuyer les efforts visant à atténuer et à s’adapter aux effets des changements climatiques », a déclaré a cette occasion la Directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay.

Le rapport avertit qu'une telle détérioration de la situation risque d’entraver l’Objectif numéro six du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, qui vise à garantir l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous d’ici dix ans.

Environ 2,2 milliards de personnes ne disposent pas d’un accès à l’eau potable et 4,2 milliards - soit plus de la moitié de la population mondiale - sont privées de systèmes d’assainissement sûrs. Le défi est donc considérable.

Selon le rapport, la consommation d’eau, qui augmente d’environ 1% par an, a été multipliée par six depuis un siècle. Les changements climatiques, et l’augmentation des événements extrêmes qu’ils provoquent – tempêtes, inondations, sécheresses –, aggraveront la situation des pays en situation de « stress hydrique ». Ils détérioreront aussi celle des régions actuellement bien pourvues en ressources en eau.

Le rapport souligne également qu’une mauvaise gestion de l’eau tend à exacerber l’impact des changements climatiques sur la société dans son ensemble.

Une famille à Conakry, en Guinée, dont un membre a été infecté par le virus Ebola, a reçu des seaux et du chlore et une formation sur comment se laver les mains correctement à la maison (janvier 2015).
Photo : MINUAUCE / Martine Perret
Une famille à Conakry, en Guinée, dont un membre a été infecté par le virus Ebola, a reçu des seaux et du chlore et une formation sur comment se laver les mains correctement à la maison (janvier 2015).

Effets sur la santé, menace pour la biodiversité

L'eau et le savon sont essentiels pour contenir la propagation de la pandémie de Covid-19, ainsi que d'autres maladies infectieuses.

À l'échelle mondiale, trois milliards de personnes ne disposent pas d'installation chez elles pour se laver les mains. 

Outre l’impact sur la production alimentaire, les effets sur la santé physique et mentale - liés aux maladies, aux dommages corporels, aux pertes économiques et aux déplacements de population - risquent, par conséquent, d’être considérables.

De nombreux écosystèmes, en particulier les forêts et les zones humides, sont également menacés, réduisant la biodiversité. L'approvisionnement en eau sera affecté, non seulement pour l'agriculture - qui absorbe 69% des prélèvements d’eau douce –, ainsi que pour l’industrie, la production d’énergie ou même la pêche.

L'augmentation de la température de l'eau, la diminution de l'oxygène dissoute entraîneront la diminution de la capacité d'autoépuration des bassins d'eau douce et affecteront ainsi la qualité de l’eau : risques accrus de pollution de l'eau, contamination pathogène causée par les inondations ou par des concentrations plus élevées de polluants pendant les périodes de sécheresse.

Une année de sécheresse peut entraîner la fonte des glaciers qui représentent jusqu'à 91% de l'approvisionnement en eau de villes comme Huaraz, au Pérou.
ONU Info/Daniela Gross
Une année de sécheresse peut entraîner la fonte des glaciers qui représentent jusqu'à 91% de l'approvisionnement en eau de villes comme Huaraz, au Pérou.

Les zones les plus à risque : archipels, montagnes, tropiques et Grand Nord

Une grande partie des effets des changements climatiques sur la ressource en eau se manifestera dans les zones tropicales, où se trouve la plupart des pays en développement, avec des conséquences potentiellement apocalyptiques pour les petits États insulaires dont certains seront probablement rayés de la carte. 

Les régions montagneuses et septentrionales sont aussi particulièrement vulnérables aux changements climatiques, alors que les glaciers et les neiges éternelles fondent presque partout dans le monde. 

Les auteurs reconnaissent toutefois qu’un certain nombre d’incertitudes demeurent, particulièrement à l’échelon local et s’agissant de la variabilité de l’évolution des précipitations selon les saisons.

Les solutions proposées : adaptation et atténuation

Face aux menaces, le rapport met en avant les deux stratégies complémentaires à mettre en œuvre, l’adaptation et l’atténuation :

- L'adaptation englobe une combinaison d'options naturelles, techniques et technologiques, ainsi que des mesures sociales et institutionnelles pour atténuer les dommages et exploiter les quelques conséquences positives des changements climatiques. Elle est susceptible d’avoir des retombées favorables très rapides, notamment au niveau local.

- L'atténuation comprend les interventions humaines nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en exploitant les puits de carbone afin de diminuer la quantité de CO2 et autres GES présente dans l’atmosphère. Elle concerne de vastes zones géographiques mais avec des effets dont la montée en puissance pourra s’étaler sur des décennies. Or, les possibilités d'atténuation en matière de gestion de l’eau restent notoirement méconnues.

Un filtre goutte à goutte dans une usine de traitement des eaux usées à Danbury, Connecticut, aux États-Unis. Photo ONU/Evan Schneider
Un filtre goutte à goutte dans une usine de traitement des eaux usées à Danbury, Connecticut, aux États-Unis. Photo ONU/Evan Schneider

Mieux gérer les eaux usées

Le traitement des eaux usée contribue aux changements climatiques dans la mesure où il est générateur de gaz à effet de serre dans une proportion estimée entre 3 et 7% des émissions, indique le rapport.

Les eaux usées contiennent plus d’énergie que ce qui est nécessaire à leur traitement à condition de l’exploiter. Or, jusqu'à 90% des eaux usées sont rejetées sans traitement à travers le monde

Ces émissions proviennent à la fois de l’énergie nécessaire et des procédés biochimiques utilisés dans le traitement des eaux usées.

Toutefois, le rapport souligne que la décomposition de la matière organique que contiennent les eaux usées non traitées sont aussi une importante source de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Les eaux usées contiennent plus d’énergie que ce qui est nécessaire à leur traitement, à condition, bien sûr, de l’exploiter. Or, entre 80 et 90% des eaux usées seraient rejetées sans traitement à travers le monde.

Une gestion optimale de la ressource en eau implique d’investir dans des techniques modernes de traitement capables de tirer le méthane de la matière organique, affirme le rapport. 

Il appelle à suivre l'exemple des pays tels que la Jordanie, le Mexique, le Pérou ou la Thaïlande, qui génèrent l’énergie nécessaire au processus sous forme de biogaz. 

Ces techniques ont permis aux services publics de ces pays de réduire les émissions de milliers de tonnes de CO2 tout en réalisant des économies financières et en améliorant la qualité du service.

Le rapport mentionne aussi des interventions novatrices en matière de gestion de l'eau telles que le captage du brouillard, ou, plus classiques, comme la protection des zones humides, en passant par les techniques agricoles dites « de conservation » ayant fait leur preuve. 

Ces techniques permettent de préserver la structure des sols, la matière organique et l’humidité en dépit d’une moindre pluviométrie. 

De même, la « réutilisation » des eaux usées et partiellement traitées pour l’irrigation ou pour l’industrie est une voie intéressante car elle ne nécessite pas de les rendre potables.

Une jeune fille boit de l'eau dans le camp de déplacés de Bakassi, à Maiduguri, au Nigéria (photo d'archives).
© UNICEF/Fati Abubakar
Une jeune fille boit de l'eau dans le camp de déplacés de Bakassi, à Maiduguri, au Nigéria (photo d'archives).

Considérer la problématique de l’eau comme une priorité

Si la nécessité de lutter contre les changements climatiques par une meilleure gestion du cycle de l'eau est bien reconnue, elle ne se traduit malheureusement pas dans les faits, d'après l'étude. 

« Le mot 'eau' apparaît rarement dans les accords internationaux sur le climat », a relevé Audrey Azoulay. 

Les « contributions déterminées au niveau national », soumises par les États dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat, demeurent d’ordre général sans proposer de plans spécifiques pour l'eau. 

Si une majorité de pays reconnaissent l'eau dans leur « portefeuille d'actions », moins nombreux sont ceux qui ont estimé les coûts de ces actions et moins nombreux encore ceux qui ont mis en avant des projets précis. Quant aux synergies possibles entre les mesures d'adaptation et d'atténuation, elles sont souvent négligées.

Mobiliser des financements

Les auteurs du rapport soulignent que la gestion des ressources en eau et les services d'approvisionnement en eau et d'assainissement sont sous-financés, ce qui nécessite une plus grande attention de la part des États. 

Selon eux, il existe de plus en plus de possibilités d'intégrer systématiquement la planification de l'adaptation et de l'atténuation dans les investissements dans le domaine de l'eau, de manière à rendre ces opérations plus attrayantes pour les bailleurs de fonds.

Ils citent en exemple un projet de fonds vert pour le climat au Sri Lanka, qui vise à améliorer les systèmes d'irrigation de communautés villageoises vulnérables et à encourager des pratiques agricoles intelligentes face au climat dans trois bassins fluviaux, offrant à la fois des avantages d'adaptation au climat et d'atténuation, tout en conservant l'eau et en protégeant les sources d'eau potable.

Les initiatives liées à l'eau et aux changements climatiques peuvent également apporter des avantages connexes, tels que la création d'emplois, l'amélioration de la santé publique, la réduction de la pauvreté, la promotion de l'égalité des sexes et l'amélioration des moyens de subsistance, ce qui renforce encore leur attractivité aux yeux des bailleurs.

Une proposition gagnant-gagnant

L'adoption de mesures intégrées d'adaptation et d'atténuation est une proposition gagnant-gagnant, estiment enfin les auteurs du rapport. 

Elles sont bénéfiques pour la gestion durable des ressources en eau et pour le droit humain à l'eau potable et à l'assainissement; elles s'attaquent directement aux causes et aux conséquences des changements climatiques, y compris dans la réponse à apporter face aux phénomènes météorologiques extrêmes; et elles contribuent enfin à la réalisation de plusieurs des Objectifs de développement durable.

Le rapport fournit aux décideurs des connaissances et des outils pour formuler et mettre en œuvre des politiques durables dans le domaine de l'eau.

Une fillette de sept ans donne de l'eau à son grand-père pendant qu'il prie dans un camp pour personnes déplacées au Darfour, au Soudan.
© UNICEF/Shehzad Noorani
Une fillette de sept ans donne de l'eau à son grand-père pendant qu'il prie dans un camp pour personnes déplacées au Darfour, au Soudan.

Nous avons tous un rôle à jouer

Dans son message à l'occasion de la Journée mondiale de l'eau, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a déclaré que « chacun a un rôle à jouer » et a appelé toutes les parties prenantes à intensifier l'action en faveur du climat et à investir dans des mesures d'adaptation solides pour assurer la durabilité de l'eau.

En limitant le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius, a-t-il déclaré, « le monde sera en bien meilleure position pour gérer et résoudre la crise de l'eau à laquelle nous sommes tous confrontés ».

« L'eau est le principal moyen par lequel nous percevons les effets du dérèglement climatique, depuis les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, jusqu'à la fonte des glaciers, l'intrusion d'eau salée et l'élévation du niveau de la mer », a-t-il ajouté. Cela aura des effets négatifs sur la santé et la productivité et agira comme un multiplicateur de menace pour l'instabilité et les conflits.

La solution est claire, a déclaré le chef des Nations Unies : « Nous devons de toute urgence augmenter les investissements dans des bassins versants et des infrastructures hydrauliques sains, avec des améliorations spectaculaires de l'efficacité de l'utilisation de l'eau ». Selon lui, le monde doit anticiper et répondre aux risques climatiques à tous les niveaux de la gestion de l'eau.

« Nous devons profiter de cette année et de la COP26 à Glasgow pour courber la courbe des émissions et créer une base solide pour la durabilité de l'eau », a-t-il souligné, faisant référence à la prochaine conférence des Nations Unies sur le changement climatique, actuellement prévue pour novembre 2020.