Chloroquine : la leçon du cycliste Fausto Coppi

TRIBUNE. Le champion italien et un ami ont contracté le paludisme. Soigné à la quinine, ce dernier est sauvé. Coppi, lui, est traité à la cortisone, avant de mourir.

Par Jean-Loup Bonnamy*

Temps de lecture : 8 min

Le débat fait rage. Quel modèle la France doit-elle suivre face au Covid-19 ? Le modèle italien, reposant sur le confinement ? Ou bien le modèle proposé par le docteur Didier Raoult  ? Ce professeur de médecine, dont le laboratoire est à Marseille, affirme depuis fin février que « l'on sait guérir le Covid-19, qui est probablement l'infection respiratoire la plus facile à soigner ». Comment ? Par l'administration de chloroquine, un médicament antipaludéen très courant et dérivé de la quinine, combiné à de l'azithromycine, un antibiotique. Un dépistage massif de la population et l'administration de chloroquine aux malades permettraient selon lui de sortir de la crise. Donald Trump a ainsi annoncé, jeudi 19 mars, qu'il allait baser sa stratégie sur la chloroquine. Comment choisir entre le modèle italien et la « ligne Raoult » ? Peut-être en nous souvenant de Fausto Coppi.

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Fausto Coppi est un cycliste de légende, deux fois vainqueur du Tour de France, cinq fois du Tour d'Italie. Fin 1959, il va, avec son ami Raphaël Geminiani, participer à une course (le Criterium de Ouagadougou, gagné par Anquetil et où Coppi arrive deuxième) en Haute-Volta (ancien nom du Burkina Faso). Les deux Italiens y contractent sans le savoir une forme mortelle de paludisme. Revenus en Europe, ils commencent à manifester des symptômes très graves. Geminiani est soigné en France par un médecin colonial, le docteur Bruggière, spécialiste des maladies tropicales, qui lui dit « vous avez le paludisme » et lui donne de la quinine. Geminiani est sauvé. Au contraire, Coppi est soigné en Italie. Dans ce pays sans véritable passé colonial (à part la Libye, l'Éthiopie durant cinq ans et un petit bout de Somalie), qui connaît aussi le paludisme mais sous une forme moins agressive, la maladie de Coppi n'est pas identifiée. On s'obstine à le soigner pour une jaunisse, une fièvre typhoïde ou encore une pneumonie. Malgré les appels désespérés de la femme et du frère de Geminiani qui s'empressent de téléphoner à l'hôpital pour dire que Coppi est aussi atteint de paludisme, les médecins italiens lui injectent massivement de la cortisone, alors que ça ne sert à rien et qu'il lui faudrait de la quinine. Coppi meurt le 2 janvier 1960. À 40 ans. Il était dans une forme physique éblouissante quelques semaines avant. Et le médicament proposé par Didier Raoult est justement un antipaludéen.

On devrait plutôt s'appuyer sur la tradition et le savoir-faire français de nos médecins tropicalistes.

Pour gérer une maladie exotique, doit-on imiter les Italiens ? Cela ne semble pas pertinent. Aujourd'hui, ce pays vit en plein cauchemar avec une population confinée chez elle, une activité économique nulle, des hôpitaux surchargés, l'armée dans les rues et des morts chaque jour plus nombreux. On devrait plutôt s'appuyer sur la tradition et le savoir-faire français de nos médecins tropicalistes. Didier Raoult incarne cette tradition française. Il n'y a qu'à lire sa biographie pour le comprendre.

Fils d'un médecin militaire, il est né à Dakar. Cet héritage familial et ce lieu de naissance africain le prédisposaient à une sensibilité certaine pour les maladies infectieuses. À l'âge de neuf ans, ses parents s'installent à Marseille, ville dans laquelle Didier Raoult habite toujours et où se trouve son laboratoire. Or, Marseille est le grand port colonial par excellence. Nœud commercial, elle fut le théâtre de plusieurs épidémies : la peste en 1720 (ramenée de Syrie par un bateau qui convoyait de la soie, Le Grand Saint-Antoine), le choléra en 1832 et 1884. C'est là, dans la ville d'Edmond Dantès (le marin héros du Comte de Monte-Cristo), qu'embarquaient et débarquaient les troupes à destination des colonies. C'est de là que partaient nos soldats pour les guerres d'Indochine et d'Algérie. C'est en posant leurs valises sur les pierres de son Vieux-Port que les pieds-noirs rapatriés et les immigrés maghrébins sont arrivés en France. Tous ces éléments historiques ont contribué au savoir-faire marseillais en termes d'infectiologie. Entre des Italiens qui affichent un bilan catastrophique dans la lutte contre le Covid-19 et qui connaissent mal (pour des raisons historiques) les maladies exotiques et un laboratoire marseillais, nous devrions, dans le doute et l'incertitude, faire davantage confiance au laboratoire marseillais. Ne poussons pas le mimétisme et le parisianisme à préférer le contre-modèle italien à Marseille.

Surtout, Didier Raoult, qui est un anticonformiste patenté, n'a cependant rien d'un marginal. Il est le chercheur européen dont les publications sont les plus citées au monde dans le domaine des maladies infectieuses. Il a identifié 400 microbes (soit 20 % des microbes capables de contaminer l'Homme). Il a découvert des virus géants (Mimivirus et Mamavirus) ainsi qu'un virus capable d'infecter un autre virus, ce qu'on croyait jusque-là impossible. Didier Raoult indique aujourd'hui que l'utilisation de la chloroquine dans le traitement des infections respiratoires virales figure dans tous les manuels de médecine, déclarant : «  Les maladies infectieuses, ce n'est pas très compliqué. Il faut diagnostiquer et traiter. C'est le B-A BA des maladies infectieuses. La chloroquine a déjà fait ses preuves face au virus Zika. Et si certains médecins qui me contredisent ne lisent pas les manuels et ne connaissent pas l'usage de la chloroquine, qui s'apprend en troisième année de médecine, ce n'est pas ma faute.  » Comme souvent, la réponse à un problème en apparence complexe pourrait reposer sur des choses simples et sur une bonne maîtrise des fondamentaux. Cet usage de la chloroquine est également recommandé dans la lutte contre le Sras en 2003 puis aujourd'hui contre le Covid-19 par Zhong Nanshan, l'un des plus grands pneumologues mondiaux.

Inventer un vaccin ou un nouveau médicament prendrait trop de temps

Pour appuyer son argumentation, Didier Raoult souligne que la chloroquine a fait ses preuves in vitro. Il a ensuite mené sa propre étude en appliquant son traitement à 25 patients et a obtenu des résultats spectaculaires. 75 % des patients traités ne sont plus porteurs du virus au bout de six jours, tandis que ce chiffre tombe à 10 % chez les patients qui n'ont pas été traités à la chloroquine. Les témoignages des patients sauvés par le traitement du docteur Raoult sont éloquents. Sophie, 37 ans et mère de famille, déclare : « J'ai pu retrouver ma famille seulement quatre jours plus tard alors que je croyais mourir. » De même, François, 59 ans, cardiaque, diabétique, touché dans le passé par un infarctus et une hépatite, se qualifie de « privilégié » pour avoir pu bénéficier du traitement à la chloroquine. Aujourd'hui, Christian Estrosi, contaminé par le coronavirus et traité à la chloroquine, fait l'éloge de l'efficacité de ce traitement sur les réseaux sociaux.

Il ne s'agit pas ici de se prononcer sur le plan médical, mais de prendre trois faits non médicaux en considération afin de formuler un jugement rationnel. Premier fait : inventer un vaccin ou un nouveau médicament prendrait trop de temps. L'épidémie sera probablement retombée d'ici là. Il y aura eu des morts. Les économies auront été détruites par le confinement. La seule solution est le repositionning, c'est-à-dire l'utilisation de médicaments déjà connus, soit la chloroquine, soit un antirétroviral. Le laboratoire Sanofi s'est d'ailleurs dit prêt à en offrir 300 000 doses à la France. Deuxième fait : la chloroquine est un médicament parfaitement connu, qui existe depuis 70 ans. Les effets secondaires sont bien identifiés, la posologie maîtrisée. Des centaines de millions d'individus en ont pris dans le monde. Didier Raoult est l'un des grands experts mondiaux de ce médicament et il a traité des milliers de patients avec depuis 30 ans pour différentes infections.

Au contraire, de nouveaux remèdes ou vaccins seraient très coûteux et les effets secondaires éventuels à moyen et long terme totalement inconnus. Troisième fait : ça ne coûte rien d'administrer de la chloroquine puisque pour l'instant nous n'avons rien d'autre à proposer pour soigner la maladie. Prenons une personne qui risque de mourir du Covid-19 : mieux vaut la placer sous chloroquine que de ne rien faire. Au pire, le traitement ne marche pas, le patient décède, ce qui serait de toute façon arrivé, même sans chloroquine. Au mieux, le remède est efficace et le patient est sauvé. Il n'y a rien à perdre à tenter l'essai. Essayer ne pourra pas être pire que de ne pas essayer. Certains contradicteurs du professeur Raoult avancent la nécessité de prendre son temps, de passer par des revues à comité de lecture, de faire des tests étendus. De tels arguments sont incompréhensibles. Nous sommes en période de crise. Tout ce qui peut aider à sauver des vies et à sortir de la crise doit être tenté au plus vite. Si la chloroquine marche et si la France refuse d'y recourir massivement, nos dirigeants porteront une lourde responsabilité et auront des morts sur la conscience. S'ils essaient ce traitement et qu'il ne marche pas, personne ne pourra leur reprocher d'avoir essayé. Encore une fois : rien à perdre.

Si nous voulons gagner cette guerre, il nous faut une stratégie.

Emmanuel Macron a parlé de « guerre » contre le coronavirus. Mais il ne faut pas oublier que la France est le pays de la ligne Maginot et que Charles de Gaulle n'a pas été écouté lorsqu'il parlait du rôle central des blindés. Ces décisions absurdes nous ont valu la débâcle de 1940. Si nous voulons gagner cette guerre, il nous faut une stratégie. Nous ne pouvons pas nous abriter derrière une attitude purement défensive. Il nous faut passer à l'offensive. Une offensive ciblée. Pour cela, nous avons besoin de renseignement (les dépistages massifs, l'utilisation des Big data de l'Assurance-maladie pour tester en priorité les personnes à risque comme le propose le géopolitologue Renaud Girard…) et d'armes (les médicaments). Cela vaudra toujours mieux que de partager le triste sort de Fausto Coppi.

*Jean-Loup Bonnamy est normalien, agrégé de philosophie

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Commentaires (38)

  • rugby41

    Raphaël Geminiani, futur champion cycliste, naît le 12 juin 1925 à Clermont-Ferrand. Ses parents se sont installés dans cette ville deux ans auparavant après avoir fui l'Italie fasciste. Il a couru pour l'équipe de Franc remporté 7 étapes du tour de France et un championnat de France sur route, puis est devenu entraîneur. Au début des cette année il a rendu un vibrant hommage à Raymond Poulidor.

  • GDJ87

    "l'aigle Coppi au sommet de l'Izoard"

  • duchayla

    Malgré l'erreur faisant changé de nationalité Géminiani, Français courant souvent sous le maillot de l'équipe Peugeot. Tout le reste doit être pris en compte et rapidement.
    Lorsque j'entends des pseudo scientifiques dire qu'ils faut attendre, se réunir et "essayer de voir" ce qu'on put faire. Nous avons là le meilleur spécialiste mondial des maladies infectieuses tropicales ? Pourquoi ces gens de Paris seraient-ils plus au courant que lui ? Combien ont-ils publié dans les revues médicales mondiales ? Est-ce
    l'allure de cet éminent médecin qui les dérange ? Quelque chercheurs interrogés par les médias et allaient dans le ses de Monsieur Raout ne paraissent plus, pourquoi ?
    Je pense qu'il y a là une mafias de ces pontes qui veulent les lumières pour eux sans avoir montré le moindre soupçon de leurs recherches. J'en ai même entendu qui disaient qu'il ne fallait pas aller trop vitre et attendre : attendre quoi 50 000 morts?Le gouvernement veut s'appuyer sur un "collège d'experts", ceux-ci se réuniront discuteront et ne feront rien de probant. Et donc nos chefs attendront aussi pour faire.

    Nous avions la meilleure couverture santé du monde, il n'en est plus rien, car dés le début de l'apparition du Cod-19, il es apparu le manque de respirateur, de masques de protection (plusieurs millions sot partis gracieusement en Chine). Tout cela par les restrictions budgétaires dans tous les domaines des hôpitaux en France. Dans les années 1995, les hôpitaux étaient largement dotés, il aurait fallu maintenir ce niveau de dotation, au contraire, chaque gouvernement s'est ingénié à supprimer des lits et le matériel qui devenait donc en trop. La chute des lits est de 40% depuis cette date, celle du matériel de près de 50%
    On nous parle de commissions d'enquêtes, il faut que cela aille jusqu'à la mise en accusation de TOUS les politiques responsables et donc coupables sans distinction de place dans la société française, du plus haut au moindre signataire d'une circulaire/