Professeur Rémi Salomon

Le Professeur Rémi Salomon.

AP-HP

L'Express: Pensez-vous que Paris va connaître le pic de l'épidémie dès cette semaine ?

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Rémi Salomon: On assiste à une multiplication des cas depuis le week-end du 21 et 22 mars, mais les épidémiologistes prévoient ce pic autour de la mi-avril en Ile-de-France, ce qui nous laisse entrevoir encore de longues semaines difficiles pour les soignants comme pour la population. Nous sommes face à une catastrophe inédite dont je n'ai pris conscience que courant février avec son développement en Italie. Nous allons vivre la même situation. Le Grand Est est frappé de plein fouet, et, maintenant, c'est au tour de la région parisienne. Demain, d'autres grandes villes suivront. Il faut s'y préparer.

Vous étiez opposé à la tenue du premier tour des élections municipales, et vous avez déclaré que les premières mesures de confinement n'étaient pas assez drastiques. L'Etat a-t-il mal géré la crise ?

Ce n'est plus la question. Au moment de l'annonce par le président Macron [NDLR : le 16 mars], la réponse n'a pas été assez claire, pas assez directive. Comme l'a montré l'épisode en Chine, face à un tel événement, il n'y a qu'une seule réponse : un confinement massif et total. Dans la rue, je suis encore frappé par l'attitude de certaines personnes qui ne respectent pas les règles de distanciation et manquent de civisme. Le seul mot d'ordre, c'est de rester chez soi et de limiter les contacts le plus possible. Chaque sortie est une prise de risque. Le durcissement du confinement est donc une bonne chose.

Dans les hôpitaux parisiens, comment le personnel soignant s'est-il préparé ?

Ces derniers jours, nous avons opéré un vaste mouvement de réorganisation. Nous avons libéré un maximum de lits en réanimation et en soins intensifs, et avons transféré certaines équipes, qu'il faut aussi former en urgence. Mais nos capacités ne sont pas extensives. Bien avant cette crise, nous alertions sur le fait qu'il manquait des centaines de postes de soignant. Aujourd'hui, ceux qui oeuvrent au quotidien ne pourront pas faire de miracles. C'est comme s'ils sprintaient en début de marathon. Il faudra tenir sur le long terme et mobiliser bien au-delà de nos réserves actuelles, notamment en faisant appel aux jeunes, qui, a priori, souffrent moins des effets de la maladie. Les moyens matériels aussi doivent suivre sur la distance - non seulement les masques, mais aussi les flacons de gel hydroalcoolique, les combinaisons et, surtout, le nombre de respirateurs pour ventiler les malades. On estime en France le nombre de lits hospitaliers équipés en réanimation et en soins intensifs à 5 000. Nous pouvons espérer en mobiliser au total jusqu'à 10 000, voire 15 000. Mais cela restera insuffisant si nous avons en face de nous un raz-de-marée.

Saurons-nous tirer les leçons d'une telle catastrophe ?

Les exemples de la Chine, avec son confinement total et à très grande échelle, ou celui de la Corée du Sud, avec sa politique de tests massifs, font que dorénavant nous nous y prendrons différemment. Les pays asiatiques ont une mémoire de ce type d'épisodes. Pour nous, il faut remonter à la grippe espagnolede 1918. Nous l'avons oubliée. Indéniablement, il y aura un avant et un après le Covid-19. En matière de santé, doit-on avoir un système marchand basé sur la rentabilité, comme cela a trop été encouragé pendant des décennies ? Et ce genre d'épidémies n'est-il pas amené à se reproduire ? Cette pandémie n'est pas le fruit du hasard, mais de ce que l'homme fait de la planète. Elle nous amènera à nous interroger sur notre productivisme, sur l'environnement et nos modes de consommation.

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