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IRAN

En Iran, les médecins s'alarment des pénuries de matériel pour lutter contre le Covid-19 : "Chaque seconde on pourrait être infecté"

Le personnel médical iranien estime que, contrairement à ce qui est montré à la télévision (bas), ils combattent le Covid-19 sans suffisamment de matériel adéquat, une pénurie qui les met en danger. Images : capture d'écran Telegram
Le personnel médical iranien estime que, contrairement à ce qui est montré à la télévision (bas), ils combattent le Covid-19 sans suffisamment de matériel adéquat, une pénurie qui les met en danger. Images : capture d'écran Telegram
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Alors que le bilan officiel de l'épidémie de coronavirus en Iran atteint 1 812 morts, les médecins et infirmiers qui luttent contre la maladie estiment être mis en danger à cause du manque de matériel de protection de base comme les masques et les combinaisons. Ils dénoncent les risques qui pèsent sur le système médical iranien dans son ensemble.

Il n'existe pas à ce jour de décompte officiel du nombre de personnels médicaux décédés du Covid-19 en Iran, mais la rédaction des Observateurs de France 24 a recensé 62 décès de médecins et infirmiers via des sources fiables entre le 25 février et le 23 mars.

Onze médecins et infirmiers exerçant dans tout le pays ont confié à notre rédaction faire face à une pénurie de matériel dans les hôpitaux où ils travaillent, et craindre d'être infectés.

LIRE SUR LES OBSERVATEURS >> En Iran, les autorités “dissimulent” de nombreux décès liés au Covid-19

Au moins 62 médecin et infirmiers ont perdu la vie en combattant l'épidémie en Iran, parmi eux se trouvent ci dessus le Dr. Siamak Divashli de la ville d'Anzali, décédé le 7 mars (en haut à gauche), la Dr. Shirin Rouhanirad de Pakdasht, décédée le 19 mars, l'infirmière Narges Khanalizadeh de Lahijan, décédée le 25 février et l'infirmier Ramin Azizfar de Téhéran, décédé le 28 février. 

 

“Nous n'avons pas du tout de matériel, nous risquons d'etre infectés"

Cette infirmière de Qom, la ville sainte où le premier foyer de coronavirus a été détecté en Iran, a  souhaité garder l'anonymat, comme les dix autres personnels médicaux que nous avons interrogés. Tous ont reçu l'instruction de ne pas parler aux médias du virus. 

 

À la fin du mois de février, quand le gouvernement a finalement admis l'existence d'un premier foyer, ou "cluster", de coronavirus ici à Qom, une équipe a été envoyée pour nous former. Les formateurs ont appris au personnel de l’hôpital les procédures à suivre pour se protéger du virus quand on soigne des patients qui en sont atteints.

Pendant les séances de formation, ils nous ont donné des combinaisons de protection, des masques, des visières, tout ce dont on avait besoin et dans un état parfait. Mais maintenant que l'épidémie bat son plein et que notre hôpital est plein de personnes infectées par le virus, nous n'avons pas du tout de matériel. Nous risquons d’être nous-mêmes infectés.

Tout ce qu'ils nous ont donné c'est une blouse d'opération jetable qui ne nous protège en rien des virus. Nous n'avons pas assez de masques spéciaux. Les masques classiques fournis par l’hôpital ne protègent pas ceux qui sont en contact rapproché avec les patients. Dans tous les cas, nous n'avons même pas assez de masques classiques.

Nous avons mentionné ces problèmes au gouverneur et au ministère de la Santé, mais rien n'a changé. Dans beaucoup d’hôpitaux nous n'avons même pas de ventilateurs (des machines qui permettent de pomper de l'oxygène ou de l'air directement dans les poumons du patient, déterminantes pour les cas graves de Covid-19, NDLR). Nous n'avons pas les médicaments de base requis pour traiter ce type de maladie.

Ces photos prises en mars montrent le matériel fourni au personnel médical de Qom qui s'occupe des patients atteints du Covid-19, selon eux insuffisant pour se protéger du virus que portent les patients.

Dans cette vidéo publiée le 4 mars sur Telegram, une infirmière en Iran montre à la caméra le matériel de protection dont elle dispose : "j'ai une surprise pour vous. C'est mon équipement de protection. Vous voyez comme il est épais ? C'est censé me protéger contre le coronavirus ? Oubliez ça, c'est même trop petit pour moi".

"Quand la télévision officielle est venue, tout d'un coup l'hôpital nous a donné le meilleur équipement possible"

Selon les  témoignages de dizaines de médecins publiés sur les réseaux sociaux, les hôpitaux du pays font face à des pénuries de matériel nécessaire au combat contre le Covid-19. Khashayar (pseudo) est un médecin dans l'un des principaux hôpitaux de Téhéran. Il estime que les autorités tentent de cacher cette pénurie des yeux du public.

 

Dans notre hôpital la situation est tout aussi grave que dans n'importe quel centre hospitalier du pays. Nous mettons nos vies en danger par manque de formation adéquates et par manque de matériel de protection. Quand la télévision officielle est venue il y a quelques jours pour un reportage, tout d'un coup l'hôpital nous a donné le meilleur équipement et tout ce dont nous avions besoin. Mais c'était seulement pour quelques heures. Depuis lors nous n'avons pas revu ce type d'équipement.

Ce reportage de la télévision iranienne diffusé le 16 mars montre le personnel médical de Tabriz, au nord-ouest de l'Iran, en train de soigner des patients vêtus de masques et combinaisons de protection. Le personnel médical d'autres villes iraniennes nous ont dit manquer de ce type d'équipement, sauf quand les caméras de télévision venaient les filmer.

 

Ils ont filmé les sections de l'hôpital où nous avons l'équipement adéquat comme des ventilateurs. Notre hôpital prend bien en charge des patients atteints du Covid-19 dans des services appropriés, équipés de ventilateurs, mais nous avons aussi des patients en état critique qui ne sont pas sous assistance respiratoire parce que nous n'en avons pu de disponibles.

Ces photos montrent des patients atteints du Covid-19 dans l'hopital Amini de Langeroud, dans la province du Guilan. Aucun ventilateur n'est visible et certains patients sont dans le couloir.

 

Je suis fatigué et en colère. Certains de nos collègues ont déjà été infectés. D'autres sont tout simplement épuisés. Si la situation continue ainsi notre système de santé va s'effondrer et je ne sais pas combien de personnes vont mourir

"Nous n'avons pas de combinaisons... ni de masques"

Melody (pseudonyme) est médecin urgentiste dans une ville située à 200 kilomètres à l'est de Téhéran. Elle détaille comment les pénuries affectent son travail au quotidien.

 

Notre hôpital n'a pas de combinaisons de protection. Nos vêtements et notre peau entrent en contact avec des patients atteints du virus. Ils nous donnent juste des gants en latex, deux paires par jour. Si nous souhaitons nous protéger par nous-mêmes, nous devons acheter notre propre matériel. Mais seulement si on arrive à en trouver ! Les prix sont fous : j'ai acheté neuf combinaisons de protection de 2,5 millions de tomans (150 euros). 

Nous devons également acheter nous-mêmes nos masques. L'hôpital nous fournit seulement un masque chirurgical pour huit à douze heures de travail. Ce n'est pas suffisant. Si on ne les change pas toutes les heures, ils deviennent eux-mêmes source d'infection. Mais dans tous les cas ils ne nous protègent pas, ce sont les masques conçus pour protéger le patient  du chirurgien qui les opère, pas l'inverse. Nous avons besoin de masques spécifiques, de type N95, c'est à dire qui peuvent filtrer 95% des nanoparticules telles que les virus. Ce masque protège celui qui le porte des particules en suspension dans l'air et des gouttelettes.

Cette vidéo filmée le 2 mars dans l'hôpital Razi de Rasht, dans la province de Guilan, montre une infirmière disant : "Nous avons besoin de combinaisons de protection. Nous avons besoin de masques pour tout le monde, patients et personnel medical. Nous avons besoin d'alcool et de désinfectant".

 

Je connais au moins douze médecins et infirmiers de notre ville qui ont été infectés par le virus. L'un d'eux est mort. Certains de nos collègues, notamment les infirmiers, ont arrêté de venir au travail. On ne peut pas continuer ainsi longtemps. La pression psychologique est insoutenable. Chaque seconde on pense qu'on pourrait être infecté et mourir. 

"Les hôpitaux dépendent des volontaires comme moi"

Les médecins et infirmiers ont également fait des appels aux dons en ligne auprès des citoyens iraniens. Varesh (pseudonyme) est une activiste de la province de Guilan qui a perdu deux membres de sa famille, décédés des suites du Covid-19. Elle explique comment elle et tout un réseau d'autres volontaires aident les hôpitaux de la région en achetant du matériel dans le commerce et en l'apportant aux soignants.

 

Les hôpitaux de notre ville et des environs sont pleins. Ils mettent des lits dans les couloirs. Il n'y a pas assez de ventilateurs. Il y a quelques médicaments, mais pas assez pour tout le monde. 

Les hôpitaux manquent de masques et de liquides désinfectants. Les volontaires comme moi voyagent vers Téhéran ou d'autres villes et achètent autant qu'ils peuvent pour ensuite donner le matériel aux hôpitaux de leur region.

Les médecins et infirmiers de Langeroud, dans la province de Guilan, ont demandé des dons de matériel sur les réseaux sociaux dans le cadre de leur combat contre le Covid-19. On peut lire sur cette publication : "C'est urgent ! Si la situation continue ainsi, il ne restera plus aucun médecin pour soigner les patients. À cause du manque de matériel, tous les personnels médicaux vont être infectés".

Dans cette vidéo, des membres du personnel de l'hôpital d'Alashtar montrent les dons de particuliers qu'ils ont reçu, notamment des visières protectrices pour le visage.

Article écrit par Ershad Alijani

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