Jean-Louis Fournier : "Le monde est devenu mortel, cela rend l’humanité plus émouvante"

Jean-Louis Fournier est aussi le créateur, entre autres, de La Noiraude (à la télévision)  - Editions Lattès
Jean-Louis Fournier est aussi le créateur, entre autres, de La Noiraude (à la télévision) - Editions Lattès
Jean-Louis Fournier est aussi le créateur, entre autres, de La Noiraude (à la télévision) - Editions Lattès
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Écrivain, réalisateur de télévision et humoriste, l'ami de Pierre Desproges convoque l'humour et la dérision pour aider à surmonter un confinement que certains vivent parfois comme une douloureuse réclusion.

Jean-Louis Fournier a l’habitude de tremper sa plume dans l’acide. Pour tuer le temps et rendre la vie moins douloureuse.

La transgression et la dérision, il connaît. Il les a pratiquées avec malice lorsqu’il réalisait La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède avec son ami Pierre Desproges (vidéo en bas de page).

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Mais aujourd’hui, pour le lauréat du Femina 2008, pas question de transgresser. Il respecte scrupuleusement le confinement qui lui est imposé dans son petit pavillon du XXe arrondissement de Paris. Avec "une compagne exceptionnelle : une chatte qui s'appelle Art déco, blanche avec des taches noires artistiquement déposées".

Et il a trouvé une formule pour désigner l’aventurier du coin de la rue qui se fiche pas mal des consignes : "Celui qui refuse d’être confiné est un con fini".

Les mots claquent comme un revers de Rafael Nadal sur un court de tennis. Jean-Louis Fournier ne supporte pas que l’on puisse se mettre, soi et les autres, en danger.

"ll faut aujourd’hui séparer alter et ego", explique l’écrivain-réalisateur. 

Mon père était médecin. J’ai une admiration débordante pour le corps médical. Pour les soignants qui exposent leur vie. Qui se dévouent dans des conditions extrêmement difficiles. Et j’en veux à ceux qui ne respectent pas les consignes. Ils font du tort aux médecins.

Il ne redoute pas cette période de confinement. C’est naturel. C’est son quotidien. "Je suis un peu confiné tout le temps, précise-t-il. En écrivant des livres, on est en dehors du monde pour être plus à soi."

Cela n’empêche pas son réseau d’amis de se mobiliser pour l’aider à surmonter ce moment de solitude et lui apporter le nécessaire. Ils veulent "savoir si je ne suis pas mort. Je leur réponds que je suis provisoirement vivant".

"L’humour est un antalgique, l’imagination, un cadeau du ciel"

"Nul n’est censé ignorer la joie" écrit Jean-Louis Fournier dans La Grammaire française et impertinente, l’un de ses premiers ouvrages paru en 1992 (Ed. Payot).

"L’humour sauve." "L’humour est un antalgique." C’est sur la base de ces principes que Jean-Louis Fournier a mis en lumière le handicap de ses deux fils Mathieu et Thomas dans son récit Où on va papa ? (Ed. Stock. Prix Femina 2008).

Il a choisi l’humour noir et la dérision qui, maniés avec délicatesse, lui ont permis de raconter et se moquer de ses enfants. "C’est mon privilège de père" écrit-il et cela lui a offert l’opportunité de parler au nom de tous les parents qui ne peuvent pas raconter leur douleur.

Alors aujourd’hui, plus que jamais, Jean-Louis Fournier estime que l’humour est nécessaire : "Pour garder la tête hors de l’eau. Pour échapper à la torpeur, à la tristesse générale. L’humour est une parade à l’insupportable. Et Dieu sait que là, on EST dans l’insupportable et qu’on a besoin de cette parade."

Dans ces moments où l’on est confronté à sa solitude, l’humoriste préconise de se perdre dans l’imaginaire. C’est un "cadeau du ciel, une lucarne dans notre cellule. L’imagination rend tout possible, s’enthousiasme-t-il. Avec l’imagination, on ne s’ennuie jamais." Et c’est d’autant plus indispensable "quand on est confiné dans un 30 mètres carrés avec trois gosses dans les pattes. Il faut (aussi) beaucoup de courage, car cela doit être dur la cohabitation quand on est dans un petit appartement avec du bruit".

Pour l’écrivain et poète, ce confinement sanitaire obligatoire nous invite également à nous évader par les arts, "les gens qui aiment la peinture, la littérature, la musique ne seront jamais perdus. Le monde moderne nous amène sur un plateau toutes les créations : des belles choses".

La solitude, Jean-Louis Fournier la pratique au quotidien. Il y a même consacré un livre : Je ne suis pas seul à être seul (Ed. JC Lattès. 2019). Et pour lui, ce moment singulier où l’on se retrouve face à soi-même peut être l’occasion de faire le point, d’arrêter notre boulimie d’activités.

Il conçoit qu’il peut être difficile de se retrouver seul avec soi. Surtout si l’on n’a plus rien à se dire. Mais il estime aussi qu’il est possible de jouir de cette solitude contrainte. "Regardez l’air épanoui des moines" note cet épicurien du recueillement. "La solitude est quelque fois un réel cadeau. Quand vous êtes au milieu des embouteillages, vous rêvez de solitude. Dans un musée, vous ne voyez que le dos des gens." Finalement, constate-t-il, il y a bon nombre d’endroits où l’on "aimerait être seul". 

"On n’a pas envie des autres, on a besoin des autres"

Pour autant, le fait d’apprivoiser la solitude ne fait pas de Jean-Louis Fournier un misanthrope. "Que ceux qui m’appellent et me demandent s’ils me dérangent sachent, une fois pour toutes, qu’on me dérange quand on ne m’appelle pas !" écrit-il dans son dernier ouvrage.

Cette peur du vide, ce besoin d’échanger parfois à outrance, pour ne rien dire, pour se rassurer, tout cela prend encore plus de sens dans cette crise sanitaire. "Je me demande si cette espèce de menace de mort n’est pas en train de transformer l’humanité en lui faisant prendre conscience que nous sommes mortels" explique ce pessimiste pince-sans-rire.

Car aujourd’hui, c’est bien ça qui nous arrive. Nous prenons tous "conscience que nous sommes mortels". Et "ça rend l’humanité plus émouvante" en conclut l’écrivain avec tendresse. "Les choses qu’on pense que l’on va perdre deviennent excessivement précieuses. On aime ceux que l’on a peur de perdre."

D’où ce besoin, cette envie des autres qui, aujourd’hui plus qu’hier, lui saute aux yeux, à la gorge et au cœur. "On a énormément besoin des autres pour se rassurer parce que tout seul, on a des doutes énormes", observe-t-il. Et il en fait une maxime à la fois personnelle et universelle : "J’ai besoin des autres pour savoir que j’existe."

Pour terminer cet échange, Jean-Louis Fournier ramasse sa dérision et son impertinence et s’efface dans un sourire derrière les mots de Pierre Dac : "Il vaut mieux être riche et en bonne santé, que pauvre et malade."

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Avec la collaboration d'Eric Chaverou

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