«Distribuer des dividendes en 2020 est contraire à l’intérêt social des entreprises, des Etats et des salariés»
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Le monde économique a toujours été animé par les paradoxes. Le début d’année 2020 restera marqué par la prise de conscience dans le monde occidental d’une crise planétaire au moment où les sociétés cotées terminaient leurs publications annuelles en affichant des records de croissance et de résultats, avant d’aller faire approuver quelques semaines après leurs comptes annuels, leurs rémunérations (en vertu du « say on pay ») et leurs dividendes devant leurs assemblées générales d’actionnaires. Les entreprises vont devoir résister à un mouvement tectonique économique mondial, inimaginable dans ses conséquences de court et moyen terme, à tel point que les entreprises ont annulé leurs rendez-vous investisseurs, et ne savent plus se prononcer sur leur « guidance » et leurs prévisions de résultats.
Plusieurs questions se posent pour les grandes entreprises et les entreprises cotées, qui vont faire face à une chute d’activité, mettre des salariés en chômage partiel, et peut-être par la suite à en licencier avant de retrouver sur le moyen terme un niveau d’activité normatif.
Comment la continuité d’exploitation va-t-elle être appréciée par les dirigeants et leurs commissaires aux comptes dans un contexte où aucune prévision ne peut être sérieusement faite sans une visibilité sur la fin de la pandémie, avec de surcroît une valeur des cash-flows qui s’est effondrée, et une prime de risque qui a bondi du fait d’une forte volatilité ?
Comment la démocratie actionnariale va-t-elle pouvoir s’exercer, sans occulter légalement les débats annuels nécessaires qui rendent responsables les mandataires sociaux de leurs actes de gestion devant leurs actionnaires une fois par an ? Ce virus ne peut pas être un prétexte pour museler la légitimité et le rôle des actionnaires, ni donner une immunité aux mandataires sociaux révocables ad nutum.
Comment les entreprises, qui sont dans l’incapacité de faire des prévisions, vont-elles pouvoir maintenir raisonnablement à leur ordre du jour la distribution de dividendes fondés sur des résultats passés ?
Point crucial. Ce dernier point est sans aucun doute le point le plus crucial alors que certaines grandes entreprises ont décidé de ne pas verser de dividendes. Il a une double résonance au nom de l’intérêt social. Comment effectivement des dirigeants et actionnaires peuvent-ils soutenir qu’il est dans « l’intérêt social de l’entreprise » de distribuer des dividendes et donc de la trésorerie alors qu’on ne sait pas de quoi est fait le lendemain avec une activité qui est aujourd’hui à l’arrêt à hauteur de 75 % sur le territoire ?
La planche à billets n’aura que trois issues possibles: une augmentation des impôts, l’inflation ou un changement radical du monde économique et social
Comment pourrait-on concilier cette équation contre nature de rémunérer les actionnaires alors que dans les mêmes temps on ferait rémunérer une partie de ses salariés par le chômage partiel, voire financer son activité par la puissance publique redevenue État providence ? Ce serait revenir à une économie de la rente.
Comment enfin, l’intérêt social des salariés, salariés des fournisseurs et sous-traitants, serait garanti avec une rémunération pour les actionnaires aujourd’hui, sans savoir si demain elles pourront rémunérer tous leurs salariés, sous-traitants et fournisseurs ? La responsabilité sociale et environnementale doit être au cœur de ce débat, compte tenu du choc d’offre auquel les entreprises sont actuellement confrontées et du choc de demande qui s’ensuivra sans aucun doute.
On peut imaginer que le Plan Marshall gouvernemental avoisinera certainement les 10 % du PIB pour indemniser l’arrêt transitoire d’activité et relancer l’économie. La planche à billets n’aura que trois issues possibles: une augmentation des impôts, l’inflation ou un changement radical du monde économique et social.
Chacun devra contribuer à l’effort national d’une façon ou d’une autre, et la transformation des entreprises devra être le moteur d’une nouvelle vision économique et sociale, moderne et responsable, pour les États, les acteurs économiques et les individus.
Il ne faut pas manquer ce rendez-vous historique de la responsabilité sociale avec l’intérêt social, dans un contexte inédit dont l’histoire s’écrit au futur.
Arnaud Marion est fondateur de Marion & Partners et de l’IHEGC (Institut des Hautes Études en Gestion de Crises).
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