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Pénurie de masques et Covid-19 : la fin du déni

Lots de masques FFP2 fabriqués en 2005, lors de l'épidémie de grippe aviaire (H5N1).
Lots de masques FFP2 fabriqués en 2005, lors de l'épidémie de grippe aviaire (H5N1). © Fred Dufour/AFP
Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

La pénurie de masques frappe cruellement la médecine de ville et les établissements de santé, à quelques jours du pic épidémique. Une véritable crise dans la crise. Si l'opération transparence d'Olivier Véran, samedi 21 mars, a été bien accueillie, les soignants dénoncent l'impréparation du gouvernement.

«C’est ce que nous attendions ! Le ministère de la Santé a enfin décrit la situation réelle, celle du rationnement des masques de protection, et dévoilé la politique mise en œuvre. Nous avons maintenant des consignes claires, nous allons pouvoir nous organiser», se réjouit Philippe Besset, Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et pharmacien dans l’Aude, après le point presse tenu en urgence par Olivier Véran, samedi 21 mars. Ce professionnel n’a eu de cesse d’alerter et d’interroger le cabinet du Ministre, depuis qu’Emmanuel Macron a annoncé, le 3 mars, la réquisition par l’Etat de tous les stocks et de la production de masques . Compte tenu de l’urgente nécessité de distribuer des masques aux soignants en ville, quand les pharmacies seront elles livrées? Quel est l’état des stocks? «Dès qu’on évoquait la question des masques, les réponses étaient très évasives.» 

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Les quantités de masques étaient aléatoires, livrées dans des cartons pourris ou dans des sacs plastique

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Lundi 16 mars, Emmanuel Macron déclare le pays «en guerre sanitaire» et annonce une distribution de masques dès le lendemain, dans les zones à risque, et le surlendemain, dans les 20 000 officines du territoire, à destination des soignants en ville. La colère des médecins généralistes, durement frappés par le manque de masques de protection, est alors à son comble. L’inquiétude, aussi : la guerre est déclarée, mais les combattants de première ligne sont sur le front «sans armes ni réserves». «Dès la fin de l’allocution présidentielle, nous avons harcelé nos interlocuteurs. Combien de masques nous seront livrés et par quels moyens? Quelles sont les consignes de distribution?», explique le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques. Pas de réponse. Les premières officines sont livrées mardi, en fin de journée et Philippe Besset, qui n’a toujours pas reçu de consignes, note les remontées d’infos. «Les livraisons, c’était un peu n’importe quoi. Les quantités et le type de masques étaient aléatoires. C’étaient surtout des masques chirurgicaux, de temps en temps des FFP2. Parfois, un panaché des deux, livrés dans des cartons pourris ou dans des sacs plastique. L’annonce du président de la République a probablement surpris la chaîne logistique», commente-t-il. Il lui a fallu attendre jusqu'à mercredi, 14 heures, avant de savoir quels étaient les modalités de distribution et les professionnels de santé prioritaires. Quant au réapprovisionnement des officines, le pharmacien ne disposait d’aucune information sur l’état des stocks et de la production, alors que les livraisons s’avéraient clairement insuffisantes. 

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Pourquoi avoir attendu tout ce temps avant de déstocker les masques?

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De fait, 12,3 millions de masques déstockés auraient été livrés aux pharmacies, les 17 et 18 mars, or les besoins des soignants, en ville, sont estimés à 6 millions de masques par jour. «Dans le Grand-Est, nous sommes au coeur de l'épidémie. Pourquoi avoir attendu la quatrième semaine de l'épidémie avant de déstocker les masques? C’est incompréhensible! Il fallait le faire dès le premier jour afin de bloquer l’épidémie», s’insurge Patrick Vogt, médecin généraliste à Mulhouse. «Dans notre département, chaque médecin a reçu jusque-là deux boîtes de 50 masques chirurgicaux en un mois. Mais il n’y a rien pour les patients or il faut donner des masques à tous ceux qui toussent! Sachant que j’en vois entre 8 et 12 par jour, j’aurais besoin de 120 masques par semaine!»

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Les usines françaises tournent à plein régime

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Impréparation? Constitué il y a dix ans lors des précédentes crises sanitaires, le stock d’un milliard et demi de masques de protection a fondu comme neige au soleil. «Quels que soient les processus de décision ayant conduit à ce que ces stocks ne soient pas renouvelés dans la durée (...), lorsque le Covid est apparu, il ne restait que 117 millions de masques chirurgicaux et aucun stock de FFP2», a expliqué samedi Olivier Véran à la presse. Pénurie totale, donc, des seules barrières de protection efficaces pour les soignants au début de l’épidémie. Les masques chirurgicaux, ou masques anti-projection, protégeant surtout ceux qui n’en portent pas. «Nous disposons à ce jour de 5 millions de masques FFP2 et de 81 millions de masques chirurgicaux. Nous prévoyons une consommation de 24 millions de masques par semaine dans notre pays», a précisé le Ministre, assurant que plus de 250 millions de masques, commandés dès le mois de janvier auprès d’industriels étrangers , seront livrés au cours des prochaines semaines. «Les usines tournent à plein régime (...) et la France est désormais en mesure de fabriquer 6 millions de masques supplémentaires par semaine, pour moitié des FFP2. Dès avril, ce sera 8 millions par semaine”, a ajouté le Ministre.

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La moindre contamination peut faire exploser les décès dans les maisons de retraite

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A huit ou dix jours de l’arrivée de la vague épidémique, il était temps que l’hôpital comme la médecine de ville, les établissements de santé, et le secteur médico-social aient un état des lieux et une projection chiffrés de la gestion de la pénurie. Extrêmement inquiets pour leurs résidents, les responsables des Ehpad, maisons de retraite et services à domicile ont alerté le ministre, la semaine dernière, sur le risque que 100 000 personnes âgées succombent à l’épidémie, par manque de protection des personnels. «Les patients à risque sont ceux de la gériatrie, des unités de soins de longue durée, des soins de suite et de réadaptation, et des Ehpad», explique le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML), qui a poussé son “premier coup de gueule” sur la pénurie des masques, fin janvier. «La littérature internationale nous montre que quand il y a un cas, dans ces établissements, le virus se diffuse, porté par les soignants, surtout s’ils ne sont pas bien protégés. La moindre contamination peut faire exploser les décès dans les maisons de retraite .» De son côté, Pascal Champvert, Président de l’association des directeurs de maison de retraite et directeur d’un Ehpad à Saint Maur des Fossés, se dit “apaisé” au lendemain de la communication du Ministre. “Nous avons été entendus”, estime-t-il, avant d’ajouter : “Nous vivons une situation totalement inédite et que personne n’imaginait, cela suppose de nombreux ajustements. Nous vérifierons toutefois que les masques sont bien livrés partout, dans les quantités annoncées (500 000 par jour), et nous veillerons à ce qu'ils soient bien mis à disposition des services à domicile, dans les pharmacies. Nous resterons vigilants car cet approvisionnement doit s’inscrire dans la durée.” 

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Nos personnels viennent travailler la peur au ventre, c'est un scandale !

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Grande inquiétude également au sein des établissements de soins de suite et de réadaptation. «Nous n’avons reçu aucune dotation de masques. Nous fonctionnons avec nos propres stocks, et nous tentons de récupérer des masques partout où nous le pouvons, mais il est clair que nous ne tiendrons pas plus d’une semaine, peut-être deux pour certains établissements», explique le Dr Frédéric Sanguignol, président de la Fédération des hôpitaux privés et de la Confédération des Soins de suite et de réadaptation (FHP SSR). «C’est un véritable scandale pour nos personnels qui viennent travailler la peur au ventre, et pour nos patients, qui sont à haut risque : des personnes âgées, polypathologiques, handicapées.» Le médecin critique aussi l’utilisation des ressources de soins en pleine crise. «Pourquoi des patients du Grand Est ont été évacués par l’armée de l’air vers les hôpitaux militaires de Toulon et Marseille alors que sur place, nos cliniques pouvaient les accueillir? Dans cette région, elles ont libéré 40 lits de réanimation. Il n’y a plus lieu de faire la distinction entre le public et le privé, nous devons tous être mobilisés car le virus va se diffuser sur l’ensemble du territoire. Nous sommes prêts à accueillir les patients Covid+ depuis deux semaines. Si les distributions de masques annoncées par Olivier Véran ne s’enclenchent pas très rapidement, nous ne pourrons pas les soigner.»

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Si on avait eu un discours de vérité dès le début, on aurait cherché des alternatives plus tôt

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Si le mot «pénurie» n’a pas été prononcé par le Ministre devant la presse, sa présentation de la situation actuelle et des moyens mis en oeuvre pour pallier au plus vite les failles et les dysfonctionnements, «en raison d’une logistique complexe à gérer», a le mérite de la transparence. «Ils ont enfin compris que les médecins généralistes avaient besoin de masques FFP2», ironise le Dr Jérôme Marty, qui prend acte «d’éléments très positifs» tout en pointant le danger du retard de cette communication : «Le virus circule depuis plus de deux mois en France. Si on avait eu un discours de vérité dès le début, la profession aurait râlé mais tout le monde aurait compris et se serait mis en ordre de marche plus tôt pour trouver des alternatives. Après des semaines de communication erratique, le gouvernement aujourd'hui est transparent car tout le monde l’a découvert, avec une profession unanimement en colère.» Même sentiment chez le Dr Vogt : «On nous a dit pendant des semaines que les masques FFP2 n’étaient pas utiles à la médecine libérale - qui pouvait utiliser des masques chirurgicaux - et qu’ils étaient réservés aux hospitaliers qui font des gestes invasifs. En réalité, ils se sont rendu compte qu’ils n’avaient plus de réserve. Je rappelle que lors de la pandémie H1N1, les FFP2 étaient destinés à tous les professionnels de santé tandis que les masques chirurgicaux étaient destinés aux patients.» 

Lire aussi. Coronavirus : la colère d'un généraliste face au manque de masques

Les premières livraisons de masques sont arrivées dimanche 22 mars dans les Ehpad, ainsi que dans les établissements de soins de suite, le lendemain. «Des petites quantités de masques chirurgicaux par établissement. De quoi tenir une semaine!», précise le Dr Sanguignol, avant d’ajouter : «Par contre, nous n’avons pas reçu de FFP2.» Philippe Besset, pour les officines, va contrôler «la réalité des livraisons qui arrivent». «Nous sommes tous dans une course contre la montre et nous n’avons pas de temps à perdre dans des luttes intestines alors que le pic épidémique se profile. Nous regardons devant en espérant qu’ils nous arment», conclut Jérôme Marty. «Par contre, comme j’aime bien dire, “c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens”, et on n’oubliera pas. Nous n’oublierons personne.”

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