Chronique «Vu de l'hôpital»

Coronavirus : «Jamais vu quelque chose d’aussi contagieux»

Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
par Jean-Paul Mari, Journaliste et réalisateur
publié le 22 mars 2020 à 20h16

Nous y sommes. La déferlante, comme l'appellent les médecins ici. Le début d'une vague énorme. Attendue dans un, deux, trois jours au plus. «On la prévoyait, on la voit venir et on ne peut rien faire pour l'éviter», dit le professeur Michel (1). L'homme est solide. Cheveux en bataille et poches lourdes sous les yeux qui détonnent avec un regard bleu, précis. Après une longue carrière d'urgentiste, peu de choses l'impressionnent. Mais là… Il regarde les statistiques : «C'est effrayant. Les Chinois nous ont promenés sur au moins deux paramètres, la contagiosité et la gravité des symptômes.»

Quelque 700 appels par jour aux urgences. Plus 20% d’admissions en réanimation. Il lui reste 2 lits libres sur 24. Deux jours au mieux. Après ? Il faudra installer les malades graves partout où l’on pourra, façon de gagner quelques jours sur l’embouteillage. Et le matériel spécialisé ? Et les soignants qu’on ne forme pas en deux jours à la science sophistiquée de la «réa» ? Les soignants justement. Il y a ceux qui ont déjà craqué, portés malades, aides-soignantes, infirmières, voire médecins. Déjà avant, le travail était infernal. Et il y a ceux qui sont là, la grande majorité, prêts à faire double, triple tâche. Ce sont les premiers que le professeur salue, en arrivant tôt ce matin. Et il lit l’angoisse sur leurs visages. Pas de masques de protection. Ou si peu, surtout les FFP2, en bec de canard, plus sûrs, qu’on tient sous clé comme une denrée rare.

Le coronavirus flotte dans l’air infesté des couloirs, exhalé par les malades qu’ils manipulent et intubent. L’équipe demande des masques au «Prof». Ils sont déjà pris. A quatre masques par jour, plus la nuit, il en faut 1 200 quotidiennement. A la pharmacie, verrouillée, un stock, réduit. La responsable a découvert deux caisses, vidées et soigneusement refermées. Volés. Tant pis. Le professeur dicte une note de service. Une autre note, venue d’en haut, en limite l’usage aux soignants en contact direct.

«Ah non, pas lui !» Un coup de téléphone interrompt la conférence. Le chef de cardiologie a 40° C de fièvre. Deux jours plus tôt, les trois médecins du service qui ont examiné un œdème pulmonaire, apparemment classique, ont été contaminés par le virus. Bilan : plus de service de cardiologie. Nouveau coup de téléphone. Une infirmière et un médecin régulateur, toux sèche, dyspnée, fièvre de cheval. Hors d'état. A quoi bon arracher un lit supplémentaire sans soignants ? On apprend la mort d'un médecin urgentiste de l'Oise, hospitalisé à Lille. L'équipe encaisse le choc.

«Je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi contagieux, reconnaît le professeur.

- De toute façon, nous allons tous l'avoir, souffle un médecin.

- Bon, ça va. Régulation, urgences, réanimation… On reprend tout.»

(1) Le nom a été modifié.

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