La Société protectrice des animaux (SPA) et les autres associations de protection des animaux sont très inquiètes. Avec la crise du coronavirus, les refuges qu’elles gèrent sont tous fermés au public depuis le 16 mars, mais continuent à se remplir d’animaux errants ou abandonnés. Si bien que certains lieux risquent d’arriver assez vite à saturation. « A ce rythme, cela pourrait être le cas d’ici à une dizaine de jours », évalue Jacques-Charles Fombonne, le président de la SPA. De quoi redouter des euthanasies en série pour les animaux qui ne trouveraient alors plus de place nulle part.
La difficulté s’énonce comme un problème de robinet et de baignoire, un classique des mathématiques. Les centaines de refuges français pour chiens, chats, lapins, reptiles, etc., n’ont aujourd’hui plus le droit d’accueillir le public. Il n’y a donc quasi plus aucune adoption. « Sur Internet, nos refuges proposent bien de repérer un animal, et il n’est pas interdit à un salarié de l’association concernée d’aller le déposer chez celui qui veut l’adopter, explique Hervé Bélardi, le délégué général de la confédération Défense de l’animal, qui regroupe plus de 270 sites indépendants. Mais en pratique, cela ne marche pas vraiment. » Résultat, les refuges ne se vident pas, ou au compte-gouttes.
Or les animaux, eux, arrivent toujours. Contrairement à ce que craignait la SPA, aucune vague d’abandons n’a certes eu lieu. A Hongkong, des échantillons prélevés sur un loulou de Poméranie et un berger allemand ont montré qu’ils étaient porteurs du coronavirus, et l’information aurait pu paniquer certains maîtres. « J’ai eu peur que ça ne parte en vrille et ne pousse des gens à abandonner leurs animaux », confie Jacques-Charles Fombonne. Ces deux chiens ont a priori été infectés par les personnes chez qui ils vivaient. En sens inverse, « il n’existe aucune preuve que des animaux comme des chats ou des chiens pourraient transmettre le virus à l’homme, martèle-t-on à la SPA. Donc ne les abandonnez pas ! » A ce stade, le message semble avoir été entendu.
Manque de bras
En revanche, de nombreux refuges reçoivent toujours des chiens et chats errants, récupérés dans un premier temps par les fourrières. A la SPA, ils représentent l’écrasante majorité des arrivées. « A cela viendront s’ajouter les nombreuses portées de chatons dans les prochaines semaines », anticipe Hervé Bélardi. Au bout du compte, l’effectif des chiens et des chats dans les refuges progresse inexorablement. Ceux de la SPA, le numéro un du secteur, comptent environ 5 800 animaux, pour une capacité théorique de 6 500 places. La cote d’alerte approche.
« Dans un premier temps, on peut mettre un peu plus d’animaux par cage », nuance le patron de la SPA. L’administration l’a compris. Dans une instruction prise le 20 mars, le ministère de l’agriculture autorise les refuges, durant « toute cette période de pandémie », à dépasser à titre dérogatoire les capacités fixées par les préfets, comme c’est déjà le cas l’été pour faire face au pic d’abandons. « Chez nous, on pourrait ainsi accueillir jusqu’à 8 000, voire 9 000 animaux », avance Jacques-Charles Fombonne. Du moins en théorie.
Car plus la crise se prolonge, plus les refuges se heurtent à des difficultés pour fonctionner. A commencer par le manque de bras. Du jour au lendemain, les associations ont dû se passer de milliers de bénévoles, souvent des personnes âgées, qui donnaient un coup de main, notamment pour promener les chiens, et sont désormais confinées. « Certains voulaient venir contre vents et marées, j’ai refusé, témoigne Sabine Fghoul, de la SPA de Haguenau (Bas-Rhin). On s’occupe de protection animale, mais on doit d’abord protéger les humains ! » Des salariés, frappés par l’épidémie, sont aussi absents. A Vitré (Ille-et-Vilaine), la SPA a ainsi dû fermer ses portes lundi 23 mars : il ne restait qu’une personne valide.
« Pas d’adoptions, pas de sous »
Autre préoccupation, l’alimentation des animaux. « A Tours, on nous a livré 40 tonnes de croquettes, mais les transporteurs ne sont guère disponibles pour les apporter dans les refuges qui en ont besoin, confie Hervé Bélardi. On envisage donc de prendre notre propre camion pour assurer la distribution. »
L’argent, surtout, risque de manquer à certaines structures fragiles. « Pas d’adoptions, pas de sous, résume Jeannette Bosquet, qui dirige un refuge à Cutrelles (Seine-et-Marne). J’ai neuf salariés. Comment je les paie ? Cela s’annonce compliqué. »
Après la SPA, la confédération Défense de l’animal a lancé, mardi 24 mars, un appel aux dons. « Fonctionnant uniquement grâce à la générosité publique et aux produits des adoptions, nombre d’associations risquent très rapidement de n’être plus en mesure de nourrir les animaux », plaident ses dirigeants.
A Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), Annie Benezech avait senti les mauvaises nouvelles arriver. Un peu avant le confinement général, elle a mis son refuge en configuration de crise. Cinquante chiens ont été confiés à des familles d’accueil, pour ramener le nombre d’animaux autour de 200. Sur 23 salariés, une dizaine ont été placés au chômage partiel. Ceux qui restent se concentrent sur l’essentiel. Ils nourrissent les bêtes, leur donnent les médicaments nécessaires, nettoient les cages. Tant pis pour les promenades et les jeux qu’assuraient les bénévoles. Le résultat, c’est un site à moitié vide et étonnamment calme. « Vous connaissez le silence actuel dans les rues vidées par le coronavirus ? Il est arrivé jusqu’à nous », relate Annie Benezech. Les chiens sont prostrés, moins gais. Ils n’aboient plus ou presque. « Notre comportement a changé, alors celui des animaux aussi. »
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