Abécédaire de nos vies recluses
Consacré à la situation inédite que nous affrontons, on commencera ce répertoire sous le signe du confinement et de ses dérivés.
Dans son sillage, la pandémie a suscité autant de sidération que de mesures draconiennes au cours de son inexorable développement. L’insouciance des premiers temps a volé en éclats et peu à peu chaque pays, certes en ordre dispersé, si l’on s’en tient à la seule Europe, prescrit le confinement.
Le mot, depuis l’exemple chinois, a fait florès, et chacun désormais comprend, on l’espère, les bénéfices attendus d’une telle réclusion. Or, le vocabulaire réserve toujours quelques surprises. En ce qui concerne le substantif, pas d’ambiguïté, ses synonymes, de l’isolement au cloître, ne prêtent guère à confusion. Toutefois le verbe confiner admet certaines variations moins austères. On s’y attarde non par affectation lexicographique mais simplement pour redonner un peu de couleurs à notre mise en quarantaine généralisée. En effet, l’action qu’il exprime allège, quelque peu, la pression de la restriction que tout enfermement suggère. D’après le dictionnaire, l’image dominante de son emploi se cristallise autour de la notion de frontière « ou de limite entre deux lieux ou deux choses qui se touchent ».
Ainsi l’appartement de Madame X confine-t-il avec la rue. D’où la possibilité pour la locataire confinée de s’entretenir éventuellement avec le porteur d’une attestation de déplacement dérogatoire qui passe sous son balcon. Aussitôt formé, le duo, l’un en bas et l’autre en haut, s’empresse d’échanger leurs impressions. Ce dialogue vertical se mue quelquefois en conversation horizontale. On entend la voisine de l’immeuble d’en face demander comment ça se passe avec les enfants : « Il faudrait pas que ça dure, je ne sais plus trop quoi inventer. » On peut dire alors, sans trop s’avancer, que ces deux-là confinent de concert. La situation les a rapprochées de part et d’autre d’une ligne de démarcation commune. Selon les règles en vigueur, elles vont aux nouvelles et se saluent à distance arpentant la lisière d’un nouveau périmètre social. Rituel dont les Italiens, rendons leur grâce, se sont emparés de manière bouleversante en chantant pour s’encourager mutuellement et soutenir le corps médical.
Se modelant sur la même idée de limite, les confins évoquent, à leur tour, les parties extrêmes d’un territoire en bordure d’un autre pays. C’est ainsi que le corridor du Wakhan forme un fascinant goulet géographique perdu aux confins orientaux de l’Afghanistan entouré par le Tadjikistan, le Pakistan et la Chine. Or, l’imagination, sans que le déplacement soit nécessaire, sait aborder ses confins dans l’immobilité la plus absolue. Se jouant de nos assignations à résidence, les voyages intérieurs peuvent atteindre de nouveaux sommets, sillonner des versants inconnus, susciter de nouvelles curiosités. Toutefois, en guise d’écho à cette pause domestique forcée, l’épidémie ne cesse de progresser aux confins de la planète empruntant la voie des liaisons aériennes les plus denses, si l’on en croit une étude récente. Comme quoi, le vocabulaire vibre à l’unisson des fragilités et des paradoxes du réel.