Le Président de la République, Emmanuel Macron.

Le président de la République, Emmanuel Macron.

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Imagine-t-on les ministres du général de Gaulle plaisanter sur la façon d'utiliser des sites pornographiques en temps de "guerre" ? Pas vraiment. Jusqu'à ce que Le Canard enchaîné ne vous le mette sous les yeux, un mercredi, en pleine crise sanitaire du coronavirus. L'hebdomadaire satirique a dévoilé dans ses colonnes une conversation Telegram réunissant les secrétaires d'État du gouvernement - et dont le président de la République et le Premier ministre sont absents -, dans laquelle plusieurs d'entre eux plaisantent sur les bandes passantes Internet qui bouchonnent à cause du trafic accru sur les sites de vidéos érotiques : "L'Italie a vu son réseau ramer, y compris pour les usagers importants, car le porno et les jeux en ligne ont explosé", indique le secrétaire d'État au Numérique Cédric O ; "En fait, si tu youpornes (sic) à 22 h 30, ça gêne personne... Juste une question d'organisation", lui répond sa collègue Agnès Pannier-Runacher ; "Djeb, si jamais tu préfères que l'on priorise YouPorn [par rapport à] Netflix, n'hésite pas à le dire et on relaiera", ajoute Cédric O en direction du secrétaire d'État aux transports Jean-Baptiste Djebbari qui remerciait plus tôt Pannier-Runacher de son conseil ; Marlène Schiappa y va de sa petite blague et propose à Djebbari de "demander à des gens d'envoyer des contenus amateurs" ; "Cette crise donne quand même l'opportunité de vivre des moments de vie inoubliable [avec] des dialogues entre ministres qui resteront dans l'Histoire de France", concluent ironiquement Cédric O et Sibeth Ndiaye.

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Le silence marquant de Macron

Mercredi à l'Élysée, lors du conseil des ministres consacré en grande partie à la présentation des ordonnances de la loi d'urgence sanitaire, le Président de la République, passablement irrité par les informations du Palmipède, a passé, en préambule, une brève soufflante à son équipe gouvernementale réunie autour de la table et par visioconférence : "Je ne pensais pas être obligé de commenter un article du Canard enchaîné pour vous demander d'être éthiques et responsables." Pan, sur le bec ! Un participant raconte : "Il semblait s'adresser à celui qui était responsable de la fuite, puisqu'il y en a forcément un qui a balancé, même si les contenus des messages ne devaient pas l'enchanter. Il n'a pas fait d'autre commentaire, mais son silence était plus que parlant..." En complément, Édouard Philippe a également jugé bon, ce vendredi matin dans une visioconférence depuis la place Beauvau, de faire un petit rappel à l'ordre pour remémorer à ses ministres que "la solidarité et la responsabilité gouvernementale étaient des mots d'ordre valables tout le temps".

Décompresser ? Évacuer le stress du moment inédit qu'ils ont à gérer ? Qui leur en voudra... Toutefois, cette désinvolture retranscrite noir sur blanc sur les smartphones, aisément diffusable à l'extérieur du petit cercle du pouvoir, semble être l'un des marqueurs de cette nouvelle génération de membres du gouvernement. Qui unit, en outre, pour la plupart des Marcheurs de la première heure. Les vieux de la vieille de "l'ancien monde", les Le Maire, Darmanin, Le Drian, Fesneau, Gourault et consorts, ont depuis longtemps saisi que laisser de telles traces écrites était une réelle prise de risque. Les vannes, les crasses, c'est à l'oral dans un coin de porte... ou jamais ! Mais nul doute que le confinement exacerbe les jacasseries par messageries...

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"Depuis le début, je trouve qu'ils ne sont pas raisonnables"

"Je suis surpris par cette espèce de naïveté qui leur fait croire que l'on peut écrire des choses comme ça, c'est à se demander s'ils ont suffisamment conscience de la fonction qu'ils occupent", se lamente un ministre expérimenté, qui pourtant ne découvre pas le laisser-aller de ses jeunes collègues. Il poursuit : "Même dans la boucle WhatsApp utilisée par tous les membres du gouvernement, depuis le début je trouve qu'ils ne sont pas raisonnables. Parfois, quand je vois certains messages, je me dis que ces gens sont bien curieux... Les écrits peuvent sortir ! La conversation peut-être hackée ! C'est choquant pour les ministres qui naviguent en politique depuis longtemps et qui, eux, n'écrivent que très peu."

Et maintenant ? Les secrétaires d'État en question tireront-ils des leçons de leur mésaventure ? Le sentiment de trahison, venant d'un membre de ce tout petit cercle censé se serrer les coudes dans la tempête, devrait y aider. "Je trouve ça assez pathétique de la part de celui ou celle qui a fait ça, singulièrement dans le contexte que nous vivons, maugrée l'un des membres de la boucle. Le moment grave que nous vivons exige de la solidarité, de la confiance et donc de la confidentialité dans nos échanges." Un membre de cabinet de l'un des incriminés abonde : "Ce sont des échanges privés, dans une boucle privée, évidemment que c'est très désagréable, mon boss n'était pas content... et maintenant il va y avoir une vigilance accrue, c'est sûr." Peut-être n'aurait-il pas fallu attendre "la plus grande crise sanitaire depuis un siècle" pour s'en rendre compte.

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