Serge Guérin : « Je pronostique un divorce-boom plutôt qu’un baby-boom »

Par Jacques Chanteau

Pour le sociologue Serge Guérin, la crise du Covid-19 est une « leçon d’humilité ». Une crise qui devrait aussi voir grimper les divorces et modifier notre façon de consommer.

« Il y a aura probablement un phénomène de démondialisation, de déconsommation et donc favorable aux circuits courts », envisage le sociologue Serge Guérin.
« Il y a aura probablement un phénomène de démondialisation, de déconsommation et donc favorable aux circuits courts », envisage le sociologue Serge Guérin. (Photo Baptiste Fenouil)
Pourquoi dites-vous que le Covid-19 est une leçon d’humilité ?

C’est une leçon d’humilité pour cette société qui pensait pouvoir tout diriger et tout décider. Et « bing », on se retrouve comme il y a un siècle, voire dix siècles, avec un choléra qui bloque tout le monde. Un monde qui ne pensait pas qu’une telle pandémie serait à nouveau possible. C’est un peu comme si on retombait dans le Moyen-Âge.

Que pensez-vous du comportement des Français depuis le début de la crise ?

On a pu constater un sentiment de panique chez ceux qui sont allés dévaliser les grandes surfaces. Ils ont ressenti une vraie crainte de manquer. On a aussi vu ce sentiment de panique chez ces personnes qui se sont enfuies des grandes villes, notamment de Paris. Il y a eu un côté « sauve-qui-peut », mais on peut comprendre qu’un couple avec un jeune enfant ait envie de lui trouver un certain confort. C’est un peu la France des résidences secondaires et de celle qui n’en a pas. C’est aussi la France des gens vraiment confinés et de ceux qui ont un jardin.

Comment expliquez-vous cette ruée sur les pâtes et les rouleaux de papier hygiénique, alors qu’il n’y avait aucun risque de pénurie pour ces deux produits ?

Alors que nos populations n’ont jamais été aussi bien formées et qu’elles n’ont jamais été aussi longtemps à l’école, on s’aperçoit finalement que les éléments les plus primaires ressortent à la seconde. Le vernis de civilisation ne tient pas forcément très longtemps. Il y a une certaine peur ancestrale. Dans l’imaginaire, les pâtes permettent de tenir très longtemps. Pour le papier hygiénique, il y a un phénomène moutonnier : vous voyez les gens en acheter, alors vous le faites aussi.

Le fait maison, confinement oblige, est à la mode : les secteurs du bricolage, jardinage et cuisine n’ont-ils pas de beaux jours devant eux ?

Dans des sociétés un peu en difficulté, les gens ont besoin de retrouver du sens et de faire des choses eux-mêmes. C’est moins cher mais c’est aussi une autre manière de se réaliser. Ce phénomène devrait se renforcer.

« On dirait que le coronavirus a été sponsorisé par Amazon »
L’e-commerce est actuellement en plein essor. Qu’en sera-t-il à la sortie de la crise ?

C’est vrai qu’on dirait que le coronavirus a été sponsorisé par Amazon. Mais, après la crise, peut-être que l’on aura envie de revoir des gens.

Et quid des livraisons à domicile, également en forte hausse. Les gens y prennent-ils actuellement goût ?

C’est plutôt le cas des jeunes générations en milieu urbain, dont une partie revendique une forte conscience écologique et qui, pourtant, se fait livrer des repas alors qu’au niveau écologique, entre l’emballage et le transport, ce n’est pas la meilleure idée. Après la crise, est-ce que cela va durer ? Pas sûr : il va tout d’abord y avoir un problème de coût car on va certainement être confronté à une baisse du pouvoir d’achat. Et sans doute, aussi, qu’il y aura un besoin de rencontres.

Comment voyez-vous l’avenir des circuits courts en matière d’alimentation ?

Il y a aura probablement un phénomène de démondialisation, de déconsommation et donc favorable aux circuits courts. Je pense que ce mouvement qui consiste à dire « J’ai plus confiance en mon maraîcher et agriculteur qui ne sont pas loin » va s’accélérer. Il est donc fort possible qu’il y ait un regain bienveillant et intéressé pour les circuits courts.

Continuera-t-on autant de voyager ? Les gens ne vont-ils pas avoir peur de rester bloqués dans un pays étranger en cas d’épidémie ?

Il n’est pas impossible que des restrictions soient maintenues dans certains pays où on ne pourra donc pas s’y rendre. Entre la baisse du pouvoir d’achat et la peur d’aller dans tel ou tel pays, cela va renforcer un tourisme intérieur, en France.

Pronostiquez-vous un baby-boom d’ici neuf à dix mois ?
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Non, je pronostique plutôt un « divorce boom ». Le baby-boom, c’était après Guerre : les gens étaient contents de se revoir et les méthodes contraceptives n’étaient pas très efficaces. Là, l’espoir n’est pas devant. Les gens ne vont pas se dire que ça va être merveilleux. Actuellement, ils sont confinés et ce, peut-être, pendant quatre, cinq ou six semaines. Cette proximité pourra être difficile, notamment au sein de couples qui, parfois, restent ensemble par habitude. Et là, cette habitude peut devenir insupportable.

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