Vivre le Covid-19 : une "guerre" contre un ennemi intime

Le confinement doit durer - au moins - jusqu'au 15 avril 2020. Ici le 22 mars, place du Tertre, à Paris.  ©AFP - Lionel Bonaventure
Le confinement doit durer - au moins - jusqu'au 15 avril 2020. Ici le 22 mars, place du Tertre, à Paris. ©AFP - Lionel Bonaventure
Le confinement doit durer - au moins - jusqu'au 15 avril 2020. Ici le 22 mars, place du Tertre, à Paris. ©AFP - Lionel Bonaventure
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"Nous n'avons pas gagné la guerre", a averti Emmanuel Macron hier. Depuis le début de la crise, le vocabulaire du chef de l’État se veut martial. Mais cette "guerre" se joue aussi en chacun de nous.

D'abord : très heureux de vous retrouver. Mais quel curieux 1er avril, où personne n'a le cœur à la blague, quand la réalité semble déjà si irréelle.  

« Nous sommes en guerre », même, a déjà tranché le président Macron. 

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Une métaphore filée encore hier. En visite dans une usine de production de masques, le chef de l’État a eu ces mots : « quand on mène une bataille, on doit être unis pour la gagner ».  

Alors sommes-nous en guerre ?  

Les morts par milliers, la mobilisation de toutes les strates de la société, la menace omniprésente : cela donne du crédit à cette métaphore.  

Comme dans une guerre, personne ne peut se sentir totalement indifférent. Et, le voudrait-on, que les contraintes extérieures nous rappelleraient à la réalité.  

La bataille révèle d'ailleurs les caractères individuels et les faillites collectives.  

Les lecteurs de Marc Bloch pourront observer ici de lointains échos avec « L'étrange défaite », qui raconte la débâcle de 1940, bien sûr, mais surtout le déni de la menace, la désorganisation logistique, la division face au danger... et les "politicailleries" (le mot est de Bloch), alors même que le désastre arrive.  

Si l'on revient à 2020 : la communication officielle souvent contradictoire, l'insouciance massive à profiter des parcs et des plages, les jeux d'appareils politiques sur la tenue des élections municipales... Cela illustre - toute proportion gardée - des processus assez constants : ceux de l'hébétude humaine devant la catastrophe qui vient.  

Mais la comparaison guerrière trouve ses limites, bien sûr, notamment parce que l'ennemi, ici, n'a pas de plan de bataille. Pas de plan tout court d'ailleurs, c'est un virus.  

En fait, si guerre il y a, c'est une guerre à l'intérieur de chacun de nous ; une guerre contre nous-même.  

Une guerre contre nous-même ? C'est-à-dire ?

Puisque le confinement s'étire, il nous faut lutter contre nos mauvais réflexes, nos impulsions malheureuses.  

Par exemple, vous êtes-vous déjà surpris à vous poser des questions irrationnelles :

Tiens, ce jogger qui passe pour la deuxième fois dans la rue, a-t-il vraiment besoin de courir ?  

Et cette dame, là-bas, qui marche d'un pas lent, a-t-elle vraiment son attestation sur elle ? 

Et jusqu'à quand tout cela va-t-il durer ?  

Avec le confinement, nous guette le syndrome de la commère derrière son rideau en dentelle. Il faut raison garder.  

Et par la même occasion, nous prémunir contre l'attirance pour les explications simplistes.  

Certes, il est moins facile de lire un article de 3000 mots que de partager une vidéo de trois minutes sur facebook... Ces vidéos "virales" - c'est le cas de le dire - qui vous expliquent en quoi les experts sont nuls, et à quel point les solutions à mettre en œuvre sont pourtant simples.  

Corollaire : il convient de nous garder des polémiques inutiles. Pourtant, tout y concourt : l'angoisse, la confusion ambiante, l'incertitude, peut-être la fatigue.  

Mais, autant il faudra être implacable et tatillon après la crise.... autant à l'heure qu'il est, cela revient à dépenser de l'oxygène en haute-montagne alors qu'il faudrait l'économiser.  

Bref, l'urgence est de se laver les mains, de désinfecter ce qui doit l'être. Autrement dit, en cette période, tout doit être stérile, sauf les polémiques.

Il nous faut nous garder, enfin, d'utiliser le virus pour étayer nos préjugés politiques.  

Un exemple, que vous avez peut-être entendu comme moi :  

Le coronavirus, ce serait « la terre qui se venge d'être exploitée par l'homme ». Hypothèse aussi séduisante qu'absurde.  

Comme si la peste de Justinien, en l'an 542, était liée à l'extraction du pétrole et aux avions de ligne. 

Autre exemple : « Le covid-19 c'est la mondialisation débridée, les migrations et l'effacement des frontières », peut-on entendre.  

Comme si les épidémies avaient attendu la création de l'OMC et de l'espace Schengen.  

La période est d'ailleurs hélas propice à la recherche de boucs émissaires

Pour les Européens, ce furent le Chinois (souvenez-vous d'ailleurs des agressions racistes il y a quelques semaines). En Afrique, c'est l'Européen qui est parfois montré du doigt. Voire la diaspora qui navigue entre les deux continents.  

Une chaîne infinie et inféconde ; fratricide et inutile.  

Alors, aux gestes-barrières « physiques », il faut essayer d'ajouter les gestes-barrières « moraux », pour, disons, une certaine hygiène mentale.  

C'est aussi pour cela que la guerre se joue en chacun de nous.  

Frédéric Says

L'équipe