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Covid-19: l’impossible confinement de la moitié de l’humanité

De plus en plus de pays assignent leurs habitants à résidence pour tenter de freiner la propagation du coronavirus. Des mesures drastiques, qui ont montré leur efficacité en Chine et en Europe, mais difficilement applicables dans les pays où la majorité de la population vit au jour le jour

La police tente de limiter le nombre de passagers embarquant sur les ferry dans le port de Mombasa, le vendredi 27 mars 2020. — © AP
La police tente de limiter le nombre de passagers embarquant sur les ferry dans le port de Mombasa, le vendredi 27 mars 2020. — © AP

Tué par une balle perdue de la police lundi soir, Yasin Hussein Moyo, un adolescent kényan de 13 ans, est l’une des premières victimes des mesures de confinement imposées contre le coronavirus. Le drame s’est noué dans le bidonville de Mathare, à Nairobi, quand les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles pour que les habitants respectent le couvre-feu nocturne. Mercredi, le président Uhuru Kenyatta s’est excusé pour les nombreuses violences policières commises ces derniers jours pour disperser des attroupements ou forcer des commerçants à fermer leurs échoppes.

Même si le Kenya n’a pour l’instant pas assigné sa population à résidence, près de la moitié de l’humanité est désormais officiellement confinée. Ces mesures drastiques, adoptées d’abord par la Chine puis par les Etats européens avant de s’étendre à travers le monde, s’avèrent insurmontables pour les populations des pays du Sud.

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Dilemme insoluble

Pour des centaines de millions de personnes, le dilemme est insoluble: renoncer à sortir pour se protéger de la maladie revient à perdre son revenu quotidien. L’Organisation internationale du travail rappelait lundi que 2 milliards de travailleurs étaient employés dans le secteur informel, sans aucune protection sociale, soit 61,2% de la population active mondiale.

«Je ne sais pas comment les gens vont pouvoir survivre deux semaines sans travailler pour gagner de l’argent», déclarait mardi à l’AFP Mutiu Adisa, un chauffeur de minibus désœuvré, à Lagos, après que la plus grande ville d’Afrique – 20 millions d’habitants – a été confinée.

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Ces craintes sont audibles sur tout le continent africain, où le Rwanda, le Congo-Brazzaville, le Ghana et le Maroc ont eux aussi confiné leur population, mais aussi en Amérique du Sud. Le Mexique semble surtout soucieux d’éviter un appauvrissement général et se contente d’interdire les personnes âgées de 60 ans à sortir de chez elles. Au Brésil, où le président Bolsonaro a longtemps minimisé la menace, une contagion dans les favelas, les bidonvilles des grandes villes brésiliennes, pourrait être catastrophique, mais la maladie est encore largement vue comme concernant les classes aisées qui ont ramené le virus de leurs voyages.

Dans le camp des sceptiques, le président béninois Patrice Talon a dit dimanche tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas: le Bénin n’a «pas les moyens des pays riches» pour confiner sa population. «Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées», a argumenté le chef de l’Etat, par ailleurs critiqué pour le peu de mesures prises contre la pandémie.

D’autres voix dénoncent un «mimétisme», comme l’écrivaine camerounaise Calixthe Beyala sur sa page Facebook. «La plupart des Africains n’ont pas les moyens de s’approvisionner en nourriture pour une petite semaine! Ils n’ont pas de frigo et pas d’électricité. Le coronavirus tue, nous dit-on, particulièrement les vieux en Occident. Où sont les hospices et maisons de retraite pour les vieux au Cameroun? Quel est le pourcentage de la population âgée de plus 70 ans en Afrique?»

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«Il faut faire preuve de flexibilité»

Même les spécialistes de santé publique reconnaissent les difficultés d’appliquer les mesures de confinement aux pays les plus pauvres. Responsable de l’unité des vaccins au Mali et conseiller spécial de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre le Covid-19, le professeur Samba Sow concède que la taille des familles en Afrique est bien plus grande qu’en Europe et qu’il peut être contre-productif d’enfermer des gens qui vivent au jour le jour. «Mais la distanciation sociale est la mesure la plus efficace pour stopper la transmission, même si elle n’est pas dans la culture africaine. Il faut faire preuve de flexibilité.»

Son collègue Michel Yao, responsable des opérations d’urgence au bureau africain de l’OMS à Brazzaville, estime que la clef est d’accompagner les mesures de quarantaine par des aides financières. Une gageure, alors que les gouvernements les plus fragilisés sont en plus frappés par la crise économique causée par la pandémie de Covid-19. L’ONU a appelé lundi à un plan massif de 2500 milliards d’aide pour les pays en voie de développement, afin de compenser l’effondrement économique. Plus d’un tiers de cette énorme somme serait constitué par l’annulation de la dette des pays les plus pauvres.